L’Incroyable Docteur Faust

Le film français La Beauté du Diable, de René Clair, raconte l’histoire d’un homme, le professeur Faust, qui vend son âme au diable. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Faust n’est pas un personnage légendaire. L’histoire de sa vie est parvenue jusqu’à nous grâce à un écrit anonyme de 1587, Historia Von Johann Fausten, qui relate la vie d’un certain docteur Georgius Sabellicus Faustus Junior, l’un des plus grands érudits de son temps, réputé pour sa passion pour les sciences occultes et son pacte avec le diable. En introduction, l’auteur affirmait que cette histoire lui avait été communiquée par un ami de bonne foi, qu’elle était certifiée par des personnes qui avaient connu Faust et il précisait que certains détails provenaient directement des écrits du docteur. Par la suite, ce récit fut repris par Christopher Marlowe, qui en fit une pièce, puis par Goethe, qui écrivit le célèbre Faust. Je vous propose de découvrir la Vraie Histoire du docteur Faust, telle qu’elle fut rapportée dans son édition originelle.

La représentation la plus fidèle du docteur Faust

Georgius Sabellicus Faustus Junior serait né en 1480, à Roda, en Allemagne, dans une famille de paysans aisés qui, en pleine ascension sociale, se préoccupaient de la formation intellectuelle de leur fils. Comme le jeune garçon semblait posséder des dons exceptionnels, ses parents décidèrent de confier son éducation à l’un de ses oncles installé à Wittenberg, un bourgeois sans enfant qui possédait quelque fortune et le tenait en grande estime. Grâce à la sollicitude de cet oncle, à l’age de dix ans, Faust entreprit de brillantes études de théologie. Particulièrement doué, il faisait preuve d’une ardeur peu commune, travaillant sans compter. Ses excellents résultats et ses remarquables qualités intellectuelles lui permirent de devenir docteur en théologie sans grande difficulté. Parallèlement à la théologie il étudiait également, surtout par lui-même, la médecine, l’astrologie, l’astronomie, les mathématiques et quelque peu la physique, comme le confirme une lettre écrite à Jonas Victor, l’un de ses anciens condisciples devenu médecin à Leipzig avec lequel il allait garder contact tout au long de sa vie. Cependant, les penchants naturels de Faust se trouvaient forts éloignés des Saintes-Écritures. On l’appelait le spéculateur, le contemplateur, et ses mauvaises connaissances l’entrainèrent rapidement à mener une vie de débauche.

Faust était un homme cultivé mais rien ne semblait pourvoir lui apporter les réponses qu’il cherchait. Afin d’assouvir sa soif de connaissances, il décida de partir en voyage et se mit à parcourir les routes d’Europe, allant de ville en ville au gré de ses humeurs, disant  » bien des choses mystérieuses  » à ceux qu’il croisait. Au cours de ce voyage, il se rendit à Cracovie, en Hongrie, une ville où se trouvait une école de magie fort renommée. Il y séjourna quelques temps, se plongeant dans l’étude de la nécromancie (On appelait Nécromancie la divination faisant appel à l’esprit des morts), de l’alchimie, de la sorcellerie et autres branches du savoir occulte. Fasciné par les sciences occultes, Faust spéculait et étudiait jour et nuit. Quand il eut terminé, il décréta qu’il ne voulait plus être appelé théologien, mais docteur en médecine, astrologue et mathématicien.
Faust avait appris les sciences et la magie, mais il n’était toujours pas satisfait et rêvait toujours à l’impossible. Il voulait voler dans les cieux, tout voir, tout connaître. Sa curiosité et son audace étaient telles qu’il se résolut à faire usage de ses sortilèges et conjurations. Un jour, alors qu’il se trouvait à Erfurt, Faust offrit de reproduire en l’espace de quelques heures les comédies perdues de Plaute et de Térence mais ses professeurs refusèrent de le mettre à l’épreuve car ils ne pouvaient envisager une telle tentative sans magie. Il se vanta également de pouvoir faire revivre les œuvres de Platon et d’Aristote dans le cas où elles viendraient à être complétement perdues. Cette anecdote allait lui valoir les foudres de Jean Tritthein, comme le prouve cette lettre écrite par le moine le 20 aout 1507, à Wûrzbourg. Elle était adressée au mathématicien Jean Virdung, qui officiait comme astrologue à Ilasfurt:

 » L’homme dont tu m’as parlé, ce George Sabellicus, qui ose s’appeler le prince des nécromants, est un vagabond ou hâbleur qui mérite le fouet pour qu’à l’avenir il perde l’envie de professer des principes si odieux et si contraires à la Sainte Église. Que sont, en effet, les titres qu’il s’attribue, sinon la marque d’un esprit sot et insensé, qui laisse voir de la fatuité au lieu de philosophie? Voici, en effet, comme il s’intitule: Maître George Sabellicus, Faust jeune, prince des nécromants, astrologue, second mage, chiromancien, agromancien, pyromancien, second hydromancien.
Vois la folle témérité de cet homme, qui ose se proclamer le prince des nécromants et qui, ignorant toutes les belles-lettres, devrait s’appeler fou plutôt que maître. Mais sa perversité m’est connue. Quand l’année dernière je revins de la marche de Brandebourg, je trouvai cet homme dans la ville de Gelnliausen, et dans l’hôtellerie j’entendis parler des promesses magnifiques qu’il avait eu l’audace de faire. Mais lorsqu’il apprit mon arrivée, il quitta l’hôtellerie, et jamais il ne voulut consentir à se présenter devant moi. Les titres de sa sottise qu’il m’a fait parvenir et que j’ai mentionnés, il avait chargé un bourgeois de me les remettre.
En ville, on m’a rapporté qu’il s’était vanté, en présence de beaucoup de monde, d’avoir acquis une telle science et une telle mémoire que, si tous les ouvrages de Platon et d’Aristote venaient de se perdre, lui les rétablirait avec plus d’élégance qu’avant. Comme j’étais à Spire, il vient à Inglostadt et, poussé par la même vanité, il dit en présence de nombreuses personnes que les miracles du Christ n’étaient pas si merveilleux, qu’il pouvait les refaire quand et aussi souvent qu’il le voulait.
Pendant le dernier carême, il vint aussi à Kreuznacli, et, toujours aussi glorieux, il promit monts et merveilles, disant qu’il était le premier de tous les alchimistes et qu’il savait et pouvait tout ce qui faisait l’objet des désirs des hommes. Justement, était vacant un emploi de professeur, qu’il obtint par l’entremise de Franz de Sickingen, bailli de ton prince et homme fort porté au mysticisme. Mais bientôt il fit consister son système d’éducation en débauche avec ses élèves, et lorsque sa conduite vint au jour, il se déroba au châtiment par une prompte fuite. Voila le très sur témoignage que je puis te rendre de cet homme que tu attends avec tant d’impatience. Lorsqu’il se présentera chez toi, tu trouveras non un philosophe, mais un fat et un audacieux. Adieu, pense à moi « .

Ce portrait est peu flatteur mais Tritlhein était un moine plein de préjugés et peut-être nourrissait-il quelque jalousie envers la nécromancie du mage. Mais Faust ne laissait personne indifférent. Pour certains, il était un intellectuel avide de connaissances, un homme qui aimait les livres, un brillant esprit qui s’adonnait à la magie, un hédoniste qui profitait des plaisirs de la vie, alors que d’autres ne voyaient en lui qu’un charlatan, un débauché, un moins que rien. Il exerçait le métier de professeur et l’on disait qu’il était adoré de ses élèves. Les cours qu’il donnait et les différents philtres, potions, baumes, calendriers et horoscopes qu’il se faisait grassement payer lui permettaient de subsister.
Faust bénéficiait du soutien de quelques libres penseurs qui assuraient sa protection mais il semblait également avoir un don tout particulier pour se faire des ennemis et il se faisait régulièrement chasser des villes où il enseignait. En 1513, lorsqu’il se rendit une nouvelle fois à Erfurl, Faust reçut la permission d’ouvrir un cours public sur Homère à l’université de la ville. A cette occasion, il présenta les héros de l’Iliade avec une telle clarté que l’on aurait pu croire qu’il les avait lui-même connus. Les étudiants, qui n’ignoraient pas jusqu’où allait sa science étrange, lui demandèrent alors s’il lui était possible de faire défiler devant eux les principaux personnages des poèmes d’Homère. Faust y consentit et les mena dans une chambre obscure en leur défendant de parler. Là ils virent venir, l’un après l’autre, chacun avec ses attributs et son caractère particulier: les demi-dieux, les déesses, les rois et les guerriers décrits dans l’Iliade et l’Odyssée. Mais quand arriva le géant Polyphème avec son œil au milieu du front, sa barbe rouge et son énorme massue à la main, les étudiants prirent peur et ils se sauvèrent en criant. Deux d’entre eux affirmèrent même que Polyphème avait voulu les manger.
Le bruit de cette aventure ne tarda pas à se répandre dans la ville et le franciscain Klinge s’en vint trouver Faust pour tâcher de le convertir. N’ayant pas réussi à le faire revenir vers Dieu, Klinge l’envoya au Diable et le fit chasser de la ville.

Faust et Méphistophélès

Même s’il connaissait une certaine notoriété, le docteur Faust cherchait toujours à atteindre un savoir qu’il devinait maintenant inaccessible. Aussi, après avoir épuisé toutes les autres possibilités, décida-t-il de passer un pacte avec le diable. Ghristophe Hayllinger, un cristallomancien qui était en pension chez lui, allait lui en fournir le moyen en lui offrant le pouvoir de conjurer le démon à l’aide d’un cristal.
En 1521, à la tombée du jour, Faust se rendit dans une épaisse forêt, et là, à la croisée des quatre chemins, il traça un cercle à l’aide de sa baguette magique puis, à côté, deux autres qui recoupaient le premier. Le diable fit d’abord mine de ne pas vouloir se plier aux ordres de Faust et il envoya des esprits qui se déchainèrent violemment contre lui, faisant souffler le vent, déchainant la tempête, vrillant le ciel d’éclairs, afin de le faire sortir de son pentacle protecteur.
Puis apparut enfin un terrifiant dragon qui hurlait et crachait des flammes. Comme Faust semblait rester imperturbable face à cette démonstration de puissance, le dragon cracha une boule de feu qui tourna frénétiquement autour du pentacle avant de prendre forme humaine. Méphistophélès se tenait maintenant devant lui, et il présentait la forme d’un moine gris. Néanmoins, avant de signer le pacte, Faust posa six conditions:
-Le démon devait avoir les talents, la forme et l’esprit d’un démon,
-Il devait faire tout ce qu’il lui demanderait,
-Il devait se montrer un serviteur obéissant,
-Il devait se trouver dans sa maison chaque fois qu’il aurait besoin de lui,
-Il serait invisible dans la maison et ne se montrerait que sous son ordre,
-Il apparaitrait aussi souvent et sous la forme que Faust voudrait.
Le démon, de son côté, présenta cinq articles:
-Faust promettait de lui appartenir,
-Il devait signer cette promesse de son sang,
-Il serait l’ennemi des chrétiens,
-Il renierait la foi chrétienne,
-Il ne se laisserait pas séduire par des propositions de conversions.

Les obligations mutuelles étant arrêtées, Faust s’ouvrit une veine de la main gauche pour signer de son sang mais, comme sous l’effet d’une divine protection, celui-ci refusa de couler. Méphistophélès alluma alors un feu de charbon et invita Faust à s’y réchauffer. Refusant d’écouter l’avertissement divin, le mage s’approcha du feu et scella son destin de son sang. Faust, qui voulait sonder les mystères ultimes de la terre et des cieux, venait de signer un pacte de vingt-quatre ans de puissance et de connaissance absolue en échange de son âme.
Dans ses écrits, le docteur Faust expliqua ainsi les motifs de son alliance avec le diable:  » Après que j’eus résolu d’étudier les éléments, et que je me fus senti incapable de les connaître par le moyen de mes facultés naturelles ou par le secours des hommes, je me suis donné au présent génie Mephostophiles, serviteur du prince infernal d’Orient, et l’ai choisi pour m’apprendre ce que je désirais savoir « .

A partir de ce moment là, Méphistophélès remplit l’office d’un dévoué serveur. Faust faisait autant de bons dîners qu’il le voulait, il buvait tous les vins qu’il désirait et s’il nommait un oiseau, cet oiseau entrait rôti par sa fenêtre. Il se promenait dans de riches habits que le démon avait achetés ou volés durant la nuit et il pouvait dépenser à sa guise les vingt-cinq couronnes par semaine que Méphistophélès lui donnait à titre d’appointements.
Ne pouvant entrer dans une église, Faust s’était tourné vers la lecture de la Bible, ce que le démon lui permettait, mais seulement pour une partie du livre saint:  » Tu omettras les premier, deuxième et cinquième livres de Moïse, puis tous les autres à l’exception de celui de Job; je ne te permets pas les psaumes de David. Dans le Nouveau Testament, tu pourras lire le péager, le peintre et le médecin (Matthieu, Marc et Luc), évite Jean, le bavard Paul et les autres qui ont écrit des épîtres, je ne te les permets pas non plus « . Le démon lui avait conseillé la lecture des Pères de l’Église, et il lui permettait d’en discuter avec lui, sauf de la Trinité et des sacrements.
Comme Méphistophélès avait la mauvaise habitude de surgir des Enfers au moment où il s’y attendait le moins, le mage lui avait demandé de se munir d’une petite clochette et de s’en servir afin d’annoncer sa venue, ce que le démon avait accepté de bonne grâce.

Faust composait des calendriers, qu’il dédiait aux princes et aux grands seigneurs qui en étaient friands, et il avait également de longues discutions avec Méphistophélès, lequel lui avait appris la raison des saisons, le cours des cieux, la création de l’homme et du monde. Un jour, Faust ayant demandé à voir quelques-uns des principaux démons, le diable Bélial lui apparut et lui annonça que ses principaux conseillers et serviteurs l’attendaient à la porte. Faust reçut avec empressement ses augustes visiteurs mais lorsqu’ils s’en allèrent lui vint une nouvelle idée: il voulait voir l’enfer.
Alors, à minuit, Beelzébub se présenta à lui, ayant sur le dos un siège fait d’ossements. Faust monta dessus et partit. Beelzébub l’emporta dans les airs où il s’endormit comme s’il était dans un bain. Il devint alors le jouet de toutes sortes de visions, mais le démon refusa de vraiment lui montrer l’enfer car si Faust l’avait vu, il n’aurait plus voulu y entrer. Après cette fausse visite des enfers, Faust parcourut les constellations sur un char mené par deux dragons et il relata sa fantastique aventure à son vieil ami Jonas Victor. Dans cette lettre, il expliquait que pendant deux jours, il s’était élevé dans le ciel d’où il avait pu discerner les continents et le monde entier. Le troisième jour, le magicien avait pu contempler l’Afrique, la Turquie, Constantinople, voyageant de l’Orient à l’Occident, du Nord au Midi, volant au-dessus de la pluie, des nuages et du beau temps. Le voyage avait duré huit jours. En revenant sur terre, il s’était empressé de poser toute son épopée par écrit. Faust terminait son message de ces quelques mots:  » Si vous regardez dans vos livres, vous y verrez si ce que j’ai aperçu n’est pas conforme à ce qu’ils disent. Je vous salue amicalement. Signé: Dr Faust, l’explorateur des astres « .

Le Docteur Faust était également réputé pour ses nombreux prodiges publics, plus ou moins réussis. Alors qu’il se trouvait à Venise, le mage voulut offrir un spectacle et promit à l’assemblée qu’il s’élèverait dans les airs. Si le diable, en effet le souleva, il le laissa retomber si violemment qu’il faillit rendre l’âme. Cependant, il ne mourut point.

A Goslar, un maître d’école apprit du magicien Faustus la manière d’enfermer Satan dans un verre. Pour n’être gêné par personne, il se rendit un jour dans la forêt, où, après une conjuration magique, le diable lui apparut sous un aspect horrible, avec des yeux de flamme, un nez en corne de bœuf, de longues défenses semblables à celles d’un sanglier et des joues qui rappelaient celles du chat. Terrifié par cette apparition, le maître d’école se jeta par terre et resta quelques temps étendu, à demi mort. Lorsqu’il reprit ses esprits, il suivit le chemin de la ville et rencontra des amis qui, frappés de la pâleur de son visage, lui en demandèrent la cause. L’homme était tremblant, comme fou, mais il ne disait pas un mot. Lorsqu’on le ramena chez lui, il poussa des cris horribles et se mit à divaguer. Au bout d’un an il parla enfin et raconta l’apparition dont il avait été témoin. Il communia, et trois jours après, se recommandant à Dieu, il rendit l’âme.

Un certain mois de janvier, Faust arriva chez le comte d’Anhalt, qui lui fit le meilleur accueil et l’invita à dîner. Une fois à table, il remarqua que la comtesse était enceinte de plusieurs mois. Vers la fin du repas, il lui dit qu’il avait toujours entendu que les femmes enceintes avaient toutes sortes d’envies, et la pria de lui avouer l’objet de ses désirs. La comtesse lui répondit qu’elle aurait aimé être en automne et pouvoir manger des raisins et d’autres fruits. Une demi-heure plus tard, les vœux de la comtesse étaient exaucés.

Quelques étudiants étrangers de Hongrie, de Pologne, de Garinthie et d’Autriche qui, à Wittemberg, fréquentaient souvent le docteur Faust, le prièrent, lors de la foire de Leipzig, de s’y rendre avec eux. Ils étaient curieux de voir cette animation, ce rassemblement de marchands, et certains espéraient aussi s’y faire un peu d’argent. Faust se rendit à leur désir et alla donc à Leipzig avec eux. Le jour suivant, alors qu’il visitait la ville en leur compagnie, ils passèrent devant une cave dont les tonneliers cherchaient en vain à en faire sortir un énorme tonneau. Ils regardèrent en silence s’agiter les ouvriers puis Faust s’écria:  » Fainéants, vous êtes autant que cela et vous ne pouvez venir à bout d’un pareil tonneau! Un seul d’entre vous devrait le maitriser, s’il s’y prenait bien « .
Les garçons tonneliers s’offensèrent d’un tel langage et lui répondirent crûment que s’il savait mieux qu’eux rouler ce tonneau, il devait les aider et non se moquer d’eux.
Sur ces entrefaites vint le propriétaire, qui, ayant appris la cause du débat, se mit à dire:  » Fort bien, je vais trancher la question: celui d’entre vous qui roulera seul le tonneau, en deviendra possesseur « . Faust, sans tarder, entra dans la cave, se mit sur le tonneau, comme on se met à cheval, et sortit avec, du caveau. Le propriétaire était terrifié, il n’en croyait pas ses yeux, mais il dut tenir sa promesse et abandonner le tonneau à Faust, qui le livra à ses compagnons de voyage, qui appelèrent d’autres bons amis, et nul ne partit avant que le tonneau ne fut vide.

Faust sur le tonneau

Cette scène fut représentée sur deux peintures sur bois datées de 1525. Sur l’une, Faust est montré à cheval sur un tonneau, et on peut lire ces six vers:
Le docteur Faust en ce temps
Sortit à cheval du caveau d’Auerbach
Sur un tonneau plein de vin, rapidement,
Ce que virent beaucoup de personnes.
Il fit cela par son art subtil,
Et en reçut récompense du diable.

Sur l’autre, Faust boit avec des musiciens et des étudiants et on y trouve cette légende:
Va, bois, fréquente tes amis, en te souvenant de Faust et son châtiment. Celui-ci est venu pour lui en boitant, mais terrible.

Un jour que Charles-Quint était avec à sa cour à Insbruck, Faust y fit paraitre, à sa demande, Alexandre le Grand et sa femme  » tels qu’ils se montraient vivants « . Afin de s’assurer qu’il n’était point dupe d’une illusion, l’empereur, qui avait entendu dire que la femme d’Alexandre possédait un grain de beauté sur la nuque, regarda si le grain y était, et le vit effectivement.
Le dimanche de Quasimodo, des étudiants vinrent, sans être invités, chez le docteur Faust pour souper, apportant avec eux de la viande et du vin. Ils étaient de joyeux compagnons et après quelques verres de vin la conversion en vint aux belles femmes. Là, l’un d’eux affirma qu’il ne voulait point voir de belle femme sinon Hélène de Grèce qui avait été la cause de la ruine de Troie. Faust sortit alors de la pièce, et lorsqu’il revint, la reine Hélène le suivait de près, magnifique dans sa riche robe de pourpre noire. Tous les étudiants présents s’enflammèrent d’amour pour elle et aucun ne put dormir de la nuit.

Le docteur Faust semblait également posséder un curieux sens de l’humour qui ne devait pas faire l’unanimité. Un jour, alors qu’un homme à la barbe noire et au teint foncé s’approchait de lui, Faust s’écria:  » Parbleu! Je te prenais pour mon beau-frère, c’est pourquoi je regardais si tes pieds se terminaient par des griffes « .

A une période de sa vie, Faust aurait eu besoin d’argent. Comme il tenait table ouverte et dépensait sans compter, bientôt ses revenus se révélèrent insuffisants, même avec le secours du diable qui garnissait régulièrement sa bourse. Caressant l’espoir de ne jamais avoir à le rembourser, il décida donc d’emprunter de l’argent et, pour se faire, il alla voir un usurier auquel il fit cette étrange proposition:
 » Juif, je n’ai pas d’argent et je ne vois aucun moyen de m’en procurer. Mais, afin de te donner la certitude que tu seras payé, je suis prêt à me couper un membre, soit un bras, soit une jambe et à te le donner en gage. Seulement, c’est à une seule condition que tu me rendes mon gage une fois remboursé « .
L’usurier accepta ce surprenant marché et le mage, saisissant une scie, coupa alors l’une de ses jambes et la tendit au Juif en lui rappelant de conserver précieusement. Or, le Juif, embarrassé par ce gage morbide, s’empressa de jeter la jambe à l’eau. Faust le sut aussitôt par l’entremise de ses voix et, trois jours plus tard, il fit savoir à l’usurier qu’il se tenait prêt à le rembourser. Celui-ci accourut mais comme le mage réclamait sa jambe, le pauvre homme avoua l’avoir jetée. Faust refusa de lui rembourser sa dette et il demanda même une indemnité que le Juif fut obligé de lui remettre. Des années plus tard, Faust en riait encore.

En 1528, Faust s’arrêta une nouvelle fois à Ingolstadt. Il était connu pour aimer les livres et l’on disait de lui:
 » Ce savant, populaire parmi les étudiants, alchimiste assez frotté de culture pour jouer au maître d’école, ne peut vivre loin des livres « . Cependant, comme à son habitude, le mage dut se faire quelques ennemis car au cours de la même année, le registre municipal d’Igolstadt signalait qu’un astrologue nommé Faust, sodomite et nécromant, avait été expulsé de la ville. Si Faust se faisait régulièrement chasser des endroits où il séjournait, cette mesure ne le poussait nullement à changer de comportement et quelques années plus tard, en 1532, le registre municipal de Nuremberg rapportait qu’un certain Faust avait été interdit de séjour dans la ville pour préserver l’ordre public. Cette fois, s’il n’avait pas été arrêté, il s’en était fallu de peu. Le duc Jean avait ordonné que l’on s’empare de lui. Faust venait de se mettre à table, quand brusquement, sous prétexte d’une soudaine chaleur, il se leva et paya ce qu’il devait. A peine était-il sorti de l’auberge que les archers y entraient.

En 1539, un médecin nommé Begardi mentionna Faust dans son Guide de la Santé:  » Il s’est rencontré un homme assurément hardi, dont je ne veux pas dire le nom, bien qu’il ne tienne pas à rester caché et inconnu. Car il y a quelques années il a parcouru les provinces, les principautés et les royaumes, il a décliné son nom à qui voulait le connaître et s’est vanté de ses talents, non-seulement en médecine, mais en chiromancie, nécromancie, physionomie, cristallomancie et autres sciences semblables. Et de plus il a dit et écrit qu’il était un maître célèbre et qu’il avait acquis une expérience consommée. Il a reconnu lui-même qu’il s’appelait Faust et il s’est intitulé Philosophus Philosophorimi, etc. Mais de ceux qui se sont plaints à moi d’avoir été trompés par lui, le nombre est grand. Ses promesses d’ailleurs étaient magnifiques, comme celles de Thessalus. Sa renommée égalait celle de Théophraste, mais ses actes, à ma connaissance, étaient trouvés mesquins et trompeurs; pourtant il ne s’est pas fait faute de prendre, ou, pour mieux dire, d’accepter de l’argent, et finalement il tournait les talons. Mais que faire? ce qui est passé est passé « .

En 1540, Faust fit une nouvelle fois une démonstration de son humour. Quand il apprit que le docteur Dorstenn, chapelain, avait prévu de se rendre à Grave pour se faire raser, le mage lui promit, s’il ouvrait un nouveau tonneau, de lui communiquer un secret qui lui permettrait de se raser sans rasoir. L’homme y consentit et Faust lui conseilla alors de se frotter la barbe avec du Tarsenic, sans lui indiquer comment préparer la drogue. Il en suivit une telle inflammation que non-seulement les poils du malheureux tombèrent, mais que sa peau et sa chair en furent cruellement brûlées.

Dans la seizième année de son pacte, Faust entreprit un voyage terrestre et ordonna au démon de le conduire où il voudrait aller. Méphistophélès se changea alors en cheval et exécuta ses ordres. Faust fit d’abord un voyage rapide de vingt-cinq jours durant lesquels il parcourut une foule de pays à vol d’oiseau. Au cours d’un second voyage il visita Trêves, Paris, Padoue et Rome, où il rencontra le Pape puis il se rendit à Constantinople où il fit la connaissance de Solimane.

Certains rapportaient que Faust possédait un cheval et un chien, que l’on croyait être des diables car ils obéissaient à tous ses ordres. Si l’on sait ce qu’il en était du cheval, le chien semblait tout aussi remarquable. L’animal, qui se nommait Prœstifjiar, prenait quelquefois la forme d’un domestique et apportait ses repas au mage.
Le comte Henri d’Isenbourg, qui étudiait à Wittemberg et connaissait bien Faust, vit ce chien, qui était grand et pourvus de longs poils noirs. Comme il allait se coucher au milieu de la chambre, Faust lui dit une parole que le comte ne comprit pas. Alors, ouvrant lui-même la porte, ce que le comte trouva fort peu naturel, le chien sortit de la pièce. Quand Faust lui caressait le dos, ce chien changeait de couleur. Il devenait successivement brun, blanc, rouge et ses yeux flamboyaient ardemment. Un abbé de Halberstadt, qui possédait un génie dans un cristal, demanda, sur le conseil de ce génie, son chien à Faust. Faust le lui céda pour trois ans mais l’abbé mourut avant l’expiration de ce terme, selon la prédiction du chien lui-même.

Le Professeur Faust

Faust menait une existence d’épicurien. Il couchait avec des succubes, parcourait les royaumes à la recherche de belles femmes et les séduisait. Puis, dans la dix-neuvième année de son pacte, il se souvint de la beauté d’Hélène de Troie et demanda au démon de la lui amener pour qu’il en fasse sa concubine. Elle captiva tellement son cœur qu’il la garda pour femme. L’on disait qu’il l’aimait tellement qu’il ne pouvait s’éloigner d’elle. Faust et Hélène eurent deux enfants dont le premier fut un monstre. Le second était un garçon, qu’ils appelèrent Just Faust, ce qui réjouit le docteur. Cet enfant prédisait à Faust des évènements qui devaient arriver dans divers pays. Mais quand Faust mourut, la mère et l’enfant disparurent.

En 1548, vingt-quatre ans après la signature du pacte, Méphistophélès apparut et remit à Faust une injection lui annonçant que le diable viendrait chercher son corps dans la nuit du lendemain. Le jour convenu, Faust fit mander ses fidèles compagnons, ses maîtres, ses bacheliers et les autres étudiants qui l’avaient si souvent visité, et les pria de venir avec lui se promener au village de Rimlich, non loin de Wittemberg, ce à quoi ils consentirent. Ils se rendirent là-bas et firent un déjeuner splendide. Le docteur Faust se montrait gai avec eux, mais le cœur n’y était pas. Il les pria ensuite de venir avec lui à l’auberge et de passer la nuit à ses coté, leur expliquant qu’il avait quelque chose d’important à leur dire. Une fois vidé le dernier verre, Faust paya l’aubergiste et pria les étudiants de le suivre dans une autre chambre, car il avait à leur parler.
Il leur révéla alors son secret, annonçant à ses amis que le diable viendrait le chercher durant la nuit. Il leur demanda de se mettre au lit, de dormir tranquillement, et s’ils trouvaient son corps au petit matin, de l’enterrer.
Quand l’aubergiste lui demanda pourquoi il était si triste, ce qui n’était guère habituel car il était, selon la rumeur,  » un débauché qui avait manqué plus d’une fois être assassiné pour ses exploits galants « , Faust lui répondit:  » Ne vous effrayez pas cette nuit « .
Entre minuit et une heure, un vent impétueux, qui semblait vouloir tout détruire, fit trembler la maison et l’ébranla de tous côtés. Les étudiants, pensant être perdus, sautèrent de leurs lits et se réconfortèrent les uns les autres mais ils n’osèrent pas sortir de la chambre. Quand à l’aubergiste, terrifié, il courut se réfugier dans une maison voisine. Puis les étudiants, dont la chambre se trouvait juste à côté de celle de Faust, entendirent un sifflement terrible et un frémissement, comme si la maison était pleine de serpents, de vipères, et d’autres bêtes nuisibles et la porte du docteur Faust s’ouvrit brutalement. Alors, ils l’entendirent crier au secours et au meurtre puis ce fut le silence.

Au lever du soleil, lorsque ses amis pénétrèrent dans la chambre de Faust, ils ne le virent point. La pièce était tâchée de sang. La cervelle, les yeux et les dents du docteur étaient collés au mur de la chambre, et son corps se retrouvait sur un tas de fumier, dans un état abominable. Ils firent ensevelir ses restes dans le village puis s’en retournèrent à Wittemberg. Ainsi se terminait la vie incroyable du docteur Faust.

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