Le Fantôme de Fred Koett

Ferme de Fred Koett

 » C’est un vrai fantôme me semble-t-il, mais il est le plus désagréable, le plus méprisable, le plus indestructible des fantômes et il ne se bat pas loyalement.  » (Fred Koett)

En 1927, à Great Bend, au Kansas, M. Fred Koett, un fermier prospère de quarante-et-un ans qui venait tout juste de perdre sa femme, se remaria avec Mayme Waddell, une ravissante jeune fille de vingt-et-un ans. Aucun incident ne vint troubler leur voyage de noce mais quand la jeune femme s’installa à la ferme, où Fred était né et il avait passé toute sa vie, alors quelque chose sembla se réveiller qui se mit à les tourmenter.

Fred et Mayme Koett
Fred et Mayme Koett

Le jour de leur arrivée, vers vingt heures trente, Mayme se trouvait à l’étage, elle s’occupait du bébé de quatorze mois que son mari avait eu avec sa précédente femme, quand soudain Fred, qui s’apprêtait à souffler la lampe de la cuisine, aperçut un visage sombre qui le regardait par la fenêtre. Pensant qu’un vagabond rôdait près de sa maison, le fermier sortit à la hâte mais en arrivant à l’extérieur, il constata que l’homme avait disparu. A ce moment-là, des aboiements furieux s’élevèrent du hangar à bois et attrapant un manche de pioche, il courut inspecter l’endroit, sans rien trouver que son chien Rover. Un vacarme épouvantable retentit alors dans la grange et se précipitant dans le bâtiment Fred découvrit que ses chevaux et ses vaches se trouvaient dans un état d’extrême panique. Il cherchait la raison de ce mystère quand le poulailler s’affola à son tour et il en fut ainsi pendant une heure, obligeant le fermier et son chien à effectuer une multitude d’allers-retours. Exaspéré, il courait toujours d’un endroit à l’autre lorsqu’une silhouette sombre de plus de deux mètres de haut apparut près du crib de maïs et se ruant vers elle, il s’écria:  » Que faites-vous ici? « 

Son chien aboyait si violemment que s’il reçut une réponse, Fred ne l’entendit pas, pas plus que la silhouette ne l’attendit. Semblant glisser au-dessus du sol, elle passa au-dessus de la clôture et brusquement, elle disparut. Le fermier, qui ne croyait pas aux fantômes, se mit alors à rire et pensant qu’un plaisantin avait mis au point un système complexe pour se jouer de lui, il lui cria:  » Ce truc est génial! Reviens et refais-le à l’occasion! « 

Fred retourna ensuite à la maison, impatient de raconter l’histoire à sa femme, mais en rentrant dans le salon la surprise le figea. Pendant son absence, Mayme avait changé tous les meubles de place, les bougeant de leurs emplacements habituels pour les disposer autrement. Il appela la jeune femme, lui demanda pourquoi elle s’était ainsi escrimée à réaménager la pièce toute seule en pleine nuit, mais une voix ensommeillée s’éleva du premier, qui lui répondit que depuis son départ, elle n’avait pas bougé de la chambre. Fred ne crut guère en son histoire, mais il était si fatigué qu’il monta se coucher sans faire aucun commentaire. Malheureusement, sa nuit fut des plus agitées. D’une curieuse manière, à chaque fois qu’il parvenait à s’endormir, les chevaux se mettaient à hennir, puis les vaches commençaient à meugler et quand ce concert infernal se terminait enfin, alors les occupants du poulailler prenaient la relève. Pleurant et gémissant son propre chien semblait le supplier de le rejoindre, mais pensant que celui qui s’amusait à terrifier ses bêtes voulait juste le voir descendre, Fred se refusait à lui donner satisfaction. Mayme, qui passait une nuit à la ferme pour la première fois et n’arrivait pas à dormir plus de quelques minutes d’affilé, s’inquiéta de toute cette agitation mais son mari la rassura, lui affirmant qu’habituellement les animaux se montraient bien plus calmes mais qu’un chien… ou peut-être un renard… ou quelque chose devait se promener dans les parages et les effrayer.

Soudain, un sinistre gémissement s’éleva près de fenêtre de la chambre et se redressant brusquement, Mayme se mit à trembler. Embarrassé, Fred lui expliqua que le vent s’engouffrait probablement par la fenêtre, et semblant accepter cette explication, la jeune femme lui demanda de résoudre le problème dès qu’il le pourrait, ce à quoi il consentit. L’agitation dura ainsi toute la nuit, puis aux premières lueurs du jour elle cessa brusquement, juste au moment où le pauvre homme devait se lever pour aller travailler. Épuisé, il s’assit sur le rebord du lit, et levant les yeux il remarqua avec effroi que quelqu’un était rentré dans leur chambre, qui avait tourné le portrait de sa première femme contre le mur et changé une statuette de la Vierge Marie de place. Le fermier se demandait comme le mystérieux inconnu avait réussi à faire toutes ces choses, mais il supposait qu’il avait eu beaucoup de mal et comme il était resté debout toute la nuit, il espérait être tranquille pour un moment.

Malheureusement, les nuits suivantes, la ferme fut le théâtre des mêmes inexplicables phénomènes et Fred dut avouer à sa femme que quelque chose se passait, qu’il ne comprenait pas. Le fermier, qui travaillait du lever au coucher du soleil dans les champs, devait gérer les angoisses de Mayme, qui pensait maintenant que la ferme était hantée, celles de ses bêtes, qui étaient tellement perturbées qu’elles refusaient de manger, et sa propre fatigue. Les nuits n’étaient plus qu’une succession de gémissements fantomatiques et de plaintes et parfois, sa femme le réveillait, lui demandant d’une voix blanche s’il entendait tel ou tel bruit. Alors il écoutait, dans un demi-sommeil, des pas monter les escaliers, qui s’arrêtaient toujours devant la porte de la chambre, et les trois coups qui s’en suivaient. Parfois, quand il se réveillait vraiment, il courait ouvrir la porte et il apercevait une grande silhouette noire pendant un bref instant. Selon Fred Koett:  » La maudite chose dort toute la journée pendant que je travaille puis, au coucher du soleil, elle se réveille comme un hibou, fraiche comme une rose, et elle me harcèle toute la nuit. Il est regrettable que je ne puisse pas bien la voir dans l’obscurité, mais je n’ai ni la force ni l’audace de mettre en place une bonne lumière. « 

Durant les deux premières semaines, Fred resta persuadé que tous ces événements étaient l’œuvre de l’un de ses voisins et puis un soir de pleine lune, alors qu’il était allongé près de Mayme, il vit le portrait de sa défunte épouse se retourner lentement contre le mur. Le fermier se leva précipitamment, il alluma une lampe et inspecta le cadre, sans rien trouver. Aucun fil n’était attaché à l’image, et aucune cause naturelle ne pouvait expliquer ses mouvements.

Jusqu’à présent, les jeunes mariés avaient gardé l’histoire secrète, mais cet incident les troubla tellement que soupçonnant une hantise ils décidèrent d’en parler à certains de leurs parents, qu’ils réunirent pour l’occasion. Si l’hypothèse d’un phénomène surnaturel fut rapidement écartée, tout le monde reconnut qu’ils avaient un problème et qu’une solution devait être trouvée. De l’avis général quelqu’un, peut-être par jalousie, essayait d’effrayer Mayme en lui faisant croire que la maison était hantée par l’esprit de la défunte épouse. Pensant attraper le coupable, Mme Susie Waddell, la mère de Mayme, et son fils Samuel, un jeune homme robuste, proposèrent de s’installer chez eux pendant quelques temps, ce qui fut accepté avec soulagement, et pour l’aider dans sa tâche, Fred Koett, qui était exténué de toutes ces nuits sans sommeil, embaucha trois valets de ferme, Charles Ammonds, CJ Ortner et Harry Edmonds, qui se mirent à rire quand il leur parla de fantômes.

Des trois hommes, Charles Ammonds était le plus sceptique de tous. Il avait déjà assisté à des séances de spiritisme où rien ne s’était passé et il s’était montré tellement moqueur que les participants agacés lui avaient demandé de partir. Le soir de son arrivée, vers vingt-deux heures, un gémissement s’éleva du placard de la mansarde où il dormait, et sans même allumer la lumière il ouvrit grand la porte, promettant à celui qui s’était dissimulé à l’intérieur  » de lui donner de quoi gémir.  » Soudain, une grande silhouette en émergea, qui faisait près de deux mètres et ne semblait pas avoir avoir de visage, laquelle passa devant lui sans dire un mot. Alors, sans hésiter, Charles se précipita sur l’apparition, qui se retourna rapidement, puis quelque chose sembla exploser dans sa tête et il se réveilla sur le plancher. Il ne savait pas ce qui lui était arrivé, mais il lui semblait avoir reçu un coup de poing et le sang qui s’écoulait de son nez semblait confirmer cette impression. Au petit matin, les trois garçons de ferme avaient vu et entendu tant de choses inexplicables qu’ils donnèrent leur congé, convaincus de l’existence des fantômes.

Au cours de la même nuit, Mme Waddell se retrouva profondément bouleversée en voyant certaines photographies se déplacer toutes seules, parfois aussi lentement que les aiguilles d’une horloge, puis elle prit de l’audace et les nuits suivantes elle observa calmement le phénomène, dessinant leurs contours sur les murs pour surveiller leurs mouvements. Quelques jours plus tard, Mme Waddell et son fils retournèrent chez eux pour prendre un peu de repos, et ils furent alors remplacés par M. et Mme JM McGuire, des parents de l’Oklahoma, que toutes ces histoires de fantômes amusaient follement. Une nuit suffit à faire taire leurs moqueries et une semaine à les renvoyer dans l’Oklahoma.

A ce moment-là, des membres de la Société de la Prévention de la Cruauté envers les Animaux vinrent enquêter à la ferme, soupçonnant M. et Mme Koett de maltraiter leurs bêtes. Inquiet, Fred se résolut à porter l’affaire devant Wayne Lameraux, le procureur du comté de Barton County, qui lui demanda, le plus sérieusement du monde, d’amener son fantôme, lui certifiant qu’il l’obligerait à respecter la loi. Désespéré, Fred écrivit au gouverneur Ben S. Paulen, qui jugea l’histoire suffisamment grave pour demander au shérif James Hill de mener une enquête, lequel s’en désintéressa jusqu’à ce qu’il apprenne l’agression de Charles Ammonds.  » Ah, se dit-il. Cela ressemble à un fantôme à deux poings, et tout ce qui a deux poings peut porter des menottes. « 

Le Shérif James Hill
Shérif James Hill

Au coucher du soleil, le shérif envoya cinq de ses adjoints armés de fusil de chasse à la ferme. Il avait été décidé qu’un homme passerait la nuit dans la grange, un autre avec les poules, tandis que les trois derniers camperaient sur la pelouse, où le fantôme avait été aperçu à de nombreuses reprises, volant et gémissant devant les fenêtres. A vingt-deux heures quinze, les trois hommes postés près de la maison aperçurent une forme noire et floue, étrangement grande et mince, qui se déplaçait vers avec la dignité lente qui sied au surnaturel. Aussitôt, ils armèrent leurs fusils et laissant approcher l’apparition pour l’avoir à portée, l’un d’eux s’écria:  » Halte, ou nous faisons sauter ton infernale tête! « 

Le spectre continua à avancer sans tenir compte de l’avertissement et brusquement, un terrible rugissement se fit entendre, celui des cinq fusils qui venaient de lâcher leurs charges de chevrotine. Le fantôme fit une pause, poussa son gémissement habituel, puis avec la même dignité tranquille, il flotta en arrière et passant par-dessus le grillage, lequel faisait plus d’un mètre quatre-vingt de hauteur, il disparut dans le verger. Le lendemain, les hommes du shérif affirmèrent avoir effrayé l’intrus, qui ne se risquerait plus à revenir, puis ils se retirèrent. Malheureusement, ils se trompaient. Dans la soirée, le spectre réapparut un peu plus tôt qu’à son habitude et il se montra plus agité encore.

Fred décida alors d’engager trois nouveaux garçons de ferme, et il leur demanda de dormir dans la grange, pour veiller sur la propriété. Durant la nuit, les trois hommes furent réveillés par les grognements de Rover, qui dormait avec eux, et attrapant rapidement leur fusil, ils sortirent du bâtiment. Une immense forme sombre se dressait devant eux, qui recula en flottant quand ils l’arrosèrent de plomb, et volant au-dessus du même grillage, elle disparut une fois de plus dans le verger.

Le Verger

Les trois hommes revinrent à la grange, où ils retrouvèrent le chien agonisant. Une fourche était plantée dans le corps du pauvre animal, qui avait eu la tête matraquée. Terrifiés, ils les donnèrent leur démission au petit déjeuner. Les emplois dans l’agriculture étaient nombreux dans la région, qui n’impliquaient pas tous de devoir fréquenter de cruels revenants. Profondément affecté par la mort de son chien, Fred Koett décida d’arrêter l’exploitation pour un temps. Il vendit une partie de son mobilier et tous ses animaux, dont les poils étaient devenus gris avant l’âge, et il s’en alla, gardant son adresse secrète de peur que la chose infernale ne le poursuive.

 » Je ne pouvais pas le supporter plus longtemps, expliqua-t-il aux journalistes. Je ne sais pas ce qui a causé tant d’événements mystérieux, mais j’ai vécu tellement de choses qui étaient à peine croyables… J’ai résisté plus longtemps que n’importe quel autre homme l’aurait fait. « 

Alors qu’il reprenait des forces dans son refuge, Fred commença à s’entrainer à dormir en journée afin de pouvoir étudier son visiteur spectral à la nuit tombée. Il se disait que quand il retournerait à la ferme, il n’aurait plus à s’occuper des animaux et que s’il en reprenait, alors il engagerait des employés pour s’en occuper. Il lui avait été promis toute l’aide nécessaire, même celle de la garde nationale, pour chasser le fantôme de sa propriété. Il avait le soutien des autorités et celui de ses voisins, qui pensaient toujours qu’un homme bien réel faisait preuve de merveilleuses astuces pour réaliser les phénomènes de hantise, mais pour une obscure raison, Fred abandonna son projet initial et il déménagea en Arkansas avec sa famille. Après son départ de la ferme, M. Bob Rick, l’un de ses voisins qui était agriculteur, vint s’occuper de ses terres, sans jamais rien remarquer d’anormal. Le fantôme avait réussi à faire fuir Fred Koett et sa nouvelle femme et plus personne ne le revit jamais.

Source: GenealogyTrails, Le San Antonio Light du 9 Octobre 1927.

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