En 1922, Helen Pitkin Schertz écrivit un livre, Legends of Louisiana, où elle racontait l’incroyable histoire d’un homme, présenté comme l’un des frères du Sultan de Turquie, qui débarquait à la Nouvelle-Orléans et s’installait dans la maison de Jean-baptiste LePrêtre. Si le récit qu’elle proposait était des plus fascinants, elle semblait s’être perdue dans les dates car le frère du Sultan emménageait dans la maison de M. Leprêtre en 1792, hors selon les registres municipaux, ce dernier ne l’avait achetée qu’en 1839. Personne ne sut jamais si l’histoire était vraie, mais les fantômes qui hantent la grande maison du quartier français semblent néanmoins la confirmer.
L’Histoire
Le 10 avril 1839, Jean-Baptiste LePrêtre se porta acquéreur d’un hôtel particulier que Joseph Coulon Gardette, un dentiste de Philadelphie, avait fait construire au 716 rue Dauphine à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane. La grande bâtisse, elle était la plus haute du quartier, formait un carré parfait, et une multitude de fenêtres s’ouvraient sur les balcons de fer forgé qui l’entouraient de toutes parts. M. LePrêtre, qui était fort riche, décora sa nouvelle demeure de la plus charmante manière, la remplissant de meubles raffinés et de chandeliers en cristal, puis il commença à y donner des soirées, qui devinrent rapidement réputées, autant pour leur splendeur que pour la qualité des invités.
M. LePrêtre et sa famille n’occupaient leur hôtel particulier de la rue dauphine qu’une partie de l’année. Durant cette période, M. LePrêtre, qui était un homme influent de la Nouvelle-Orléans, travaillait comme banquier et peaufinait ses relations, recevant ses amis de la haute société dans son magnifique salon, parmi lesquels les fondateurs de la Citizens Bank. Durant les six autres mois, il habitait la grande maison qu’il qu’il possédait sur la presqu’île de la Paroisse Plaquemine, à l’est du delta du Mississippi, où se trouvaient ses plantations de riz, de maïs et de tabac. Malheureusement, comme beaucoup de familles aisées durant la Guerre Civile, M. Leprêtre connut quelque sérieux revers de fortune et en 1878, lorsque ses anciens amis de la Citizens Bank réussirent à l’évincer de sa maison de la rue Dauphine, qu’il s’était vu obligé d’hypothéquer, il décida de fuir la Nouvelle-Orléans et de ne plus s’occuper que de ses plantations.
Au cours des années qui suivirent, l’hôtel particulier changea de main à plusieurs reprises, puis en 1892, un richissime turc, qui se présentait comme un Sultan et se faisait appeler le prince Suleyman, accosta à la Nouvelle-Orléans et demanda à louer la magnifique maison de la rue Dauphine. Flatté par cette proposition, qui était pour lui une promesse d’argent mais qui rajoutait également un certain prestige à la vieille demeure, M. Émile Anguard, qui en était alors le propriétaire, s’empressa d’accepter. Alors depuis les quais arrivèrent des femmes, des hommes et des eunuques, qui transportaient des tapisseries, des coffres et une multitude d’objets précieux, puis le Sultan et sa suite s’engouffrèrent dans la maison et la porte se referma derrière eux. De lourdes draperies vinrent masquer les fenêtres, filtrant la lumière du soleil autant que les regards indiscrets, des serrures et des chaines furent rajoutées à la porte d’entrée, qui restait toujours verrouillée, et des hommes armés de cimeterres commencèrent à monter la garde sur les balcons. Parfois, lorsque la porte s’ouvrait pour laisser entrer ou sortir quelqu’un, alors une odeur d’encens flottait dans l’air et une étrange musique pouvait être entendue. Peu de temps après, les plus folles rumeurs commencèrent à courir, qu’à la nuit tombée, des fêtes orgiaques, où l’opium circulait à volonté, se tenaient dans la maison. Certains prétendaient même y avoir été invités et décrivaient, avec force de détails, des soirées de luxure qui ressemblaient fort à leurs fantasmes les plus fous.
Les habitants de la rue Dauphine se méfiaient de ce voisin aux étranges coutumes et bientôt la rumeur vint leur donner raison. Une histoire se répandit en ville que le nouveau venu n’était pas le Sultan mais son frère cadet, qui s’était réfugié à la Nouvelle-Orléans après lui avoir dérobé une partie de sa fortune et certaines de ses épouses. Un matin, un homme se promenait dans le quartier français quand regardant vers la Maison du Sultan, comme elle était maintenant surnommée, il remarqua que du sang dégoulinait le long des murs et sur les marches d’escalier. Horrifié, il s’empressa de prévenir les secours, qui se présentèrent peu de temps après. Quand les policiers poussèrent la porte, qui était déverrouillée, s’offrit à leurs yeux épouvantés le pire spectacle qu’il leur avait jamais été donné de voir.
L’odeur de la mort recouvrait la maison comme un linceul. Chaque homme, chaque femme et chaque enfant avait été démembré, et les morceaux de leurs corps avaient été éparpillés un peu partout sur le plancher. En arrivant dans le jardin, ils trouvèrent une tombe peu profonde d’où sortait une main inerte. A l’intérieur, gisait le frère du Sultan, que ses bourreaux avaient enterré vivant. De toutes ses richesses, il ne restait rien.
La tragédie, la rumeur parlait de 37 victimes, s’était produite pendant la nuit, mais d’une surprenante manière, aucun des voisins n’avait rien entendu. Personne ne sut jamais avec certitude qui avait tué le frère du Sultan et tous les gens de sa maison, mais il se murmura que le Sultan, ayant appris que son frère s’était réfugié à la Nouvelle-Orléans, avait envoyé des assassins pour laver son honneur dans le sang. Certains soupçonnèrent le capitaine du bateau et son équipage, qui avait amené le frère du Sultan et sa suite jusqu’en Louisiane, d’autres parlèrent de pirates, qui avaient accosté et rapidement mis les voiles cette nuit-là, mais il aurait fallu qu’ils parviennent à s’introduire dans la maison et à tuer tout le monde sans faire le moindre bruit, et ces hypothèses furent rapidement abandonnées.
La Hantise
Peu de temps après, des passants rapportèrent que parfois, le tintement d’une musique orientale se faisait entendre, qu’une légère odeur d’encens venait flotter dans la rue Dauphine, juste devant la maison où s’était produit le drame, et qu’à la nuit tombée, des cris stridents s’élevaient du vieil hôtel particulier. Puis le » Sultan » lui-même commença à se manifester, déambulant silencieusement dans les chambres ou sur les balcons, et la maison fut surnommée Le Palais Hanté du Sultan. M. Anguard, le malheureux propriétaire, regretta amèrement d’avoir accepté de louer son hôtel particulier car la tragédie et les rumeurs de hantise qui s’en suivirent firent perdre énormément de valeur à la propriété. Il avait l’achetée pour 3000$ en 1887, mais quand il parvint à la revendre, en 1903, il n’en retira que 2250$.
Au cours des années qui suivirent, le 716 de la rue Dauphine changea souvent de propriétaire, sans qu’aucun ne s’en occupe vraiment, et bientôt son état commença à se dégrader, ce que certains déplorèrent en 1922: » Si le temps a laissé des cicatrices sur ces hauts murs et si l’intérieur à perdu beaucoup de plâtre et tout vestige de peinture, le bâtiment dans son ensemble est assez bien conservé, mais ne donne aucun soupçon de son ancienne gloire « .
Malgré son état, au début des années 1940, le vieil hôtel particulier devint l’Académie des Arts de la Nouvelle-Orléans, qui ferma peu de temps après quand de nombreux élèves furent enrôlés dans les forces armées. Puis l’ancien manoir sembla se dissoudre dans ses propres ombres et pendant quelques années, mis à part les quelques vagabonds qui osaient braver la légende, personne n’osa plus y rentrer. Dans les années 50, le vieux bâtiment fut divisé en huit appartements destinés à la location. Comme les loyers demandés étaient particulièrement bas, de jeunes artistes du quartier français vinrent à les occuper, parmi lesquels Virgie Posten, danseuse et chorégraphe, qui emménagea au rez de chaussée. » Je ne connaissais pas la légende, ni même que l’endroit était censé être hanté, » expliqua-t-elle des années plus tard au journal le Times Picayune. » Je n’ai jamais dit grand-chose à ce sujet auparavant, car j’avais peur que les gens me pensent folle, ou tout simplement à la recherche de publicité, mais en vérité, j’ai déménagé de cet endroit un mois après car j’ai vu un homme dans mon appartement à deux occasions différentes, et je n’ai jamais pu m’expliquer comme il avait pu rentrer ou sortir de là aussi rapidement et sans un bruit.
Mon appartement de deux pièces n’avait qu’une seule porte, qui se trouvait dans la salle principale, à quelques mètres seulement de l’énorme escalier central qui serpentait vers les étages supérieurs. Je la gardais toujours verrouillée, et même si quelqu’un avait eu une clef, je pense que je l’aurais au moins entendu tourner dans la serrure. Pourtant il n’y avait rien, juste le silence. Une minute il était là… la suivante il avait disparu! Il ne semblait pas hostile. Il restait là à me regarder, mais il était terriblement inquiétant et angoissant!
La deuxième fois, quand je me suis réveillée au milieu de la nuit et que je l’ai vu debout, au pied de mon lit, à me regarder, alors j’ai décidé de partir de là. Il n’y avait aucun signe de lui quand j’ai allumé les lumières et quand je me suis levée pour vérifier, mais le lendemain, j’ai tout abandonné et je suis allée séjourner temporairement chez une amie jusqu’à ce que je trouve un autre endroit à habiter. A ce moment-là, je ne pensais pas encore aux fantômes. Ce n’est que quelques jours plus tard, quand j’ai lu, par hasard, un article dans le journal qui parlait de la maison et de sa légende, que j’ai réalisé où je vivais.
La description que le papier donnait du Sultan, comment il était censé être, sa blondeur en dépit de ses origines turques, ressemblait à la personne que j’avais vue et ça m’a fait réfléchir.
Cependant, ma troisième et dernière expérience était la plus effrayante de toutes. Il faisait nuit. Ma petite amie et moi nous nous étions arrêtées près de la maison afin de prendre quelques unes de mes affaires, que j’avais laissées là jusqu’à ce que je puisse les mettre ailleurs. Nous étions debout dans le couloir faiblement éclairé de la maison vide, mais comme je fermais la porte, soudain nous avons entendu un cri à glacer le sang sortir de l’obscurité, quelque part en haut de l’escalier, à quelques mètres de nous. C’était pétrifiant! Un long cri perçant qui s’est terminé par un horrible gargouillis. Nous avons couru vers la porte d’entrée de l’immeuble comme si le diable lui-même était après nous. Pendant un moment, nous nous sommes même coincées dans la porte, que nous avons essayé de franchir en même temps! On en rit aujourd’hui, mais sur le moment, c’était assez effrayant! Le lendemain, j’ai enlevé mes affaires de là. «
En 1966, Frank Damino et Anthony Vesich, qui étaient partenaires, achetèrent la maison du 716 rue Dauphine. Jean, la femme de Franck Damico, se souvient encore: » Les gens nous regardaient un peu bizarrement quand ils savaient que nous en étions les propriétaires. Certains m’ont même dit qu’ils avaient l’habitude de traverser la rue et de passer de l’autre côté. «
Mme Damico, qui vécut longtemps dans l’un des appartement de l’immeuble, se souvenait d’une expérience bizarre qu’elle avait eue, et qu’elle n’avait été en mesure d’expliquer. » Une nuit, il y a moins d’un an, je me suis réveillée avec le sentiment qu’il y avait quelque chose de différent dans ma chambre. Là, au pied de mon lit, j’ai eu l’impression de voir la silhouette d’un homme. Pensant que mes yeux me jouaient des tours, je les ai fermés un instant, puis je les ai rouverts mais la silhouette était toujours là. Soudain, la forme a semblé se déplacer vers mon côté du lit. J’ai paniqué et j’ai allumé la lumière sur ma table de nuit. Il n’y avait personne, imaginez ma surprise! Mon mari m’a ri au nez quand je lui ai dit, mais je sais que j’ai vu quelqu’un! En y repensant, j’ai l’impression qu’il avait des cheveux clairs. Je n’avais pas songé à ce détail jusqu’à tout à l’heure, que j’y réfléchisse à nouveau! «
En 2013, la vieille bâtisse fut remise en vente, et Nina Neivens en devint propriétaire pour deux millions de dollars. A ce moment-là, elle ignorait tout de son histoire. » J’ai tapé l’adresse sur Google et tout le monde disait que c’était le harem de l’horreur. J’étais tellement choquée. Je suis tombée amoureuse de cette maison au moment où je l’ai vue. J’ai vraiment été surprise, et inquiète que cela affecte la valeur de la propriété, mais je savais que je voulais la posséder. » Mme Neivens ne croit pas en la légende du Palais du Sultan, mais elle admet qu’il se passe des étranges dans la maison. Et jamais elle ne s’y sent seule.
Au 716 de la rue Dauphine, la tragédie semble ne jamais finir. De nos jours encore, certains entendraient de la musique orientale, des bruits de pas résonneraient dans les couloirs déserts, et le Sultan apparaitrait parfois aux différents occupants des six appartements, les regardant silencieusement et disparaissant aussitôt. La nuit, d’abominables cris déchireraient l’obscurité, laissant à penser que la scène du massacre recommence à se jouer, encore et encore.
La maison étant une propriété privée, il est impossible de la visiter. Cependant, les guides touristiques de la Nouvelle-Orléans s’arrêtent souvent sur son perron, expliquant aux touristes médusés la légende de la Maison du Sultan.
Source: Documents Officiels et Haunted New-Orleans.