Pierre Bourgot et Michel Verdung

En 1521, se tint un singulier procès dans la ville de Besançon. L’inquisiteur Jean Bois, qui instruisait l’affaire, avait ordonné que lui soient amenés Pierre Burgot et Michel Verdung. Les deux hommes étaient accusés de s’être livrés au diable et d’avoir mangé de la chair humaine alors qu’ils se trouvaient sous la forme de Loups.
La confession de Pierre Bourgot, surnommé le Grand Pierre, et celle de Michel Verdung, alors prisonniers pour l’hérésie de sorcellerie, fut relevée durant les derniers jours de décembre de l’année 1521, en présence de plusieurs témoins. Ils répondaient aux interrogatoires de Maitre Jean, docteur en Théologie, du prieur des frères prêcheurs de Pouligny et de l’inquisiteur général de la foi ordonné au diocèse de Besançon.

Dix-neuf ans plus tôt, le jour du marché du Nouvel An de Poligny, une tumultueuse tempête s’était abattue sur la ville. Une pluie qui avait non seulement perturbé le bon déroulement de la foire mais également égaré le troupeau dont Pierre Burgot était le berger de telle façon qu’il lui avait été impossible de le retrouver en quelque endroit qu’il l’eut cherché. Aidé de quelques villageois, il était à la recherche de ses bêtes lorsque soudain, s’étant éloigné des autres, il rencontra trois Cavaliers entièrement vêtus de noirs. Le dernier, s’adressant à lui, lui demanda alors:
 » Où vas-tu mon ami? Il semble que tu sois contrarié et troublé. « 
Pierre lui répondit:  » Il est vrai. Mon bétail s’est égaré dans la tempête qui vient de s’abattre et je suis au désespoir car je ne vois aucun moyen de le retrouver. « 
Le cavalier lui dit alors de garder courage. Il lui promettait que s’il voulait bien lui accorder sa confiance, alors il en parlerait à son maitre, lequel lui ferait retrouver son troupeau qui ne serait affaibli ni par les loups, ni par aucune bête. Il pourrait le récupérer intact, sans qu’une brebis ne périsse. Il lui affirma encore, probablement pour mieux le tenter, qu’il retrouverait ses brebis égarées et qu’il lui donnerait de l’argent. Pierre accepta son offre et lui promit de le retrouver au même endroit quatre ou cinq jours plus tard.

De là, il s’en alla rejoindre les autres villageois qui tentaient toujours de retrouver ses bêtes. Quatre ou cinq jours plus tard, Pierre se présenta à l’endroit convenu. Le Cavalier Noir l’attendait et il le reconnut immédiatement. Lorsque l’Homme demanda à Pierre s’il avait pris sa décision, celui-ci le pria de bien vouloir se présenter.
 » Je suis le serviteur du Grand Diable de l’Enfer. Mais ne crains rien.  » répondit alors le Cavalier.
Ainsi Pierre fit-il le serment de servir le diable à condition que celui-ci lui promette de garder son bétail et de veiller sur lui. L’envoyé du démon lui ordonna alors de renoncer à Dieu, à la vierge Marie, à tous les saints du paradis, à son baptême et à sa communion, ce que Pierre accepta. Quand cela fut fait, le Cavalier lui tendit une main noire et froide, comme morte. Alors, se jetant à genoux, Pierre fit honneur à Satan en le nommant son maitre, lequel lui interdit de réciter son Credo à l’avenir.
Pierre était demeuré alors deux ans au service du diable, sans jamais entrer dans une Église, sinon vers la fin de la Messe. Ou tout du moins, après la consécration de l’eau bénite qu’il n’avait pas le droit de recevoir suivant les ordres du diable.
Voila ce que lui avait commandé le serviteur du diable, dont le nom lui était encore inconnu à l’époque. Toutefois, vers la fin, il lui fit entendre qu’il s’appelait Moyfet. L’Homme en Noir n’apprit point à Pierre comment garder son troupeau. Ainsi, le diable semblait être le seul à défendre ses bêtes lorsque les loups se présentaient et jamais il ne leur fut fait aucun dommage. Sans ses brebis à surveiller, Pierre n’avait plus beaucoup de travail et il commençait à se lasser. Alors, quelques temps plus tard, après avoir déchargé le foin qu’il gardait pour son bétail, il avait recommencé à fréquenter l’Église et à réciter son Credo. Il vécut ainsi pendant huit ou neuf ans, jusqu’à ce que Michel Verdung lui intime de rendre obéissance à son maitre en allant le visiter sur leur lieu de rencontre. Pierre y consentit, à condition que l’Homme en Noir lui donne de l’argent, ainsi qu’il l’avait promis.

Alors, un soir, ils se rendirent ensemble dans un bois près de château-Charlon. Plusieurs étrangers, que Pierre ne connaissait pas, se trouvaient là qui dansaient. Chacun tenait dans sa main une chandelle verte, laquelle émettait une flamme bleue et perle. La fois suivante, Michel lui dit que s’il voulait y croire, ils pourraient se déplacer aussi vite qu’ils le souhaitaient. Pierre y consentit à condition que lui soit enfin remis l’argent qu’on lui avait promis, car il craignait qu’on ne l’eût trompé.
Michel lui ayant certifié qu’il aurait de l’argent en abondance, il lui demanda alors de se déshabiller et il oignit son corps avec un onguent qu’il avait apporté. Ceci fait, Pierre pensa qu’il était véritablement changé en Loup.
Horrifié, il pouvait apercevoir ses quatre pieds de Loup et son poil. Il courait aussi vite que le vent, ce qui n’aurait pas été possible sans son maitre, lequel le guidait et lui signalait chaque courbe et chaque obstacle. Pourtant, sous sa forme de loup, il ne pouvait le voir. Le maitre lui apparut seulement lorsqu’il reprit forme humaine.
Michel s’était enduit le corps du même onguent, et il courait pareillement à une telle vitesse qu’il en devenait invisible.
Après avoir passé une heure ou deux métamorphosés en Loup, ils retournèrent à leur forme initiale et leurs maitres, Guillemin pour Michel et Moyfet pour Pierre, leur donnèrent un onguent à chacun.

Lorsque Pierre se plaignit à son maitre de la grande fatigue qu’il ressentait après cette métamorphose, tellement grande qu’il pouvait à peine bouger, son maitre lui répondit que ça n’était rien. Il en serait bientôt entièrement soulagé.
Un jour, après que Pierre se soit passé de l’onguent sur le corps comme le lui avait montré Michel, l’idée lui vint soudain de mordre à belles dents un jeune garçon âgé de sept ans. Lorsqu’il s’approcha de lui, l’enfant se mit à crier tellement fort que le lycanthrope fut obligé de s’enfuir au plus vite vers l’endroit où il avait abandonné ses vêtements. Il s’était ensuite frotté à quelques herbes, que Michel lui avaient enseignées, ce qui lui avait permis de retrouver sa forme originelle.
Alors qu’ils se trouvaient sous la forme de Loups, Michel et lui avaient tué une femme qui cueillait des pois. Un certain Monsieur de Chufnee avait alors accouru, mais ils ne lui avaient point fait de mal.
Ils avaient également fait mourir une fillette âgée de quatre ans environs. Ils l’avaient entièrement dévorée, à l’exception de son bras. Bien que la chair soit extrêmement bonne au gout de Michel, encore qu’il n’en eut guère mangé, l’estomac de Pierre l’avait fort mal toléré. Selon leurs propres aveux, ils avaient aussi étranglé une jeune fille, de laquelle ils avaient sucé le sang et mangé la gorge. De leur troisième victime ils avaient dévoré l’embouchure de l’estomac, d’autant que ce jour-là, Pierre était affamé.
Les deux hommes se souvenaient aussi avoir tué dans un jardin une petite fille de huit ou neuf ans, à laquelle Pierre avait rompu le cou avec les dents car elle lui avait parfois refusé l’aumône, bien qu’il eût demandé à chaque fois l’aumône au nom de Dieu. Puis Pierre avait tué une chèvre près de la ferme de maitre Pierre Bongré. Il l’avait tout d’abord mordu, puis il lui avait coupé la gorge avec un couteau.

Pour une mystérieuse raison, Michel pouvait se transformer en Loup lorsqu’il était vêtu, mais Pierre devait de se déshabiller pour se métamorphoser. D’ailleurs, il ne savait pas ce que devenaient ses poils lorsqu’il retrouvait sa forme originelle. Le temps de leur transformation était quelques fois bien plus court que ce qu’ils ne l’espéraient et ils n’avaient pas toujours besoin d’herbe pour retrouver leurs formes humaines.
Pierre et Michel affirmaient qu’ils s’accouplaient aux louves avec plaisir et volupté, de la même façon que si elles avaient été leurs femmes. Ils prétendaient également posséder une poudre de couleur cendrée qui leur avait été donnée. Lorsqu’ils s’en frottaient les bras et les mains, alors ils pouvaient faire mourir tous les animaux qu’ils touchaient.

Il est nécessaire de se souvenir que ces deux hommes étant séparément interrogés pour des mêmes faits, ils avaient quelques fois répondu des choses contraires.
Néanmoins, Pierre Burgot et Michel Verdun furent condamnés à être brûlés vifs. Un tableau les représentant fut suspendu par la suite dans l’église de Poligny afin de rappeler à tous ceux qui le verraient les mauvaises actions dont étaient capables les hommes sous l’influence de Satan. Sur ce tableau, les deux hommes arboraient la forme de loups-garous et leur patte droite était singulièrement armée d’un couteau.

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