Une nuit de pleine lune, dans un petit village du Yorkshire, M. Mullins, qui travaillait comme facteur, traversait le cimetière situé près de l’église quand soudain il vit une grosse créature blanchâtre sortir en se tortillant comme un énorme ver de la tombe de M. Peters, lequel venait tout juste d’être enterré. Sur le moment, M. Mullins fut trop abasourdi pour faire quoi que ce soit aussi resta-t-il là sans bouger, regardant fixement la chose qui s’extirpait péniblement de la terre, infiniment perplexe quand à sa nature. Puis brusquement, une espèce de fascination morbide s’empara de lui, à laquelle il ne put résister, et faisant quelques pas vers l’avant, il s’en rapprocha discrètement.
La créature, qui semblait enveloppée dans un espèce de cocon, ne possédait ni bras ni jambes et elle avançait en glissant sur le sol, laissant derrière elle un répugnant sillage de bave. Une lueur irréelle émanait de l’intérieur de son corps translucide, qui était semblable à celle d’un prodigieux ver luisant, et horrifié M. Mullins comprit brusquement que la chose était une sorte de monstrueux asticot. Il observait son abominable tête, pulpeuse, pointue et vraisemblablement toxique, quand soudain il remarqua ses deux grands yeux clairs, qui ressemblaient en tous points à ceux d’un être humain et qui brûlaient d’une telle haine et d’une telle cruauté que son sang se figea dans ses veines.
M. Mullins était rempli d’effroi à l’idée que l’immonde créature puisse se retourner et le découvrir mais sa curiosité était tellement forte que prenant grand soin à toujours rester à une dizaine de mètres derrière elle, il commença à la suivre furtivement. La chose se traina entre les pierres tombales, puis elle traversa un chemin, en suivit un autre, et comme elle atteignait les limites du cimetière elle s’avança vers la porte d’entrée du presbytère et disparut mystérieusement sur son seuil. L’homme retourna alors chez lui, tremblant de peur et frustré d’avoir perdu de vue l’infâme asticot, et il ne se sentit en sécurité qu’après avoir tourné les deux gros verrous de la lourde porte de sa maison.
Sitôt rentré, il s’empressa de raconter toute l’histoire à sa femme, puis à son meilleur ami, mais craignant le ridicule, il n’osa en parler à personne d’autre. La nuit suivante, comme ils semblaient douter de sa parole, il leur proposa de l’accompagner au cimetière et se dissimulant derrière les buissons, ils furent tous les trois témoins du même abominable spectacle. Malheureusement, le lendemain, le vicaire, son épouse et leurs enfants se retrouvèrent soudainement frappés d’un mal étrange, que le médecin attribua à une intoxication alimentaire et qui leur fut fatal. Troublés par cette fâcheuse coïncidence, M. Mullins, sa femme et son ami retournèrent au cimetière la nuit suivante et ils suivirent le fantôme jusqu’à la maison du forgeron, lequel tomba malade dans les vingt-quatre heures. Le pauvre homme présentait les mêmes symptômes que le vicaire et sa famille et il connut le même sort.
Pendant quelques jours le ver ne se montra pas et le petit groupe en était venu à la conclusion qu’il ne viendrait plus quand soudain, la dixième nuit, il sortit de sa tombe et se faufilant hors du cimetière comme à son habitude il fila tout droit vers la maison de M. et Mme Mullins. Alors, sous leurs regards horrifiés il se glissa à l’intérieur, traversant la porte comme si elle n’était que fumée. Le lendemain, l’un des leurs enfants, qui était âgé de cinq ans, se retrouva en proie au mal mystérieux qui avait déjà couté la vie à de nombreux villageois et il y succomba en moins d’une heure. Les malheureux parents comprirent alors qu’il leur appartenait de mettre fin à l’hécatombe spectrale et sans même prendre la peine de consulter le vicaire temporaire, qui ne résidait pas dans le village et qui n’avait que peu ou pas d’intérêt pour leur paroisse, ils se rendirent au cimetière en plein milieu de la nuit, pour être assurés de n’y trouver personne, puis ils creusèrent la tombe de M. Peters, d’où la créature maudite semblait sortir.
Étrangement, le cercueil était intact mais quand il l’ouvrit M. Mullins découvrit quelque chose de si abominable qu’aussitôt il s’évanouit. A l’intérieur, se trouvait un cadavre dont le visage n’avait plus rien d’humain, il ressemblait à celui d’un démon, et il le fixait de ses petits yeux cruels. Terrifiée mais lucide, Mme Mullins attendit que son mari reprenne ses esprits puis ils transportèrent le cercueil et son contenu dans un champ voisin et après l’avoir enduit d’autant de paraffine qu’ils le pouvaient, ils y mirent le feu. Une fois le cercueil calciné, ils coururent jusqu’au cimetière et ils s’empressèrent de combler la tombe de terre. Ils y retournèrent la nuit suivante, mais rien n’arriva et personne ne revit jamais la malfaisante créature.
Pour comprendre toute l’histoire il vous faut savoir que M. Peters, l’homme dont le corps avait été brulé, était connu pour avoir été en très mauvais termes avec le vicaire, qui le réprimandait constamment pour son ivresse, et qu’il était également en froid avec le forgeron, qui l’avait récemment trainé devant la Cour du comté pour ne pas avoir payé son loyer. Par contre, M. Mullins ignorait ce que M. Peters pouvait avoir à lui reprocher car même s’ils avaient souvent eu des discussions animées sur la religion et la politique, jamais ils ne s’étaient disputés.
Source: Haunted Churches d’Elliott O’Donnell, The Occult Review, June 1913.