La Malédiction de la Famille Lemp

Manoir des Lemp en 1922

Vers la fin du 19e siècle, la famille Lemp, qui vivait à Saint-Louis, au Missouri, connaissait toutes les réussites mais soudain le sort commença à s’acharner sur elle et la rumeur courut qu’elle était victime d’une malédiction. Des années plus tard, en 1980, le magazine Life affirma que le Manoir Lemp était l’une des neuf maisons les plus hantées d’Amérique, confirmant ainsi ce que tout le monde savait déjà. S’ils étaient morts depuis longtemps, les membres de la famille Lemp n’avaient jamais quitté le manoir.

Johann Adam Lemp
Johann Adam Lemp

En 1836, Johann Adam Lemp abandonna la ville d’Eshwege et son Allemagne natale pour tenter sa chance en Amérique. Deux ans plus tard, il s’installa à Saint-Louis, au Missouri, puis il ouvrit une petite épicerie, proposant, outre les articles qui se trouvaient habituellement dans ce genre de commerce, le vinaigre et la bière qu’il fabriquait lui-même d’après des recettes que lui avait transmises son père. En 1840, comme ses fabrications artisanales connaissaient un grand succès, Adam vendit la magasin et fit construire une petite usine, la Western Brewery (la Brasserie de l’Ouest), au 112 de la South Second Street. Au cours des premières années, la nouvelle fabrique produisit du vinaigre et de la bière, qui était vendue dans un pub rattaché aux locaux, et Adam en profita pour présenter la lager, une bière légère d’origine allemande encore peu connue en Amérique. La lager devint rapidement populaire et en 1845 la demande était telle qu’il décida de mettre fin à la production de vinaigre pour se consacrer uniquement à la bière.

L’engouement pour la lager fut si fulgurant que bientôt la brasserie se révéla trop petite pour gérer la production et le stockage du produit. Comme il cherchait une solution à ce problème, Adam songea à la grotte de calcaire souterraine qui venait d’être découverte au sud de la ville et il s’empressa d’acheter la propriété. Les cavernes étaient assez fraiches pour y entreposer la bière et la laisser fermenter le temps nécessaire à sa maturation, mais pour l’amener à une température idéale, des blocs de glace furent prélevés dans la rivière Mississippi toute proche et déposés à l’intérieur. Au milieu du 19e siècle, la compagnie était devenue l’une des plus importante de la ville et en 1858, la bière de la Western Brewery gagnait le premier prix de la foire annuelle de Saint-Louis, confirmant ainsi son succès.

Adam Lemp s’éteignit le 25 août 1862, laissant l’entreprise à son fils William. Il s’était montré un homme d’affaires avisé tout au long de sa vie, et son héritier allait se révéler tout aussi talentueux. A cette époque, la bière était toujours acheminée par wagons de l’usine à la grotte, ce qui ne plaisait guère à William, qui décida de se débarrasser de cette opération fastidieuse en achetant cinq pâtés de maisons autour de l’entrepôt souterrain et y faisant bâtir une nouvelle brasserie, bien plus grande, comprenant des bureaux, une fabrique de glace et une usine d’embouteillage.

William Lemp

En 1861, William épousa Julia Feickert et en 1876, il racheta le manoir que son beau-père avait fait construire huit ans auparavant, vraisemblablement avec son aide financière. William et Julia redécorèrent la maison selon leurs propres gouts et peu de temps après, ils y emménagèrent. Si le manoir était des plus luxueux et s’il disposait de toutes les commodités modernes, l’élément le plus impressionnant restait probablement le tunnel qui partait de ses sous-sols et remontait la rue pour rejoindre la brasserie, à quelque distance. En 1878, William fut le premier brasseur de St-Louis à faire installer une zone réfrigérée dans son usine, ce qui libéra la grotte. Une grande caverne fut alors transformée en auditorium, et un théâtre, orné de paysages de plâtre et de fils, y fut érigé, où le couple donnait probablement des spectacles privés. Cette partie de la grotte était accessible par un escalier en colimaçon qui donnait sur la rue Cherokee. Un peu plus loin, juste en-dessous de l’intersection des rues Cherokee et De Menil, un grand réservoir bétonné fut aménagé en piscine, que le couple remplissait en utilisant de l’eau chaude qui était acheminée depuis la chaudière de la brasserie.

De leur union, William et Julia avaient eu neuf enfants, dont huit avaient survécu, Anna, William Jr., Louis, Charles, Frederick, Hilda, Edwin et Elsa. En 1892, quand William décida de prendre une retraite partielle et de parcourir le monde avec sa femme, il remit la société entre les mains de ses fils, nommant William Jr. vice-président, Louis directeur, Charles trésorier et Frederick surintendant adjoint. Ses enfants ne se ressemblaient guère et s’ils bénéficiaient tous des avantages que leur offraient la position sociale et la fortune de leur père, ils en profitaient différemment. William Jr., surnommé Billy, aimait à se montrer en société et il avait la réputation d’être un playboy sulfureux, alors que Louis était un jeune homme sportif qui élevait des chevaux et les faisait courir lui-même. Cependant, si William aimait tous ses enfants, Frederick avait toujours été son préféré aussi l’avait-il choisi pour diriger son entreprise après sa mort. Le jeune homme, qui était ambitieux, travaillait avec acharnement à la brasserie, comblant les espérances de son père. En 1895, la William J. Lemp Brewing Compagny employait sept cent personnes et elle était la huitième du pays. Si l’entreprise était déjà une réussite en tournant à 26 000 barils de bière par an du temps de son créateur, elle produisait maintenant 300 000 barils, et rapportait 3 millions de dollars, notamment grâce à la Falstaff, qui connaissait un grand succès. Non seulement les bières Lemp se trouvaient partout en Amérique, mais elles étaient également distribuées à Calcutta, à Londres, à Paris et à Berlin.

En 1899, Billy épousa Lillian Handlan, la fille d’un riche fabricant de fournitures de chemin de fer, une mondaine réputée pour son exquise beauté et sa magnifique garde-robe, qui nécessitait plusieurs couturières employées à plein temps. En raison de son penchant pour la couleur lavande, que la jeune femme arborait sur ses vêtements, ses accessoires, dans l’ameublement de sa chambre, mais également sur ses sept voitures, une pour chaque jour de la semaine, les gens l’appelaient la Lavender Lady et partout où elle allait elle faisait sensation.

Frederick Lemp

Ce furent là les dernières années de bonheur de la famille Lemp. En 1901, Frederick commença à avoir des problèmes de santé, et il dut se résoudre à partir pour un séjour prolongé en Californie, où il espérait que le climat lui serait bénéfique. Mais quelques mois plus tard, le 12 décembre 1901, alors que son état semblait s’améliorer, il perdit brusquement la vie à l’âge de 28 ans. Il avait succombé à une insuffisance cardiaque suite à ses nombreux problèmes de santé, mais pour une obscure raison, des rumeurs coururent qu’il était mort dans de mystérieuses circonstances.

La disparition de Frederick fut un véritable drame pour ses parents, en particulier pour son père, qui en fut dévasté. D’après ses proches, jamais William ne se remit vraiment de cette tragédie et peu à peu, il commença à se retirer du monde, n’apparaissant que rarement en public et ne se rendant à la brasserie que par son passage souterrain. Le 1er janvier 1904, William subit un autre coup en apprenant le décès de Frederick Pabst, son meilleur ami et le beau-père de sa fille Hilda. Cette perte le plongea dans un désespoir plus profond encore et bientôt il commença à se désintéresser de son entreprise, s’asseyant à son bureau, le regard perdu dans le vide, et faisant d’étranges mouvements nerveux de ses mains.

Dans la matinée du 13 février 1904, après avoir pris son petit-déjeuner, William informa l’un de ses serviteurs qu’il se sentait mal puis il remonta dans sa chambre au deuxième étage. Vers 9h30, il s’allongea sur son lit et prenant son Smith & Wesson, il se tira une balle dans la tête. Il en mourut quelques heures plus tard. A l’époque, la brasserie était évaluée à 6 millions de dollars, et ses biens personnels à 10.
En novembre 1904, Billy devint le président de la William J. Lemp Brewing Company, mais cette fonction nouvelle ne sembla guère le passionner et plutôt que de s’investir dans l’entreprise familiale, il choisit de profiter de l’immense fortune dont il venait d’hériter. Il se montrait dans les réceptions mondaines en compagnie de sa ravissante épouse, qui aimait l’argent autant que lui, et dépensait de grosses sommes en maisons de campagnes, en voitures, en vêtements et en œuvres d’art.

Billy et Lillian Lemp
Billy et Lillian

Peu de temps après, Billy commença à se lasser de sa femme, avec laquelle il avait eu un enfant, William III, et la rumeur prétendit qu’à la nuit tombée, il organisait des parties fines dans les grottes sous le manoir, invitant des gentlemen de Saint-Louis et des prostituées à le rejoindre. Si tout le monde pensait que Lillian, lassée des turpitudes de son mari, finirait par demander le divorce, ce fut Billy qui créa la surprise en 1909, accusant sa femme d’utiliser un langage blasphématoire et de porter constamment du lavande afin d’attirer l’attention du public, ce qui constituait, apparemment, une infraction au code de bonne conduite. De son côté, Lillian expliqua que son mari invitait des femmes dans ses appartements privés, qu’il la battait, qu’il l’avait menacée d’un revolver et elle se plaignit de son extrême jalousie, affirmant qu’il la privait de toute liberté. L’annonce de ce divorce et les procédures judiciaires qui s’en suivirent créèrent un scandale qui passionna les habitants de Saint-Louis. Chaque jour, les curieux s’agglutinaient devant la porte du palais de justice dans l’espoir d’obtenir l’un des sièges convoités et les journaux rapportaient les derniers rebondissements de l’audience, les illustrant parfois de caricatures.

Il faut avouer que la vie privée de Billy Lemp était pour le moins… surprenante. Apparemment, il aimait à organiser des combats de poulets contre des singes, obligeant son jeune fils William à les regarder. Ce dernier avait d’ailleurs été traumatisé par un incident bizarre, où des singes avaient dévoré des oiseaux vivants. Son majordome rapporta qu’il pointait un révolver sur lui quand il avait le malheur de se déplacer trop lentement à son gout, et ses voisins l’accusèrent de tirer sur leurs chats, ce qu’il reconnut volontiers, soulignant néanmoins qu’il ne faisait jamais pour le plaisir, et seulement sur ceux qui dérangeaient son sommeil. En 1913, quand le divorce fut enfin prononcé, Billy perdit la garde de son fils et fut condamné à verser 6000$ par an à sa femme. Cependant, Lillian ne se trouvant que peu satisfaite par cette décision, elle fit appel devant la Cour Suprême du Missouri, qui lui accorda de 100 000$ de pension alimentaire, ce qui était la plus grosse somme jamais attribuée dans l’histoire de l’état. Six ans plus tard, Billy épousa une veuve, Ellie Limberg, mais jamais Lillian ne se remit de son divorce. Après cette épreuve, tout le monde s’accordait à dire qu’elle était toujours jolie, mais qu’elle était devenue complétement folle. Elle vécut jusqu’à 83 ans sans jamais se remarier.

Le destin semblait s’acharner sur la famille Lemp. En 1906, alors que Billy se débattait toujours devant la Cour,  Julia, sa mère, luttait depuis plus d’un an contre un cancer. Au mois de mars, son état s’était tellement détérioré qu’elle n’était plus que souffrance. Elle s’éteignit peu de temps après dans la chambre où son mari avait mis fin à ses jours. Au cours de cette même année, neuf des plus grandes brasseries de la région se réunirent afin de former une nouvelle société, venant dangereusement concurrencer l’entreprise familiale. En 1911, souhaitant s’éloigner de Saint-Louis et de sa société, Billy se fit construire une maison de campagne, puis il reconvertit le manoir en bureaux et rajouta deux grands silos au sud de la brasserie. Malheureusement, depuis des années il laissait l’équipement de l’usine se détériorer, ne se tenait pas informé des dernières innovations industrielles, et quand la Première Guerre mondiale éclata, l’entreprise en souffrit bien plus douloureusement que ses concurrentes. En 1919, le dix-huitième amendement à la Constitution des États-Unis fut ratifié, interdisant la fabrication, la vente et le transport de boissons alcoolisées, précipitant la perte de la Lemp Brewing. Tout comme ses concurrents, Billy tenta de reconvertir la brasserie en sortant une bière sans alcool, la Cerva, mais malheureusement, elle n’était pas assez rentable pour soutenir une aussi grosse entreprise que la sienne et en juin 1919, il décida brusquement de fermer la brasserie, sans même prévenir ses infortunés employés qui apprirent la fermeture en découvrant ses portes verrouillées. Une fois l’usine fermée, Billy décida de liquider ses actifs et de vendre les bâtiments aux enchères. Aucun de ses frères et sœurs ne s’intéressa au sort de la brasserie et la rumeur rapporta que les enfants de William Lemp étaient si riches qu’ils n’avaient eu aucune envie de se battre quand les affaires étaient devenues difficiles, ce qui n’était pas loin de la vérité.

Elsa Wright

Si Billy traversait une période difficile, sa jeune sœur Elsa connaissait des amours compliqués. En 1910, la jeune femme avait épousé Thomas Wright, un industriel, mais en neuf ans plus tard elle avait demandé le divorce, déclarant que son mari avait détruit sa paix et son bonheur, et l’autorisation lui avait été accordée le jour même. Par la suite, Elsa et Thomas s’étaient réconciliés et peu de temps après, le 8 mars 1920, ils s’étaient remariés. Le 19 mars au matin, Elsa expliqua à son mari qu’elle pensait rester couchée toute la matinée car elle avait passé une mauvaise nuit. Thomas se dirigeait vers la salle de bain quand soudain il entendit une forte détonation dans la chambre. Pensant que sa femme cherchait à attirer l’attention, il se dirigea vers la pièce et là, il découvrit qu’elle venait de se donner la mort de la même manière que son père.
Les serviteurs prévinrent rapidement le Dr Clopton et Samuel Fordyce, un ami de la famille mais curieusement, personne ne pensa à prévenir la police au cours des deux heures qui suivirent, et ce fut M. Fordyce qui finit par s’y résoudre. Prévenus du drame, ses frères se précipitèrent chez Elsa, et en rentrant dans la chambre, Billy lança cyniquement:  » De la part de la famille Lemp pour vous.  » Au cours de l’enquête, Thomas Wright se montra  » très agité « , fuyant tout contact avec les enquêteurs et disant, pour expliquer son attitude, qu’il était perplexe et ne savait pas quoi faire. Ces étranges réactions poussèrent certains à penser que cette histoire n’était pas claire mais personne ne fut jamais inquiété.

Depuis la fermeture de l’entreprise familiale, Billy déprimait. Il avait cédé la célèbre appellation Falstaff pour 25 000$ et en 1922, après avoir bradé la fabrique pour 588 000$, elle valait 7 millions de dollars avant la prohibition, il s’enfonça un peu plus dans la dépression. Tout comme son père avant lui, il se montrait nerveux et fuyait la vie publique, se plaignant de sa mauvaise santé et de ses maux de tête. Le 29 décembre 1922 au matin, Billy discuta un moment au téléphone avec sa femme puis il se rendit dans son bureau, déboutonna sa veste et se tira une balle en plein cœur. Il mourut un peu plus tard, au cours de la même journée. Apercevant son corps, son fils s’écria:  » Tu savais que je le savais! J’avais peur que cela n’arrive!  » William expliqua aux enquêteurs qu’il craignait un tel drame car même si son père semblait n’avoir aucune intention de se suicider, depuis la vente de la brasserie, il parlait de solder le reste de ses biens et de voyager en Europe pendant un certain temps, ce qui l’inquiétait.

Cortège Funéraire de Billy
Cortège Funéraire de Billy

En 1933, à la fin de la prohibition, William III tenta courageusement de relancer la bière familiale, concluant un accord avec une brasserie de Saint-Louis qu’il rebaptisa la William J. Lemp Brewing Company, et même si les chiffres de vente initiaux furent encourageants, un an et demi plus tard, l’entreprise faisait faillite. Sa maison fut alors saisie et son mariage prit fin. S’il ne fut pas aussi médiatique que celui des parents, son divorce fut des plus douloureux et en 1943, William succomba à une crise cardiaque. Il était alors âgé de 42 ans.

William III Lemp

A cette époque, Charles et Edwin Lemp, deux de ses oncles, habitaient toujours à Saint-Louis. Les deux hommes avaient tous les deux travaillé à la brasserie puis Charles s’était reconverti dans la banque et l’immobilier, et depuis 1911, Edwin s’était retiré dans sa grande maison de campagne où il vivait reclus. Cependant, malgré la Grande Dépression qui menaçait l’économie, leur fortune était telle qu’ils trouvaient à l’abri du besoin pour toute leur vie.

De part ses occupations professionnelles et son implication dans la vie politique Charles semblait bien intégré dans la société et pourtant, il restait un homme mystérieux qui semblait devenir de plus en plus bizarre avec le temps. En 1929, il s’installa au Manoir Lemp, qu’il réaménagea en résidence, et ne s’étant jamais marié, il y vécut seul avec avec son chien et ses serviteurs. La légende raconte qu’il avait terriblement peur des microbes et qu’il portait toujours des gants afin pour s’en protéger. En 1941, Charles fit parvenir une lettre au salon funéraire de Saint-Louis, qui contenait le règlement de ses obsèques et des instructions précises quand à la façon de procéder lors de sa disparition. Il demandait à ce que son corps ne soit ni lavé, ni modifié ou habillé d’une quelconque manière, et que quoi que sa famille puisse exiger, aucun service ne soit tenu et qu’aucun avis de décès ne soit publié. Dès que sa mort serait constatée, son corps devrait immédiatement être transporté au crématoire du Missouri puis ses cendres devraient être placées dans une boite en osier et enterrées dans sa ferme.

Charles Lemp

A 77 ans, Charles, qui était arthritique et malade, se montrait de plus en plus amer et il développait un attachement morbide pour le manoir familial dont il refusait souvent de sortir. Son frère Edwin l’encourageait souvent à se joindre à lui, mais fuyant les distractions autant que la compagnie des hommes, il refusait toujours. Le 10 mai 1949, le corps de Charles fut découvert par l’un de ses collaborateurs, qui convoqua immédiatement la police. Charles était allongé sur son lit, un revolver de calibre 38 dans la main droite. Non loin de lui, se trouvait une lettre manuscrite qui disait:  » Si je suis retrouvé mort, que personne n’en soit blâmé à part moi  » et au sous-sol, gisait son chien, qu’il avait abattu d’une balle avant de se suicider. Le lendemain du drame, Edwin se rendit à la maison funéraire, où les cendres de son frère lui furent remises, puis, comme Charles en avait exprimé la volonté, il les transporta jusqu’à sa ferme, et les y enterra. Si ces instructions étaient pour le moins singulières, elles n’étaient pas le plus grand mystère de l’histoire car de la fameuse ferme de Charles, jamais personne n’en retrouva jamais la trace.

Edwin Lemp

Après la mort de Charles, Edwin vendit le manoir, qui fut alors transformé en pension de famille, et il vécut une vie heureuse, dans sa luxueuse maison de campagne aux environs de Saint-Louis. Cependant, en vieillissant, il se montrait de plus en plus étrange et semblait avoir développer une peur extrême de la solitude. Il ne parlait jamais des membres sa famille, ou de leurs fins tragiques, pensant peut-être que le silence suffirait à éloigner un danger qu’il sentait tout proche.

Edwin s’éteignit en 1970, à l’âge de 90 ans, et tout le monde pensa qu’il avait vécu aussi longtemps car il avait vendu la grande maison familiale, qui était maudite. Il fut le dernier des enfants de William à partir, et le dernier des Lemp à habiter le manoir. Tout au long de sa vie, Edwin avait collectionné les œuvres d’art. Il avait reçu de nombreuses pièces rares de sa riche famille et il avait ramené une multitude d’objets précieux de ses voyages à travers le monde mais étrangement, dans son testament, il demandait à ce que toutes ses collections soient détruites, sans aucune exception. Bien qu’aucune explication n’ait été donnée, la rumeur prétendit qu’il avait émis un tel souhait car il craignait que la malédiction familiale ne se transmette à travers son héritage. Ainsi partirent en fumée les derniers vestiges de l’empire des Lemp.

La Hantise

Couloir du Manoir des Lemp

Peu de temps après qu’Edwin ait vendu le manoir, des rumeurs commencèrent à circuler rapportant que les résidents de la pension de famille entendaient souvent d’inexplicables coups et des bruits de pas dans la maison. Puis, comme ces histoires connaissaient une certaine notoriété, il devint de plus en plus difficile aux propriétaires de trouver des locataires pour occuper les chambres, et bientôt ils connurent des temps difficiles. L’établissement étant rarement rempli, les travaux nécessaires à l’entretien du bâtiment ne pouvaient être effectués, et le vieux manoir commença à se détériorer.

En 1975, lorsque Richard Pointer acheta le manoir pour le reconvertir en restaurant, il se trouvait dans un état de délabrement avancé. Les membres de la famille Pointer commencèrent alors à le restaurer mais alors qu’ils travaillaient à la rénovation de la maison, ils observèrent un certain nombre de phénomènes inexpliqués. Un jour, alors que Richard repeignait l’ancienne salle de bain de Billy, il eut tellement peur qu’il dut la quitter:  » Je peignais la salle de bain moi-même. Il n’y avait personne d’autre dans la maison et j’ai senti quelqu’un derrière moi, qui me regardait. Je veux dire, c’était un terrible sentiment, la pire des sensations qu’on peut avoir. J’ai la chair de poule rien qu’en y pensant. Je me suis retourné, mais personne n’était là. J’ai recommencé à travailler, mais j’ai à nouveau éprouvé le même sentiment alors, sans regarder derrière moi, j’ai nettoyé mes pinceaux et je suis sorti de là à toute vitesse. « 

Peu de temps après, Richard embaucha un artiste local, Claude Breckwoldt, pour restaurer les plafonds peints à la main du manoir. Il s’était bien gardé de le prévenir de l’étrange sensation qu’il avait éprouvée, mais l’artiste allait, lui-aussi, rapporter une expérience similaire:  » J’étais sur l’échafaudage, couché sur le dos, peignant le plafond de la salle à manger, quand j’ai eu le sentiment que quelqu’un me regardait. J’avais l’impression qu’ils étaient dans le couloir, juste à l’extérieur de la pièce, mais je ne pouvais rien voir à travers les portes en verre dépoli. J’ai continué à travaillé, et environ une heure plus tard, ce sentiment est revenu. C’était bizarre. J’ai compris que je devais sortir tout de suite de là.  » Poussé par cette impérieuse sensation, Claude se précipita hors de la maison, sans même nettoyer ses pinceaux ou verrouiller la porte derrière lui. Un peu plus tard, quand il rencontra Richard il lui dit:  » C’est endroit est fou. Vous devez avoir un fantôme ou quelque chose là-dedans! « 

Durant cette période, les différents ouvriers qui participèrent à la rénovation du manoir rapportèrent souvent des manifestations étranges, se plaignant de la disparition de leurs outils, de bruits étranges ou d’avoir été observés. Troublés par cette présence qu’ils sentaient sans la voir, certains de ces travailleurs quittaient le chantier et ne revenaient jamais. A une certaine occasion, Dick, le fils de Richard, passa une nuit dans la maison avec son doberman, Shadow. Ils dormaient quand soudain un bruit, qui ressemblait à une forte détonation, retentit devant la porte de sa chambre, les réveillant en sursaut. Accompagné de son chien, le jeune homme fouilla alors le manoir, mais ce fut en vain.

Le Manoir des Lemp
Le Manoir de nos Jours

Une fois l’établissement ouvert, les membres du personnel et les clients du restaurant commencèrent eux-aussi à raconter leurs expériences. Leurs histoires parlaient de lunettes qui s’envolaient dans les airs, de bougies et de lumières qui s’allumaient toutes seules, de tiroirs qui se refermaient de leur propre volonté, de verres qui bougeaient, d’objets qui disparaissaient et réapparaissaient dans des endroits différents, de bruits étranges, de portes fermées à clef qui se déverrouillaient inexplicablement, de voix désincarnées, de hennissements de chevaux et de martellement de sabots dans la rue devant la maison. Un soir, Dick fermait le restaurant en compagnie d’un employé quand ils entendirent deux notes jouées sur le piano. Intrigués, les deux hommes vérifièrent chaque pièce de la maison, mais elle était déserte.

Ces différentes manifestations causèrent le départ d’un certain nombres d’employés, parmi lesquels Bonnie Strayhorn.  » Tôt un matin, j’allais et venais dans la maison, m’assurant que tout était bien en ordre pour l’ouverture du restaurant, quand j’ai remarqué un homme aux cheveux noirs assis à une table dans ce qui était à l’origine la salle à manger familiale des Lemp. Il était loin de moi mais il me faisait face, donc tout ce que je pouvais voir étaient le contour de ses épaules et sa tête. J’ai été surprise de voir quelqu’un dans le restaurant si tôt, mais je lui ai demandé s’il voulait une tasse de café. Il n’a pas répondu. J’ai détourné les yeux un instant pour allumer la lumière, mais quand je me suis retournée, il avait disparu.  » La jeune femme quitta son emploi le jour même, expliquant qu’il était impossible pour un homme assis là et d’avoir quitté la salle sans qu’elle le voit.

En 1980, le magazine Life affirma que le Manoir Lemp était l’une des neuf maisons les plus hantées d’Amérique, et une multitude de chasseurs de fantômes se précipitèrent sur les lieux. De nos jours, le manoir sert toujours de restaurant, mais également d’auberge et ses propriétaires le font visiter pour satisfaire la curiosité des amateurs du paranormal. Trois zones connaitraient plus de manifestations que les autres: l’escalier, le grenier, et le passage souterrain surnommé  » Les Portes de l’Enfer  » ( Gates of Hell), qui relie la maison aux grottes. Parmi les nombreux fantômes qui hanteraient le manoir, se trouverait celui de Julia, la femme de William.

Elle se montrerait souvent au deuxième étage, sous l’apparence d’une dame à la longue robe blanche, cherchant désespérément à retrouver son fils Zeke, qui aurait été son dernier enfant et qui serait mort à l’âge de 16 ans d’une chute dans les escaliers. La légende raconte que Zeke était né malformé et que ses parents, refusant de le placer en institution, l’avaient enfermé au grenier pour le dissimuler aux yeux de tous. Cependant, une autre version de l’histoire rapporte qu’à l’époque, le grenier servait de quartiers aux domestiques, qui adoraient Zeke et l’amenaient souvent avec eux, pour le surveiller ou jouer avec lui sur la grande terrasse attenante, loin des regards moqueurs des enfants du quartier. Malheureusement, Julia chercherait son fils au second étage, alors que le jeune homme hanterait le grenier et jamais ils ne se croiseraient.

Julia et l'escalier de Zeke
Julia et l’escalier de Zeke

Une autre histoire, bien plus cynique, rapporte que Zeke était le fils que Billy avait eu avec une servante ou une prostituée, et qu’il était né avec le syndrome de Down. Dans cette version, l’enfant vivait dans une chambre mansardée du grenier. Après la mort de Billy, Charles se serait occupé de Zeke, aidé dans sa tâche par ses deux serviteurs et son frère Edwin. Puis, alors qu’il était âgé le 16 ans, le jeune homme se serait tué en tombant dans les escaliers.

Un peu partout dans la maison, des voix d’enfants se feraient entendre, répétant  » Aidez-moi,  »  » Encore et encore  » ou  » Viens jouer avec moi.  » Au rez-de-chaussée, à la place des toilettes pour dames, se trouvait autrefois le bureau de Billy. Alors qu’elles se trouvaient enfermées dans les toilettes, de nombreuses femmes auraient vu un homme regarder furtivement sous la porte et disparaitre ensuite. Un jour, en revenant au bar, l’une d’entre elles déclara aux deux hommes qui étaient assis là:  » J’espère que vous en avez eu plein la vue.  » Mais les deux hommes nièrent avoir quitté la pièce, ce que confirma le barman. De la chambre de William, les visiteurs entendraient parfois quelqu’un courir dans l’escalier et taper sur la porte. L’histoire raconte que le jour du suicide de son père, Billy aurait monté les escaliers quatre à quatre puis il aurait donné de grands coups de pieds à la porte  verrouillée. Des sons inexplicables et des pleurs s’élèveraient des grottes souterraines, qui seraient particulièrement animées. Selon la légende, longtemps avant que la famille Lemp ne construise leur maison, deux jeunes amoureux amérindiens s’étaient cachés dans la grotte et y étaient morts de faim. Cette histoire aurait malheureusement été confirmée par les explorateurs qui auraient découvert leurs ossements.

Selon Paul Pointer, le propriétaire actuel du Manoir Lemp, son établissement proposerait un restaurant et un hébergement de remarquable qualité et les divers phénomènes qui pourraient y être observés ne seraient que l’un des autres côtés de l’étrange manoir. Les esprits, qui se montreraient toujours amicaux, seraient particulièrement actifs, ce qui réjouirait les nombreux amateurs:  » Les gens viennent ici et s’attendent à vivre des choses étranges. Heureusement pour nous, ils sont rarement déçus. « 

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