Peu de temps avant la Guerre Civile Américaine, Jacob Cooley et sa femme, de riches planteurs, coulaient des jours heureux dans le Sud des États-Unis. Ils possédaient plusieurs hectares de terres près de Frankfort, dans le Kentucky, sur lesquelles travaillaient de nombreux esclaves. Malheureusement, Jacob était un homme terrible qui châtiait fréquemment ses esclaves pour les plus futiles raisons.
Comme son premier enfant devait bientôt voir le jour, Jacob ordonna à Hosea, l’un de ses serviteurs qui excellait dans le travail du bois, de fabriquer un coffre à vêtements pour la chambre du bébé. Ce meuble allait causer sa perte. Pour une quelconque raison, la ravissante petite commode d’acajou fabriquée par Hosea déplut à Jacob qui rentra alors dans une colère folle et se laissant aller à ses pires instincts il le battit si sauvagement que l’homme mourut dans les jours qui suivirent.
Écœurés par tant d’injustice, les autres esclaves décidèrent de venger la mort de leur compagnon. A la nuit tombée, un vieux sorcier versa du sang de hibou dans l’un des tiroirs du coffre, il fredonna une ancienne incantation, et une malédiction fut lancée sur le meuble.
Jacob lui-même ne fut pas affecté par le sortilège, mais, comme le vieil esclave l’avait promis, ses descendants allaient payer le prix de sa cruauté. Si Jacob n’aimait pas le travail d’Hosea, peut-être sa femme l’appréciait-elle à sa juste valeur car la petite commode avait été installée dans la chambre de leur premier-né. Malheureusement, peu de temps après sa naissance, le nourrisson perdit la vie d’une inexplicable manière. Quelques mois plus tard, lorsque son frère vit le jour, il hérita du coffre mais l’enfant fut assassiné, poignardé par sa propre servante.
Au cours de son existence Jacob Cooley avait eu un autre fils, John, qui hérita des plantations de son père. Le jeune homme connut une vie insouciante de célibataire pendant de nombreuses années, puis il fit la connaissance d’Ellie, une jeune femme était bien plus jeune que lui, il avait trois fois son âge, et bientôt ils se marièrent.
Le couple hérita du coffre maudit, mais en apprenant sa tragique histoire et la rumeur de malédiction qui l’entourait, la jeune femme décida de le ranger au grenier.
Plusieurs années s’écoulèrent. John avait fait fructifié ses biens de judicieuse manière, il possédait maintenant de nombreuses fermes dans le Tennessee, et quand sa jeune sœur Melinda se maria avec Sean, un irlandais peu fortuné, il décida d’offrir au jeune couple l’une de ses exploitations. Malheureusement, la vie de Melinda se révéla très éloignée de celle dont elle avait rêvée. La jeune femme travaillait à la ferme du matin au soir, s’occupant également des travaux ménagers et de leurs nombreux enfants, alors que son mari, qui n’appréciait guère les rudesses de la vie agricole, vivait dans l’oisiveté. Malgré les remarques déplaisantes de Sean, qui lui faisait clairement comprendre qu’elle n’était pas la bienvenue chez eux, Ellie tentait d’aider Melinda autant qu’elle le pouvait.
Un jour, cherchant à lui apporter quelque consolation, Ellie décida d’envoyer à sa belle-sœur la petite commode à vêtements dont son mari avait héritée et qu’elle trouvait si jolie. Finalement, le meuble se trouvait au grenier depuis des années, aucun drame ne s’était jamais produit dans leur famille et tout naturellement, elle en avait conclu que s’il avait un jour été l’objet d’une malédiction, ce dont elle doutait, cette dernière avait été balayée par le temps.
Melinda, qui n’était pas superstitieuse, accepta le coffre avec reconnaissance mais quelques jours plus tard, par un étrange hasard, son mari l’abandonnait pour les lumières de la Nouvelle-Orléans. La jeune femme en fut inconsolable. Malade de chagrin, affaiblie par la dureté de sa vie, elle sombra dans un état de faiblesse extrême et bientôt elle mourut. Melinda n’avait alors qu’une trentaine d’années mais elle avait tellement souffert durant ces années de mariage que son entière chevelure était déjà grise. Bien évidemment, certains pourraient penser que le décès de Melinda au moment où la commode venait de rentrer dans sa vie n’était qu’une malheureuse coïncidence, mais juste après avoir enterré sa femme, Sean connut le même sort, le crane fracassé par la passerelle d’un bateau à vapeur. Le coffre venait de réclamer ses troisième et quatrième victimes.
Le couple laissait de nombreux orphelins, que John Cooley fut chargé de placer. Il traversa le Tennessee, confiant les enfants aux bons soins de différents membres de sa famille, mais il ne put se séparer de la petite dernière, une fillette nommée Evelyn, qui s’accrochait à lui de ses petits bras et le serrait aussi fort qu’elle le pouvait.
La petite Evelyn avait grandi et elle était devenue une belle et intelligente jeune femme. A l’âge de 16 ans, elle réussit le concours pour devenir enseignante et prit en charge l’unique classe d’une petite école. Deux mois plus tard, elle rencontra un jeune homme d’origine écossaise, Malcom Johnson et ils se marièrent peu de temps après. En cadeau de mariage Ellie, qui avait oublié toutes ces histoires de malédiction, apporta à sa nièce le ravissant petit coffre qu’un esclave avait un jour construit pour Jacob Cooley. Un enfant naquit de cette union puis Evelyn, qui était probablement reconnaissante envers son oncle et sa tante de l’avoir élevée, adopta une jeune orpheline, une petite fille nommée Arabella.
Pendant des années, n’en ayant pas vraiment l’utilité, elle laissa la petite armoire de côté, puis sa fille se maria à son tour et elle ressortit la commode pour y entreposer sa robe. Mais peu de temps après, le mari d’Arabella succombait aussi soudainement qu’inexplicablement et ce fut le début d’une horrible série.
Après avoir déposé ses petits vêtements dans le coffre, le nouveau-né d’Arabella mourut subitement lui-aussi. Puis ce fut au tour du fils ainé d’Evelyn de convoler en justes noces avec une jeune femme nommée Ester. Ignorant tout de la malédiction, la jeune mariée rangea innocemment sa robe et ses bijoux dans un tiroir de la commode, et quelques jours plus tard, elle perdait la vie. Sarah, la tante d’Evelyn, avait tricoté une écharpe et des gants pour son petit-neveu, et elle les avait confiés à sa nièce afin qu’elle les lui offre à Noël. Malheureusement, quelques jours avant le 25 décembre, alors qu’il marchait sur le long d’une voix de chemin de fer, le jeune homme glissa sur les rails et fut tué de la plus horrible des manières. Dans la commode maudite, l’attendaient toujours les gants et l’écharpe que lui avait tricotés sa grand-tante. Le destin s’acharnait sur la famille d’Evelyn, et elle en était dévastée. Pourtant, la série noire n’était pas terminée et deux nouvelles tragédies allaient encore l’accabler. Alors que rien ne le laisser à penser, son beau-fils abandonna brusquement sa femme, et peu de temps après, suite à un étrange accident, l’un de ses enfants resta handicapé à vie.
Finalement, seul le mari d’Evelyn fut épargné par la malédiction. Malcom était un petit homme courtois, un gentleman qui avait employé ses talents dans l’édification d’un empire. Son patrimoine était constitué de terres, de maisons, d’une entreprise d’extraction de charbon et d’un magasin d’alimentation. A sa mort, il était un homme extraordinairement riche, mais malgré tout le confort matériel dont elle pouvait disposer, Evelyn était une femme brisée, hantée par le souvenir des disparus. Alors un jour, sans jamais avoir compris que tous ses malheurs venaient du petit meuble en bois d’acajou, elle mit fin à son calvaire. Le coffre maudit, qui avait déjà tué six personnes, venait d’emporter sa septième victime.
Alors que le XXe siècle se terminait, Virgina Cary Hudson hérita du coffre de sa grand-mère, Evelyn Johnson. Virginia avait vaguement entendu parlé de la malédiction, mais elle pensait qu’elle n’était qu’une amusante légende. Bien évidemment, elle avait tort et l’avenir allait se charger de le lui prouver.
Quand elle mit les vêtements de son premier enfant dans la commode, la petite fille mourut peu après. Quelques temps plus tard, Virginia s’en servit pour ranger les habits de sa seconde fille et l’enfant se retrouva brusquement victime de poliomyélite. De nombreuses années passèrent sans incident mais quand la robe de mariée d’une autre de ses filles fut déposée dans l’un des tiroirs de la petite armoire, son beau-fils perdit la vie. Puis ce fut au tour de son fils, qui reçut un coup de poignard dans la main alors que certains de ses vêtements se trouvaient dans le coffre. Un jour, un ami de la famille, qui était les visiter, rangea ses habits de chasse dans l’un des tiroirs et il fut malencontreusement tué lors d’un accident de chasse. Seize personnes étaient déjà mortes… et la malédiction continuait.
Virginia avait mis du temps à comprendre, mais elle avait fini par faire le lien entre ces accidents et la petite armoire. Pour elle, il n’y avait plus de doutes possibles: le coffre d’acajou était maudit, et elle devait mettre fin à cette malédiction. Espérant qu’elle pourrait la conseiller, elle décida d’en parler à Annie, l’une de ses amies, une vieille femme d’origine africaine qui connaissait les secrets de la magie et des sortilèges.
La vieille dame n’eut aucun mal à reconnaitre la malédiction jetée par le vieux sorcier 150 ans auparavant. Elle expliqua à Virginia qu’elle pourrait être rompue si trois conditions étaient remplies. Premièrement, il fallait que quelqu’un lui donne un hibou mort sans qu’elle n’ait à le demander. Deuxièmement, les feuilles vertes d’un saule pleureur devraient être bouillies du lever au coucher du soleil, sous le regard du hibou mort. Troisièmement, le liquide ainsi obtenu devrait être enterré dans un trou creusé sous un arbre en fleurs, en se tournant vers l’est.
En apprenant qu’elle devait recevoir un hibou mort sans le demander, Virginia s’était découragée mais par un curieux hasard, peu de temps après, l’un de ses amis offrit à son fils un hibou en peluche pour sa première communion. Maintenant qu’elle possédait l’ingrédient le plus difficile à obtenir, le reste de la formule ne lui semblait qu’une formalité. Elle ramassa quelques feuilles d’un arbre à thé et les fit bouillir dans une grosse marmite noire sous le regard inexpressif du hibou qu’elle avait pris soin de déposer dans un angle de la cuisine. Puis, au crépuscule, Virginia et Annie emportèrent le breuvage ainsi obtenu sous un lilas en fleurs, et se tournant vers l’est, elles l’enterrèrent près de la fenêtre de la cuisine. Malheureusement, il n’existait aucun moyen de savoir si le rituel avait été efficace mais la vieille dame avait prévenu Virginia des éventuelles conséquences: si la malédiction était levée, alors l’une d’elles mourait avant la fin de la journée.
Annie perdit la vie au début du mois de septembre. Ce fut la dix-septième et dernière victime connue du coffre maudit. Virginia écrivit l’histoire de la petite commode dans un livre » Flapdoodle, Trust & Obey » et quelques années plus tard, Virginia Mayne, sa fille, hérita du meuble. Peut-être craignait-elle que la malédiction ne soit pas vraiment partie car jamais elle n’y rangea quoi que ce soit. Elle fit monter le meuble au grenier, le dissimula derrière des vieilleries qui y étaient entreposées, et quelques années plus tard, en 1976, elle en fit don au Kentucky History Museum. Depuis, la petite commode est stockée dans l’un de leurs entrepôts, où elle attend son éventuelle exposition. Personne ne sait vraiment si le petit coffre est toujours porteur de la malédiction mais le musée ne tient pas à prendre de risques. Pas plus que ses employés apparemment car certains auraient pris soin de glisser dans le tiroir du haut un puissant talisman de protection: une enveloppe remplie de plumes de hibou.