Gef, la Mangouste Parlante

Portrait Harry Price

Une Enquête d’Harry Price

Au cours de ses trente années de carrière passées à enquêter sur les phénomènes surnaturels, Harry Price, le célèbre enquêteur psychique londonien, avait déjà reçu une multitude de propositions étranges. Alors qu’il se trouvait à Paris, où il donnait des conférences, il avait été invité à se percher au sommet de la Tour Eiffel pour surveiller un kiosque présumé hanté où des ivoires, des bijoux et des souvenirs  » disparaissaient dans les airs,  » apparemment dérobés par un esprit. A une autre occasion, une pauvre femme était venue le voir, déclarant que durant trois nuits consécutives, elle avait rêvé que l’un de ses proches parents, récemment enterré, n’était pas mort mais qu’il se trouvait en état de transe. La malheureuse espérait que l’enquêteur pourrait lui procurer un ordre d’exhumation afin de procéder à des tests. Un jour, un homme qui avait obtenu une grande quantité de peyotls, de petits cactus aux propriétés hallucinogènes, avait affirmé à Harry Price que s’il consommait assez de cette plante, il pourrait projeter son corps astral et se souvenir de son expérience.

Aussi curieuses que ces demandes puissent apparaitre, elles étaient relativement fréquentes et n’égalaient en rien celle qu’il reçut durant l’hiver 1932. Dans une lettre, une dame de l’Isle de Man l’informait que certaines de ses amies connaissaient un agriculteur, M. James T. Irving, qui avait découvert chez lui un animal qui, après quelques cajoleries, avait développé le pouvoir de la parole, se montrant pratiquement humain, sauf dans la forme, et elle lui demandait s’il souhaitait interviewer la petite bête. Intrigué par cette histoire surprenante, Harry Price lui répondit que des informations supplémentaires étaient souhaitables et il écrivit à l’agriculteur.

Dans sa réponse, M. Irving confirma toute l’histoire avancée par la correspondante mannoise, décrivant l’animal comme une petite bête jaunâtre de la même couleur que celle des furets, à la queue touffue teintée de brun. La mangouste, la créature s’était présentée ainsi lorsqu’elle avait sympathisé avec son hôte, s’était d’abord fait connaitre en faisant  » des bruits d’animaux  » derrière les planches de bois colorées avec lesquelles les chambres de la maison étaient lambrissée. Ses manifestations se composaient d’aboiements, de grognements, de crachats, et de soufflage persistant, qui empêchaient la famille de dormir la nuit.

Gef la Mangouste
Mangouste

Bien évidemment, l’agriculteur, agacé, avait pris des mesures pour mettre en déroute son hôte indésirable, utilisant un fusil, des pièges et du poison, mais la créature avait échappé à tout. M. Irving avait alors eu une brillante inspiration. Comme l’animal faisait de curieux bruits, il s’était dit qu’il pouvait peut-être imiter un être humain. Il avait alors commencé à imiter les cris de diverses créatures, et ces cris avaient été fidèlement reproduits. Puis, en quelques jours, une chose incroyable s’était produite. Il n’avait plus eu à imiter quoi que ce soit, il lui suffisait de citer un animal ou un oiseau, et aussitôt la mystérieuse bête répondait par son cri, sans jamais se tromper.

M. Irving avait une fille, qui s’appelait Voirrey et qui était âgée de treize ans au moment de l’histoire. Intriguée par ce prodige, la jeune fille avait essayé de chanter des comptines à l’animal, qui les avait reprises après elle, sans difficulté aucune. Sa voix était d’une ou deux octave au-dessus de la voix humaine, mais très claire et très distincte. A partir de ce moment-là, la mangouste parlante était devenue un membre de la famille à part entière. Au fil des jours, ils avaient compris que la créature était capable de parler, rire, chanter etc. depuis toujours et que ses imitations d’animaux n’avaient été, pour elle, qu’une manière amusante de se faire connaitre.

Harry Price n’avait pas vraiment compris si la mangouste s’était présentée à eux, ou si les Irving l’avait baptisée Gef, mais elle aimait être appelée ainsi. Depuis son perchoir sur les chevrons, ou de derrière les plinthes, Gef avait raconté son histoire à l’agriculteur, affirmant avoir fuit l’Inde, où des autochtones le chassaient, tirant fréquemment sur lui. Un peu plus tard, lorsque M. Irving et Gef étaient devenus intimes, ce dernier s’était plaint de la manière offensante dont il l’avait chassé, et l’agriculteur s’était alors excusé de sa méprise, expliquant qu’il croyait qu’il n’était qu’un animal des champs ordinaire, et rien de plus. Alors, ils en avaient ri et l’incident avait été considéré comme clos.

Étrangement, s’ils discutaient souvent ensemble, la mangouste ne se montrait que rarement à M. Irving. Parfois, il voyait quelque chose s’élancer le long d’une poutre, ou il apercevait le bout d’une queue au coin d’une pièce, alors que sa femme et sa fille la rencontraient souvent. D’ailleurs, à une occasion, Voirrey avait même tenté de la photographier. Gef avait posé sur le mur pour elle, mais alors qu’elle était sur le point d’appuyer sur le bouton de l’appareil, il s’était enfui et avait disparu pendant plusieurs jours. A son retour, il leur avait expliqué qu’il avait peur de se faire prendre, non pas en photo, mais dans un piège. Outre sa méfiance naturelle, Gef se montrait particulièrement timide. Parfois, quand ils allaient au marché à la ville la plus proche, il les suivait sans jamais se montrer, se cachant de l’autre côté de la haie et discutant gaiement durant tout le trajet.

Rudi Schneider et Harry Price
Rudi Schneider et Harry Price

Dans sa lettre, M. Irving proposait à Harry Price de venir entendre le phénomène par lui-même, lui offrant même l’hospitalité durant son séjour mais l’enquêteur hésitait. En premier lieu, il était occupé par Rudi Schneider, un médium dont il étudiait les prétendus pouvoirs dans son laboratoire, et d’autre part, l’histoire qu’il venait de lire lui semblait tellement absurde qu’il ne pouvait pas la prendre au sérieux. Cependant, songeant aux nombreux exemples d’animaux parlants dans la littérature, particulièrement dans la mythologie, et se souvenant de certaines croyances indiennes, il en vint à la conclusion qu’une mangouste parlante n’était peut-être pas si extraordinaire. Néanmoins, avant de se rendre lui-même sur place, il demanda à l’un de ses amis, le capitaine X, un homme très habile qui pouvait difficilement être trompé, d’effectuer quelques investigations préliminaires.

M. X arriva sur l’Ile de Man le 26 février 1932. Le premier jour, il se rendit à la ferme et veilla jusqu’à 23h45, puis comme rien ne se produisait, il décida de retourner à son hôtel. Il s’apprêtait à quitter la maison quand soudain une voix suraiguë s’écria:  » Va-t-‘en! Qui est cet homme?  » M. Irving lui saisit alors le bras et chuchota:  » C’est lui!  » La créature continua ensuite à parler, criant des mots incompréhensibles, mais comme elle lui faisait l’honneur de se faire entendre, M. X retourna au salon. Malheureusement, à ce moment-là la voix se tue, et refusa de se faire entendre jusqu’à son départ pour l’hôtel, quinze minutes plus tard. Le lendemain matin, le capitaine se présenta relativement tôt à la ferme, et ses occupants lui apprirent que Gef s’était montré particulièrement bavard la nuit précédente, leur avouant qu’il n’aimait pas leur invité. Cependant, grand seigneur, il acceptait de discuter avec lui si M. X consentait à s’asseoir en un certain endroit et à crier:  » Je crois en toi Gef! « 

Comme il voulait entendre la mangouste parler, le capitaine fit ce qu’elle lui avait demandé puis il attendit patiemment qu’elle daigne se manifester. Un peu plus tard, alors qu’il prenait le thé, Gef jeta une boite d’aiguilles dans la pièce, qui heurta la théière, et la famille lui apprit que la petite bête jetait sans arrêt des choses. A 19h45, il y eut un cri perçant en haut des escaliers, et M. X comprit que Gef discutait avec Mme Irving et Voirrey. Il cria alors, assez fort pour être entendu:  » Tu ne veux pas descendre? Je crois en toi!  » Mais la mangouste lui répondit:  » Non, je ne veux pas rester longtemps, car je ne vous aime pas!  » Puis, comme elle parlait encore, M. X se rapprocha doucement des escaliers et commença à monter vers la chambre à coucher. Malheureusement, l’une des marches était recouverte d’un tissu lâche et posant son pied dessus, le capitaine dégringola en bas des escaliers, faisant un bruit terrible. Gef hurla alors:  » Il arrive!  » Puis il disparut. Comme rien de plus ne se passait, le capitaine retourna à Londres, où il présenta son incroyable rapport à Harry Price, qui décida d’ajourner son séjour chez les Irving.

Depuis l’apparition de la merveilleuse mangouste parlante au sein de son foyer, M. Irving remplissait une sorte de journal des faits et gestes de Gef, qu’il confia à Harry Price des années plus tard, et dont chacune des deux cent pages décrivait un miracle. En décembre 1931, pour une inexplicable raison, Gef était devenu si violent envers Voirrey, dans ses paroles et dans ses actes, que le lit de la jeune fille avait du être déplacé dans la chambre de ses parents. De façon tout aussi obscure, en mai 1932, il se calma brusquement et Voirrey put retourner dans sa chambre.

En juin 1932, Gef permit à la femme et à la fille de l’agriculteur de le toucher et de sentir ses dents alors qu’il se trouvait sur une poutre. Ils le nourrissaient de bacon, de saucisses, de bananes, de chocolat etc, mais jamais il ne touchait au lait ou à l’eau. Afin de les remercier de leur hospitalité, Gef, qui se trouvait fort bien chez les Irving, commença à leur ramener des lapins, qu’il tuait lui-même. Il les étranglait et les laissait devant la porte d’entrée, les plaçant dans une position idéale, les pattes en l’air. Au cours de l’année suivante, il en égorgea tellement qu’il mit probablement l’équilibre de la faune en danger. Peu de temps après, il se mit à parler une langue étrangère, qu’il disait être du russe. Ne pani aporusko était l’une de ses phrases favorites, que M. Irving réussit à retranscrire phonétiquement. Au mois d’août, pris d’une inspiration soudaine, Gef chanta deux vers d’une chanson en espagnol et récita quatre lignes d’un poème gallois. Il faut souligner que la petite créature, dont le savoir semblait infini, parlait également l’arabe, et pouvait comprendre l’alphabet sourd et muet.

En 1934, Gef commença à entreprendre de petits voyages jusqu’à la ville la plus proche, rapportant à l’agriculteur les agissements de certains. Quand M. Irving vérifiait ses histoires, elles s’avéraient toujours exactes. Puis brusquement, la petite créature devint clairvoyante, décrivant des événements qui se déroulaient à 15 kilomètres de distance, sans jamais quitter la ferme. Les Irving, qui s’interrogeaient sur sa nature, lui demandèrent alors s’il était un esprit, mais Gef déclara mystérieusement:  » Je suis un esprit lié à la terre.  » En juin 1934, M. Irving demanda à son protégé si le capitaine X pouvait leur rendre visite à nouveau, et Gef lui répondit:  » Oui, mais pas Price. Il a mis sa casquette de sceptique.  » En juillet, la mangouste se mit à effectuer de petits tours pour les amis de l’agriculteur. L’un des invités se rendait sous le porche, plaçait quelques pièces de monnaie sur une pierre, et Gef devait alors deviner si elles montraient leur côté pile ou leur côté face. Parfois, il gagnait.

En octobre 1934, il fit une nouvelle référence à l’enquêteur londonien, déclarant qu’il aimait bien le capitaine X, mais pas Harry Price car il était l’homme qui chassait les esprits. En mars 1935, le capitaine X reçut des poils de fourrure que Gef avait aimablement prélevés de son dos et de sa queue. Après se les être arrachés, il les avait déposé dans un ornement sur la cheminée, puis il avait indiqué à l’agriculteur où il pouvait les trouver. Comme M. Irving avait transmis ces poils à des fins d’analyse, Harry Price les confia au professeur Julian Huxley, qui les remit à M. Martin Duncan, une autorité en la matière. Le spécialiste eut beaucoup de mal à identifier ces poils, mais après les avoir analyser il écrivit une lettre à l’enquêteur, donnant ses impressions:  » Je les ai soigneusement examinés au microscope et ils ont été comparés avec des poils d’origine connue. En conséquence, je peux très certainement affirmer que ces spécimens de poils ne sont pas ceux d’une mangouste, ni d’un rat, d’un lapin, d’un lièvre, d’un écureuil, d’un rongeur ou autre; ou d’un mouton, d’une chèvre ou d’une vache. Je suis enclin à penser que ces poils ont probablement été prélevé sur un ou des chiens à poils longs.  » M. Duncan soulignait également que ces spécimens ne possédaient pas de bulbe et que, par conséquent, ils n’avaient probablement pas été arrachés mais plutôt coupés.

A la ferme, Gef semblait prendre ses aises, se montrant un peu grossier. Il surnommait le maitre de maison de diverses manières, réclamait familièrement de la nourriture, et ses manifestations puériles gardaient parfois la famille éveillée toute la nuit. Comme ses apparitions se faisaient plus fréquentes, le capitaine X décida de retourner sur l’ile. Durant son séjour, il y eut plusieurs incidents troublants, qu’il rapporta à Harry Price à son retour et qui convainquirent l’enquêteur d’aller voir par lui-même. Quand il apprit sa venue, M. Irving lui écrivit une lettre, disant qu’il serait heureux de le voir et qu’il prendrait toutes les dispositions nécessaires. Malheureusement, à peine avait-il annoncé sa visite, que Gef disparaissait soudainement. L’enquêteur attendit une semaine ou deux, espérant qu’il réapparaitrait, mais ce ne fut pas le cas. Parfois, Gef s’échappait pendant quelques jours, mais une absence de deux semaines était tout à fait inhabituelle. A la fin du mois, la petite créature n’était toujours pas revenue chez les Irving, mais Harry Price décida de ne pas modifier ses plans et de se rendre sur l’Ile de Man le mardi 30 juillet 1935. Comme il voulait qu’un témoin soit présent au cas où Gef se déciderait à faire une apparition, il demanda à M. Lambert, l’un de ses amis et l’éditeur du journal The Listener, s’il voulait bien l’accompagner, ce à quoi il consentit aimablement.

Voirrey, Harry Price et M. Lambert
Voirrey, Harry Price et M. Lambert

Les deux hommes arrivèrent à Douglas à 18h45, et ils furent accueillis par M. Irving, qui les attendait avec une voiture. Après une longue route, ils trouvèrent une auberge confortable, où ils prirent un repas, et l’agriculteur leur raconta l’histoire complète de la mangouste parlante, qui était, hélas, toujours portée disparue. Après le diner, quand ils voulurent aller visiter le repaire de Gef, ils comprirent que l’accession au domaine ne serait pas aussi aisée que ce qu’ils auraient souhaité. En effet, M. Irving habitait une petite ferme isolée à 200 mètres au-dessus du niveau de la mer, sur le sommet d’une colline qui semblait presque une montagne. Il n’y avait pas de route à proprement parler, mais après avoir passé une heure à grimper un sentier muletier abrupt et glissant, ils finirent par atteindre le plateau désolé où se dressait la maison. Il faisait presque nuit, et si M. Irving ne les avait pas guidé, ils se seraient désespérément perdus.

Comme ils approchaient de la maison, soudain ils furent surpris par l’irruption d’un animal bondissant qui jaillit non loin d’eux. Ils espéraient peut-être que Gef les accueilleraient ainsi, mais malheureusement, leur enthousiaste assaillant se révéla être Mona, le colley de trois ans de la famille Irving. Une fois à la ferme, les deux londoniens furent présentés à Mme Irving et à Voirrey, une belle jeune fille de 17 ans qu’ils trouvèrent très intelligente, timide et plutôt calme. La maîtresse de maison était une dame charmante, qui leur fit un accueil des plus chaleureux et leur proposa de rentrer.

Voirrey et Mona
Voirrey et Mona

Tout le monde s’assit alors dans le petit salon lambrissé et à la lueur d’une lampe à pétrole, l’histoire de Gef fut une nouvelle fois racontée. M. Lambert et M. Price bombardaient leurs hôtes de questions et les réponses qu’ils recevaient corroboraient ce que l’agriculteur avait écrit dans ses lettres. La famille avait le cœur brisé depuis la disparition de Gef, mais Mme Irving pensait qu’il se trouvait quelque part, dans la maison, écoutant chaque mot de ce qu’ils disaient. Pleine d’espoir, soudain elle s’adressa à lui, espérant l’émouvoir, mais elle ne reçut aucune réponse. Suite à ce touchant monologue, Harry Price fit lui-aussi un petit discours aux quatre murs de la pièce, espérant que Gef l’entendrait. Il lui fit remarquer qu’ils avaient parcouru un long chemin pour le voir, et que par conséquent, ils avaient droit à une manifestation, à quelques mots, à un petit rire, à un cri, ou à un simple raclement derrière les planches de bois. Il l’invita même à jeter quelque chose sur lui, sans résultat. Gef n’était certainement pas d’humeur à parler. Mme Irving restait persuadée qu’il était caché là, car même s’il ne s’était pas exprimé depuis un mois, une quinzaine de jours auparavant, une casserole d’eau était mystérieusement tombée de la table, inondant les chaussures de tous les occupants de la maison, et elle pensait que cet incident était l’œuvre de Gef.

M. Lambert et l’enquêteur entendirent de nombreuses histoires sur ses faits et gestes. Comment il se rendait à la ville la plus proche en se perchant sur les essieux arrière des voitures et des autobus, ce qui l’avait amené à connaître les noms de la plupart des conducteurs, et comment il aimait à rapporter les scandales qu’il y entendait. Ils apprirent également l’âge de la créature, qui prétendait avoir eu quatre-vingt-trois ans le 7 juin 1935, et de nombreux détails de sa vie. Puis minuit sonna et les deux hommes décidèrent de retourner au village. Guidés par M. Erving et s’éclairant de torches électriques, ils redescendirent alors jusqu’à l’auberge où ils avaient laissé leurs bagages.

Aucun des deux hommes ne dormit très bien, le problème de la mangouste obsédant leurs esprits et rendant le sommeil difficile. Toute l’affaire n’était-elle qu’une fraude? Un complot orchestré par quatre personnes? Mais si oui, dans quel but? Les Irving étaient-ils impliqués dans cette conspiration intelligente et pittoresque? Existait-il vraiment une bête? Y avait-il une preuve réelle de l’existence de Gef? Ces questions, et bien d’autres, tournaient dans la tête d’Harry Price alors qu’il tentait de s’endormir. Si l’histoire de la mangouste était une mise en scène, alors les Irving étaient des acteurs confirmés. Il ne voyait aucune raison apparente à tout cela, et aucun gain financier n’était à prévoir. Au début, il avait soupçonné Voirrey d’être ventriloque, mais parfois Gef se manifestait en son absence, ou en l’absence de ses parents, ce qui rendait l’affaire incompréhensible. Autrefois, M. Irving était un homme d’affaire prospère à Liverpool puis, au début de la guerre, il avait acheté une ferme isolée dans l’espoir de gagner sa vie en y élevant du bétail. Il était un homme d’une soixantaine d’années, aimable, particulièrement intelligent, et Harry Price se demandait comment il aurait pu rester quatre ans sans se douter qu’une plaisanterie lui était jouée par un membre de sa famille si tel avait été le cas. L’enquêteur londonien finit par sombrer dans un sommeil agité, sans avoir répondu à aucune de ses questions de manière satisfaisante.

Le lendemain matin, peu avant huit heures, il venait de se lever, sans avoir vraiment dormi, quand brusquement un mince filet de voix aiguë, qui semblait provenir du bout du lit, s’écria:  » Tiens! Bonjour! Viens! Viens  » et d’autres choses qu’il ne parvint pas à comprendre. A ce moment-là, il était toujours plongé dans un demi-sommeil, et le faisant sursauter, la voix le réveilla brusquement. Malheureusement, elle n’appartenait pas à Gef, comme il l’avait espéré, mais au perroquet de leur hôte qui avait volé depuis la cuisine jusqu’à la fenêtre ouverte de sa chambre. Après une visite de l’ile et un bon petit déjeuner, M. Lambert et M. Price grimpèrent la montagne, espérant que la mangouste parlante voudrait bien se montrer.

La ferme des Irving
La ferme des Irving

Ils arrivèrent à la maison peu avant 16h, et à la lumière du jour, elle leur apparut plus isolée encore. Aussi loin qu’ils pouvaient voir, il n’y avait rien, sauf des collines ondulantes recouvertes d’herbe verte et de joncs broussailleux. Il n’y avait pas d’arbre, peu d’oiseaux, et pratiquement rien de vivant, à l’exception d’un faucon solitaire qui traversait parfois le ciel. Cependant, le point de vue était superbe. A l’ouest se trouvait la vallée et la mer baignée de soleil et plus loin encore, les montagnes de Mourne se détachaient sur le ciel azur. En se plaçant juste au-dessus de la maison, il était un endroit qui permettait d’apercevoir l’Angleterre, l’Irlande, l’Écosse et le Pays de Galles. La ferme était une petite construction de deux étages, en dalles d’ardoise cimentées. Ses murs extérieurs étaient recouverts de ciment, ce qui lui donnait une couleur grisâtre. A l’intérieur, les murs étaient lambrissés, et un espace de 7 centimètres les séparait du bois. Le rez de chaussée était composé d’un petit porche, d’un salon, d’une salle à manger et d’une cuisine qui servait également de garde-manger. Au premier étage, se trouvaient deux chambres, également lambrissées.

Les Irving étaient la bonté personnifiée, et ils firent tout ce qu’il était possible pour plaire à leurs invités, mais personne ne leur présenta la fameuse mangouste. M. Irving leur fit visiter la maison, leur désignant les différents repaires de petite créature et ils purent ainsi inspecter une quantité de petites fissures à travers lesquelles Gef lançait des choses sur les visiteurs, parlait ou effectuait diverses facéties, parfois grossières. Ils inspectèrent les passages qu’il utilisait pour sauter, invisible, d’une pièce à l’autre, à l’étage ou en bas, et dans la chambre de Voirrey, ils découvrirent son sanctuaire, une armoire au sommet de laquelle Gef dansait au son du phonographe ou faisait rebondir sa balle préférée.

L'Armoire de Gef
L’Armoire de Gef

Grâce au lambris qui recouvrait tous les murs de la maison, il était probablement possible de faire entendre sa voix dans toutes les pièces, ce que faisait apparemment Gef. Harry Price et M. Lambert passèrent une délicieuse soirée chez les Irving. Ils prirent des photos, jouèrent avec Mona, firent le tour des dépendances et des champs avoisinants, et visitèrent l’endroit où Gef déposait les lapins qu’il tuait pour ses hôtes, en remerciement de leurs bons soins.

Cependant, l’enquêteur était troublé par un détail qui ne quittait pas ses pensées. M. Martin Duncan, qui avait analysé les poils, en était venu à penser qu’ils étaient ceux d’un colley et il était curieux de constater que le chien de la famille était justement de cette race. Gef avait-il subrepticement coupé les poils de différentes parties du coups de Mona pour les donner à M. Irving en les faisant passer pour des poils de sa propre fourrure?

Vers minuit, comprenant que Gef n’avait pas l’intention de se montrer, les deux hommes décidèrent de rentrer à Londres. Ils avaient passé des heures agréables sous le toit hospitalier des Irving, mais ils ne parvenaient pas à déterminer si, de part leur rôle de chercheurs, ils avaient pris par à une farce ou à une tragédie. Aucun dramaturge n’aurait plus imaginer complot plus étonnant ou une mise en scène mieux adaptée aux personnages de la pièce qui se jouait dans les hautes terres balayées par le vent de l’Ile de Man.

Certains prétendirent qu’ils n’arrivaient rien découvert durant leur enquête sur la mangouste parlante, mais cette affirmation était un mensonge. Ils avaient compris pourquoi les sorcières avaient été pendues au XVIIe siècle, et pourquoi Lord Chief Justice Hale avait publiquement avoué sa croyance dans les balais comme moyens habituels de locomotion.

Gef retourna à la ferme le soir de leur départ et Harry Price aimait à penser qu’ils l’avaient peut-être croisé, en bas de la montagne. Il expliqua à M. Irving qu’il avait pris quelques jours de vacances, mais qu’il était présent lors de la visite des deux londoniens, et qu’il avait entendu tout ce qu’ils disaient. Il donna diverses excuses pour ne pas s’être montré, accusa M. Lambert de s’être montré sceptique, et il admit avoir renversé la casserole d’eau dans la salle de séjour.
Après quoi, la merveilleuse mangouste eut la gentillesse de faire impression de ses pattes et de ses dents dans de la pâte à modeler, que M. Irving envoya à Harry Price. La petite créature, qui semblait brusquement dans de meilleures dispositions, fit une description complète d’elle-même et de ses spécificités, et un dessin fut alors effectué puis publié.

Empreintes Gef
Empreintes de Gef

Les aventures d’Harry price et de M. Lambert sur l’Ile de Man suscitèrent un intérêt extraordinaire à Londres. La BBC demanda à l’enquêteur psychique de venir raconter l’histoire à la radio, et bientôt, ces confessions se retrouvèrent dans la presse. Sur l’Ile de Man, Gef continua pendant longtemps à échanger des plaisanteries avec les Irving, à danser au son du gramophone et à déposer des lapins devant le seuil de leur porte, impressionnant toujours les crédules.

Source: Site Harry Price, Confessions of a Ghost Hunter.

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