Letta, la Poupée Gitane

Il est difficile de ne pas éprouver un étrange sentiment de malaise en découvrant Letta, la Poupée Gitane. Son physique ingrat, presque menaçant, indispose bien souvent ceux qui la regardent. Mais, au-delà de son apparence, l’on devine aisément qu’il y a quelque chose de spécial dans cette poupée. Quelque chose de malsain qui se devine sans même connaitre son passé. Car Letta a une histoire. Une histoire qui pourrait bien expliquer les sentiments qu’elle inspire.

L’Histoire de Letta, la Poupée Gitane

En 1972, Kerry Walton, un jeune homme de 23 ans, se rendit à Wagga Wagga, en Australie, afin d’assister à l’enterrement de sa grand-mère. Il était de retour dans sa ville natale, celle qui l’avait vu grandir, et malgré les années qui s’étaient écoulées, elle n’avait pas vraiment changé. En passant devant la vieille maison hantée, il remarqua avec amusement qu’elle était toujours abandonnée. De hauts arbres l’entouraient, la dissimulant presque complètement des regards indiscrets, et il s’en dégageait toujours la même mystérieuse atmosphère. De nombreuses légendes circulaient à son sujet. La plus étrange d’entre elles racontait l’histoire d’un vieil homme qui habitait les lieux autrefois. Depuis sa mort, le malheureux errait dans les limbes, trainant derrière lui un grand sac rempli de crânes humains. Bien qu’il n’ait jamais osé y rentrer, la mystérieuse bâtisse – et ses possibles fantômes- avait toujours enflammé son imagination. Kerry hésita un moment. Il ressentait toujours cette bonne vieille peur irraisonnée au fond de lui, mais sa curiosité et sa passion pour les anciennes bouteilles en verre l’emportaient maintenant sur ses peurs d’enfant. Et puis, avec un peu de chance, peut-être découvrirait-il à l’intérieur quelque trésor insoupçonné qui viendrait enrichir sa collection.

Une lampe de poche à la main, il se glissa sous les vieilles planches et commença à avancer, repoussant les toiles d’araignées qui revenaient inlassablement se coller sur ses cheveux. Soudain, le faisceau de sa torche éclaira un visage et Kerry sentit son sang se glacer:  » Ce que j’ai trouvé était quelque chose qui ressemblait à un enfant mort. La peur m’a fait sursauter et je me suis presque assommé quand ma tête a heurté l’une des poutres du plancher « . Le cœur battant, il s’approcha du corps inanimé et brusquement, il se sentit stupide. Ce qu’il avait pris pour un cadavre momifié n’était en fait qu’une vieille poupée. Quand il la prit dans ses mains, ses vêtements sales tombèrent instantanément en poussière. Son visage, méticuleusement sculpté, était particulièrement hideux. Son sourire grimaçant semblait proférer quelque menace silencieuse et ses yeux noirs brillaient d’une lueur inquiétante sous ses épais sourcils. Son regard perçant semblait l’observer et scruter chacun de ses mouvements.

Kerry somnolait sur le siège passager du taxi qui le ramenait à Brisbane, où il vivait maintenant. Il avait mis la poupée dans un sac qu’il avait déposé sur la banquette arrière, où était assis son frère. Soudain, des soubresauts
le forcèrent à émerger de sa torpeur. Son frère lui secouait frénétiquement l’épaule, et il affirmait avoir vu la poupée bouger. Kerry se retourna vers le sac tandis que son frère se mettait à plaisanter nerveusement, imitant la voix geignarde d’une poupée captive:  » Letta Me Out, Letta Me Out!  » ( » Laissez-Moi Sortir, Laissez-Moi Sortir! « ). La poupée venait de trouver son nom, elle s’appellerait Letta. Kerry était troublé, ce qu’il voyait était pour le moins étrange. La nuit était tombée mais lorsqu’ils croisaient une voiture l’habitacle du véhicule s’éclairait et la poupée semblait soudain s’animer. Peut-être n’était-ce là qu’un jeu d’ombres et de lumières mais il commençait à se demander s’il avait été bien inspiré en extirpant Letta de son tombeau de bois.

La nouvelle invitée ne plaisait pas à tout le monde, et certains lui avaient réservé un accueil particulièrement explicite. Lorsque Randolph, le petit chien de Kerry, aperçut la poupée, il se mit à aboyer furieusement, cherchant même à la mordre. C’était un comportement tout à fait inhabituel de sa part, le chien ayant, jusqu’alors, toujours été des plus calmes. Evelyn, la femme de Kerry, n’aimait guère Letta elle non plus, tout comme les divers amis de la famille auxquels elle avait été présentée. Ils trouvaient son visage répugnant et la poupée les mettait mal à l’aise. Ils avaient, disaient-ils, l’impression que ses yeux les suivaient. Seuls ses enfants semblaient l’apprécier. Ils jouèrent avec Letta tout au long de la journée et Kerry les laissa l’emporter dans leur chambre au moment de dormir. Mais au cours de la nuit, les enfants se mirent brusquement à crier. Ils hurlaient si fort que Kerry dut remettre la poupée dans son sac et la descendre à la cave pour les rassurer. Elle allait y rester durant cinq ans.

Moins d’un mois après la découverte de la poupée, la vieille maison hantée s’effondrait inexplicablement, à la plus grande surprise de Kerry:
 » La maison était là depuis plus de cent ans et tout d’un coup elle s’effondrait sur elle-même. C’était presque comme si la poupée savait ce qui allait se passer et qu’elle avait guidé mes actes. J’ai trouvé cela très bizarre « .

Afin de pouvoir faire face aux très sérieux problèmes financiers qui l’accablaient, Kerry avait décidé de vendre l’ancienne poupée qui trainait au sous-sol depuis longtemps déjà. C’était un objet rare et il espérait qu’un collectionneur lui en donnerait un bon prix, peut-être même 400$. Après avoir déposé une annonce à cet effet, il reçut très rapidement une offre d’un commerçant de Sidney. L’affaire fut conclue par téléphone et, ignorant la pluie qui commençait à tomber, Kerry s’empressa d’aller livrer la poupée à son nouveau propriétaire. En arrivant sur les lieux, il ouvrit la portière arrière de sa voiture pour attraper Letta mais il s’aperçut avec stupéfaction qu’il ne pouvait plus la faire bouger. Rien ne semblait pouvoir y faire, la poupée restait inexplicablement collée à la banquette et il ne parvenait pas à l’en arracher même en tirant dessus de toutes ses forces. Kerry venait de comprendre que la poupée possédait sa propre volonté, et qu’il allait devoir s’y soumettre.

Cette singulière expérience avait perturbé Kerry qui éprouvait maintenant le besoin d’en savoir plus sur Letta. Il avait réfléchi aux différentes possibilités qui s’offraient à lui et le choix le plus judicieux lui avait semblé être le musée de Sydney. Par une surprenante coïncidence, dès qu’il déposa la poupée dans la voiture, il se mit à pleuvoir.

Les experts se montrèrent très intéressés par Letta. Après l’avoir étudiée, ils expliquèrent à son propriétaire que la poupée était très ancienne. Si l’on en croyait les clous qui retenaient les semelles de ses chaussures, elle avait au moins 200 ans. Tout laissait à penser qu’elle était l’œuvre d’un artisan tsigane roumain, probablement celle d’un marionnettiste.

Il y avait néanmoins un détail troublant. Sous son épaisse chevelure, constituée de véritables cheveux humains, se dissimulait un crâne amovible. Et sous ce crâne, que l’on pouvait soulever, se trouvait un cerveau. Un vrai cerveau. Il avait l’aspect et la couleur d’un papier journal humide.
Selon les experts, cette poupée de bois avait probablement été conçue pour servir de refuge à une âme. Autrefois, les tsiganes étaient très portés sur l’occultisme. Ils pensaient que lorsque quelqu’un mourait, son âme pouvait se réfugier dans un réceptacle confectionné à cet effet. Le réceptacle devenait alors un sanctuaire qui permettait au défunt de rester dans notre monde.  Kerry se sentait perplexe. Si sa visite au musée avait répondu à certaines de ses questions, elle avait ouvert la porte à de nombreuses autres.  

Letta commençait à être connue et un médium américain, qui avait entendu parler de l’étrange poupée, proposa à Kerry de tenter d’en percer les mystères. Après l’avoir étudiée, il en conclut que l’artiste qui l’avait confectionnée l’avait créée en souvenir de son fils qui était mort noyé. Quelques temps plus tard, Tisha, une médium australienne, apprit la triste histoire de Letta et elle contacta Kerry afin de lui offrir ses services.
Au moment où la médium aperçut la poupée, elle en fut fascinée. Tisha allait développer une relation tout à fait particulière avec elle. Quand elle lui parlait, Letta semblait la comprendre et même lui répondre:  » En écoutant la poupée, j’ai découvert que l’âme d’un garçon de six ans avait été emprisonnée dans ce récipient de bois. L’enfant s’est noyé lors d’une tempête dans un endroit isolé de Roumanie. Son père, accablé de chagrin, a façonné un personnage grandeur nature en vue de la cérémonie de transfert d’âme. L’enfant a été emprisonné pendant des siècles. Il est confus et effrayé. La poupée a été amenée en Australie par un immigrant et rangée sous une maison « .

Désirant faire connaitre la tragique histoire de Letta, Tisha avait décidé de la présenter dans un centre commercial et les réactions avaient été spectaculaires. Lorsque le rideau s’était levé sur la poupée, plusieurs femmes avaient hurlé, l’une d’entre elles s’était évanouie et une autre avait vomi. Il n’y avait aucune raison logique à tout cela et la médium en avait conclu que Letta n’avait pas envie d’être montrée. La poupée était en colère, ces femmes l’avaient obscurément ressenti et elles en avaient été effrayées. L’antique poupée ne laissait personne indifférent. Tous les chiens, sans exception, devenaient hystériques en la voyant et certaines personnes déclinaient les invitations de Kerry, sans même connaitre les raisons de leur crainte:  » Nous avons eu à plusieurs reprises des commerçants qui ont refusé de rentrer dans la maison, alors qu’ils ignoraient que nous possédions la poupée. Ils ressentaient juste une présence maléfique et ils refusaient de venir à l’intérieur « . D’autres fuyaient en la voyant, ou refusaient obstinément de s’en approcher. Ceux qui parvenaient à passer au-dessus de leur appréhension initiale rapportaient souvent à Kerry l’inexplicable sentiment de peur ou de tristesse que la poupée leur inspirait et les étranges changements de couleur qu’ils percevaient dans ses yeux. La femme de Kerry avait d’ailleurs une explication quand à ce phénomène:  » Certains jours, je lui rends visite et elle a l’air triste. D’autres jours, elle semble heureuse et souriante. Je sais que ça parait bizarre, mais elle peut changer ses expressions faciales « . Il en était même qui affirmaient que Letta pouvait se mouvoir sans l’aide de personne, ce que confirmait son propriétaire:  » J’ai vu la poupée se déplacer de nombreuses fois. Durant une longue période, je l’ai laissée assise dans un vieux fauteuil à bascule et, à plusieurs reprises, je l’ai surprise alors que ses bras et ses jambes étaient en mouvement « .

Letta était maintenant célèbre et les médias commençaient à s’intéresser à l’affaire. Kerry Walton et Trisha avaient été invités à parler de son histoire dans une émission télévisée et il était prévu que l’interview se déroule dans le cabinet de la médium. Comme à chaque fois que Kerry sortait la poupée de chez lui, il se mit à pleuvoir. Quand il pénétra dans le bureau de Trisha, un tableau se décrocha immédiatement du mur et l’horloge se figea. Alors que l’équipe de tournage s’organisait, la médium posa la poupée sur ses genoux et Letta commença à gigoter, comme l’aurait fait un enfant agité. C’était la première fois qu’elle faisait ça, du moins en sa présence, et lorsque Trisha en fit la remarque, l’un des caméramans lui répondit qu’il ne la croyait pas. Alors, lentement, la poupée tourna la tête vers lui, faisant craquer le bois de son cou. Dès que son regard se posa sur lui, un projecteur explosa. Le caméraman pâlit et sortit précipitamment par la porte de derrière. L’événement entier fut diffusé à des milliers de téléspectateurs.  Le même phénomène allait se reproduire 10 ans plus tard, lors d’une nouvelle émission. Letta n’aimait vraiment pas les projecteurs… ou peut-être était-ce les caméramans.

Kerry et Letta lors de leur première émission télévisée

Quelques temps plus tard, un magazine publia un article sur Letta et sa triste légende. Ce reportage suscita l’intérêt d’un groupe d’enquêteurs du paranormal américains qui décidèrent alors de se rendre en Australie afin d’y organiser une séance de spiritisme. Lors de cette séance, l’esprit du jeune garçon prisonnier de la poupée se manifesta de manière tout à fait inattendue à travers eux, confirmant tout ce que Trisha avait dit. Kerry, quand à lui, se montrait fataliste:  » Les américains m’ont dit que je ne serais jamais capable de me débarrasser de la poupée. Au moins, ça explique pourquoi je ne pouvais pas la sortir de la voiture « . Les enquêteurs étaient ravis des phénomènes paranormaux dont ils avaient été témoins et ils voulaient désespérément emmener Letta aux États-Unis afin de la présenter dans un talk-show lucratif, ce que Kerry refusa fermement, préférant accepter la proposition d’un célèbre astrologue australien qui lui offrait une tournée nationale. Si Letta fit parfois tomber la pluie lors de cette tournée, elle manifesta également sa présence de façon plus spectaculaire encore:  » Nous avions placé la poupée sur scène. La foule commençait à se rassembler autour quand tout à coup, une femme se mit à crier. Puis, alors que la foule silencieuse regardait, la poupée se mit à bouger la tête. « 

Si Kerry Walton et sa famille n’avaient pas vraiment aimé la vieille poupée lors de son arrivée, ils semblaient maintenant s’être habitués à sa présence. Peut-être n’était-ce qu’une coïncidence, mais depuis qu’elle vivait chez eux, les affaires de Kerry étaient devenues florissantes. D’après lui, tout ce dont Letta avait besoin, c’était de nouveaux parents, d’un père et d’une mère. Et c’était exactement ce que Kerry et sa femme étaient devenus pour elle.

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