La Vraie Histoire du Prince Vlad Dracul

Vlad Dracul

Vlad Dracul, La naissance d’une Légende
(1434-1476)

Dracula, une légende. Mais bien avant la légende, était le prince Vlad Dracul, et son nom demeure une tâche infamante, aussi bien en Roumanie que dans les pays limitrophes, car il aurait commis les crimes les plus atroces que l’Histoire n’ait jamais connus.

Il réussit à acquérir une gloire bien supérieure à celle qu’aurait normalement put lui octroyer sa position dans le monde politique de son époque, période particulièrement rude, où résonnait en permanence le fracas des armes, grâce aux « forêts d’empalés » qu’il avait inventées et qui longeaient le bord des chemins sur des kilomètres, accueillant ses ennemis et les étrangers en visite. Les femmes, les enfants et les hommes étaient embrochés par le fondement, et lorsque le pieu ressortait par la bouche ou le sommet du crâne, alors le cadavre était mis en terre, alignés avec les autres. Cette vision semait la terreur et détournait quiconque de l’idée de trahir le redoutable Vlad Dracul ou d’attenter à ses jours.

La réputation du cruel Dracul continua à se propager bien après sa disparition, grâce aux moines qui traversaient régulièrement l’Europe. Certains chefs militaires reprirent à leur compte son art de la stratégie, espérant chasser aussi brillamment que lui les Turcs hors des frontières. À partir du XVe siècles, d’horribles histoires commencèrent à circuler concernant ses pratiques sanglantes. Il faut croire qu’un certain plaisir sadique était également partagé par les populations, puisqu’elles s’arrachèrent les toutes premières éditions, dont le succès fut immense. Les avis sont partagés quant à savoir s’il était un prodigieux chef militaire qui sut narguer et repousser l’envahisseur ottoman comme personne avant lui, ou un véritable monstre.

Le prince Dracula régnait sur un territoire correspondant à l’actuelle Roumanie. L’Europe s’étendait alors de l’océan Atlantique à la Mer Noire et à la Baltique. L’église était toute-puissante et la société structurellement féodale, même si les nouvelles formes de pensée de la Renaissance imprégnaient déjà les esprits éclairés. Par leur position géographique, la Transylvanie, et la Roumanie étaient particulièrement exposées aux invasions des infidèles attirés par l’Europe centrale. La Roumanie était comparable à ce qu’est aujourd’hui le Moyen-Orient, c’est-à-dire une plaque tournante géopolitique d’où pouvaient naître tous les conflits. Les Turcs étaient des envahisseurs extrêmement destructeurs, brûlant et trucidant tout et tous sur leur passage.

L’Histoire du Prince Dracula

Mircea le Grand, l’arrière-grand-père de Vlad, était un politicien réputé et conquérant remarquable. Il avait établi ses quartiers en Valachie, région bordant le sud de la Transylvanie. Pour éviter de se soumettre aux Turcs, Mircea avait signé, en 1395, un traité d’alliance avec Sigismond de Luxembourg et avait pris part à la croisade que celui-ci avait organisée contre les Ottomans.

En ce temps-là, les fils des familles nobles étaient habituellement envoyés pendant quelques années chez d’autres princes, afin d’y parfaire leur éducation. Mircea avait donc envoyé Vlad, le père de Vlad Dracul, héritier du trône, à la cour de Sigismond. Là, Vlad avait été accueilli au sein de l’Ordre du Dragon, ordre germanique de chevalerie fondé par le Saint Empire romain en 1387 et destiné à combattre les Turcs. Comme beaucoup d’ordres religieux et chevaleresques, ses objectifs étaient de protéger le roi et sa famille, de défendre l’empire, la foi catholique, les femmes et les enfants, et bien évidemment de chasser les Ottomans.

En 1431, année de naissance de Vlad Dracul, son père devint chevalier de l’Ordre du Dragon. Lorsqu’il revint au pays, sa cour et ses boyards le surnommèrent « Dracul », en hommage au prestige que leur prince avait acquis en devant chevalier de l’Ordre du Dragon. Le peuple, ignorant ces subtilités honorifiques, assimila Dracul à Diable, le mot roumain Drac pouvant signifier aussi bien le dragon que le démon.

Une fois chevalier de l’ordre, Vlad prêta serment d’allégeance à l’empereur, ce qui lui valut de recevoir un état-major et d’être reconnu comme prince de Valachie. Cependant, il n’entra pas immédiatement en possession du trône, alors occupé par son demi-frère Alexandru Aldea. Selon la loi valaque, le fils aîné du prince, qu’il soit légitime ou non, devait lui succéder. Il dut donc se contenter d’un gouvernement militaire en Transylvanie, avec pour mission de surveiller les régions frontalières.

Il s’installa alors dans la forteresse de Sighisoara, en raison de sa position stratégique exceptionnelle. Elle était une remarquable place forte. Équipée de murailles de pierre et de briques d’une épaisseur peu commune, qui s’étendaient sur une distance de 1 kilomètre, elle venait d’être consolidée pour mieux résister à l’artillerie turque. De plus, elle bénéficiait d’impressionnants donjons intérieurs, chacun étant couronné de quatorze créneaux portant respectivement le nom de la corporation qui en avait financé la construction. C’est ainsi que l’on trouvait le donjon des tailleurs, des joailliers, des orfèvres, etc. L’ensemble de la bâtisse était imprenable.

Vlad Tepes

Vlad n’avait qu’une idée en tête : reconquérir ce qui, selon lui, lui revenait de droit, à savoir son trône de Valachie. En 1434, considérant qu’Alexandru entretenait de trop bonnes relations avec les Turcs, Sigismond ordonna à Vlad de rassembler son armée en Transylvanie et d’envahir la Valachie pour son propre compte. Vlad battit les Turcs en 1436, puis il entra dans Targoviste, la capitale de Valachie, et s’empara du pouvoir avec la bénédiction de l’Empereur.

Les tous premiers princes de Roumanie partageaient avec les Ottomans une certaine « philosophie de harem ». Ils ne faisaient guère de différence entre épouses légitimes et concubines puisque le seul critère de succession était le sang royal paternel. Vlad engendra trois fils illégitimes, le deuxième étant Dracula, Vlad Dracul l’Empaleur. Le nom « Dracula », adopté par Bram Stocker et bien d’autres, est simplement formé du mot « dracul », auquel on a ajouté le suffixe « a » , signifiant « fils de ».

Dracula fit ses classes comme apprenti chevalier, et il reçut également un enseignement en sciences politiques dont les principes de base étaient d’inspiration « machiavélique ». Cela influença et modela fortement son esprit. L’histoire raconte que, dès son plus jeune âge, il avait développé des goûts morbides. Il suivait avec fascination les prisonniers qui étaient emmenés jusqu’au donjon des joailliers, où ils étaient pendus.

En 1437, Sigismond, roi de Luxembourg et protecteur de la famille Dracula, rendit son âme à Dieu et, du même coup, la Valachie à l’arbitraire des attaques ottomanes. Vlad Dracul signa aussitôt un traité d’alliance avec le sultan Murad II de Turquie. Il semblerait même qu’il dût souvent accompagner Murad lors de ses raids en Transylvanie, en se livrant lui-même à la tuerie et au pillage, brûlant tous les villages, ce qui contribua à forger la réputation sanguinaire de la famille Dracula.

À la mort de son père, le jeune Dracula fut emmené comme captif chez les Turcs, où il servit en tant qu’officier dans l’armée. Durant cette période de sa vie, il eut tout le loisir de se documenter sur les moyens de torture utilisés par les Turcs sur leurs prisonniers de guerre.

Mais, en dépit des enseignements qu’il pouvait recevoir, Dracula demeurait prisonnier du sultan, et il rêvait de Valachie, exactement comme en avait rêvé son père. Il décida donc de s’enfuir et de demander protection à l’État voisin de la Valachie, la Moldavie, où il espérait rassembler une armée pour conquérir son trône.

Après quelques tentatives infructueuses, ses efforts furent finalement couronnés de succès. En 1456, Dracula devint prince de Valachie, à l’âge de vingt-cinq ans. L’avènement de son règne coïncida avec le passage d’une comète dans le ciel de l’Europe. Dracula y vit la marque bénie de la destinée, et les débuts particulièrement prometteurs de son pouvoir. Il fit donc graver la comète sur une face de sa monnaie, l’autre arborant l’aigle emblématique de la Valachie.

Il s’établit à Targoviste, qui devint aussitôt la capitale politique, sociale et culturelle de son pays. Son palais était de proportions modestes, dominé par un beffroi d’où l’on pouvait parfaitement surveiller les alentours, notamment les mouvements des armées turques, mais surtout les exécutions qu’il avait ordonnées et qui se tenaient dans la cour, sous ses fenêtres. Les boyards (la noblesse terrienne) formaient traditionnellement le conseil de Valachie, dont le prince lui-même dépendait pour les décisions finales, surtout en matière de justice et d’administration. De ce fait, ils étaient plus puissants que leur souverain, et c’est pourquoi le trône de Valachie connaissait une grande instabilité, aucun des princes ne parvenant à se maintenir en place plus de deux ans.

Dracula allait mettre bon ordre à cette situation, en brisant de façon spectaculaire la puissance et l’arrogance des boyards, et en centralisant son gouvernement. Ce faisant, il assouvissait une également une vengeance, car ces mêmes boyards avaient éliminé un de ses frères en le brûlant vif…

Les plus anciennes chroniques roumaines relatent ainsi les événements survenus au printemps 1457 : « Il découvrit que les boyards de Targoviste avaient brûlé vif un de ses frères. Pour en savoir d’avantage, il fit exhumer son frère, qu’on trouva gisant face contre terre. Aussi, le jour de Pâques, alors que tout le monde festoyait et dansait, il les fit encercler… et les mena, avec femmes et enfants, tous vêtus de leurs habits de fête, à Poenari, où ils furent mis aux travaux forcés jusqu’à ce que leurs vêtements tombassent en lambeaux et qu’ils apparussent nus ».

La tradition populaire précise que Dracula fit d’abord empaler les enfants et les femmes dans la cour du palais, avant de conduire les hommes, enchaînés, au lieu-dit de la Source, après une marche de deux jours. Là, ils durent reconstruire la vieille citadelle en ruine. Il avait déjà donné les instructions pour que soient installés dans tous les environs des fours à brique et des séchoirs à terre glaise. Les boyards, sous la menace du fouet, se mirent alors à l’ouvrage, et le château fut rebâti.

Une légende parle d’un passage secret reliant le château à des salles souterraines dissimulées au cœur de la montagne, où Dracula se livrait à de mystérieux rituels. La « malédiction de Dracula » resterait essentiellement attachée à cet endroit, le plus maléfique d’entre tous. Une flamme dorée jaillirait parfois dans le ciel nocturne pour indiquer la présence du trésor que Dracula a volé aux boyards, mais quiconque tenterait de se l’approprier succomberait aussitôt à la malédiction.

Pour remplacer les boyards, Dracul créa sa propre cour et ses nobles en choisissant des gens d’origine plébéienne. Il rompit avec la tradition qui voulait que les terres et les biens confisqués à un boyard revinssent à un homme de même rang. Il les distribua à des hommes à lui, qui, pour le remercier, ne pouvaient que défendre vaillamment ce nouveau régime, leurs propres intérêts en dépendant.  Les nouveaux nobles obéissaient donc aux ordres de leur maître, et ils firent preuve de l’impitoyable violence qu’il attendait d’eux.

Enivré de puissance, Dracula ne se contentait pas d’avoir réduit les quelques boyards restant à l’état d’esclaves. Il menaçait tous les agents de son administration des pires punitions s’ils venaient à l’offenser, même involontairement. Un témoignage relate l’arrivée d’une délégation de diplomates italiens en provenance de Genève.

Des ambassadeurs arrivèrent à sa cour. En s’approchant de lui, ils ôtèrent leur chapeau pour le saluer. Sous le chapeau, ils portaient une coiffe ou bonnet qu’ils gardèrent sur la tête, selon la coutume de leur pays. Dracula demanda alors des explications concernant le fait qu’ils ôtaient leur chapeau, et point leur bonnet. À quoi ils répondirent : « C’est l’habitude dans notre pays. Nous ne sommes pas obligés d’enlever notre bonnet, même devant le sultan, ou l’empereur ». Dracula dit alors : « En vérité, j’approuve et veux conforter cette coutume ».

Les ambassadeurs le remercièrent en se courbant humblement, puis ils ajoutèrent : « Seigneur, afin de vous remercier de vos bontés, nous vous servirons toujours et dans tous vos intérêts, et nous ne manquerons pas de vanter vos mérites où que nous nous rendions ». De sang-froid, le tyran ordonna alors que des clous soient plantés, en demi-cercles, dans le crâne de chacun de ces hommes. « Croyez-moi », dit-il pendant que ses serviteurs achevaient cette horrible besogne, « c’est ainsi que j’encouragerai toujours vos belles coutumes ».

Pour mieux observer ce qui se passait dans les campagnes et vérifier que tout le monde travaillait dur, Dracula se déguisait, notamment la nuit, et il inspectait tout. Il voulait savoir comment les gens vivaient, comment ils s’acquittaient de leurs tâches, et quelles rumeurs circulaient. Parfois, il rendait visite à des fermiers, et leur posait toutes sortes de questions…

Une ballade évoque les méthodes employées pour mieux assujettir ses paysans. Un jour, Dracula rencontra un paysan qui portait une blouse trop courte. Ses chausses tissées à la main étaient si abîmées qu’on apercevait, par endroits, les cuisses du manant. Quand il vit cet homme ainsi vêtu, Dracula lui ordonna immédiatement de se rendre à la cour.

— Es-tu marié ? lui demanda-t-il.

— Oui, Seigneur.

— Ta femme est assurément de celles qui aiment paresser. Comment est-il possible que ta blouse ne couvre même pas tes fesses ? Ta femme n’est pas digne de vivre dans mon royaume. Qu’elle périsse !

— Pardon, Seigneur, mais je suis très content d’elle. Elle ne quitte jamais la maison et elle est honnête.

— Tu seras bien plus satisfait d’une autre, puisque tu es toi-même digne et valeureux.

Entre-temps, des soldats étaient allés quérir la malheureuse et l’avaient immédiatement empalée. Dracula offrit au paysan une autre femme à marier, et il prit la précaution de montrer à la nouvelle épouse ce qu’il en avait coûté à la précédente d’avoir provoqué son courroux. Du coup, la jeune épouse travailla si dur qu’elle en oublia de manger. Elle plaça le pain sur une épaule, le sel sur l’autre, et c’est ainsi qu’elle s’échina à la tâche. Par ce zèle, elle voulait donner davantage de satisfaction à son mari que ne l’avait fait l’ancienne femme, et surtout éviter la malédiction de Dracula.

Le prince Dracula pourchassait les parasites de la société, les mendiants et les vagabonds, avec une telle férocité qu’elle conduisait la population à se tuer au travail, sans jamais avoir l’idée de se révolter.

L’histoire qui suit est si célèbre qu’elle a été traduite en plusieurs langues, telles l’allemand et le russe. Dans la version roumaine, Dracula débarrasse la Valachie de tous ses mendiants, malades et miséreux.

Un jour, Dracula ordonna de crier par tout le pays que les vieillards impotents, les malades, les estropiés, les pouilleux, les aveugles et les vagabonds étaient tous conviés à un grand festin offert par le prince à Targoviste. Le jour dit, la ville se mit à grouiller de tout ce que le royaume pouvait contenir de gueux, de pauvres et de bancals. On crut étouffer sous le nombre. Les serviteurs du prince distribuèrent des habits neufs à chacun, puis conduisirent tout ce petit monde dans une grande maison, où des tables avaient été dressées. Les mendiants s’émerveillèrent de tant de générosité. Ils disaient entre eux : « Le prince a dû être touché par quelque grâce ».

S’étant attablés, que croyez-vous qu’ils virent devant eux? Un repas royal, avec des vins fins et des viandes succulentes qui laissent la panse repue et la tête lourde. La somptuosité de ce banquet devint légendaire. Tous bâfrèrent et burent plus que de raison. La plupart étaient ivres morts et ne pouvaient articuler un mot intelligible lorsque, soudain, des flammes et de la fumée s’élevèrent de toutes parts.

Le prince avait donné l’ordre d’incendier la maison. Les mendiants se ruèrent alors sur les portes, mais elles étayent verrouillées. Les flammes progressaient comme des dragons flamboyants, les dévorant au milieu des cris, des hurlements et des gémissements d’agonie. Les supplications n’eurent aucun effet, le feu continua à tous les engloutir. Ils tombaient les uns sur les autres, ils s’étreignaient désespérément, appelaient à l’aide, mais nulle oreille humaine ne pouvait les entendre. Ils se tordaient dans les pires tourments. Le feu en étouffa certains, en réduisit d’autres en cendres, mais grilla le plus grand nombre d’entre eux. Quand l’incendie prit fin, il ne restait plus âme qui vive au milieu des ruines.

D’après un manuscrit russe de l’ambassadeur Kouritsine : « … un été, et sur son ordre péremptoire, on dressait la table de Vlad Drakul et on lui servait son repas au milieu des cadavres empalés. Émule d’Assurbanipal, il lui était agréable disait-il, de manger et de boire parmi ceux qu’il délivrait quotidiennement du fardeau de la vie. Un jour, l’un de ses échansons, qui ne supportait pas l’odeur des corps en décomposition, se boucha le nez et se détourna. Mal lui en prit. Le maître lui demanda la raison d’un tel geste. « C’est que, bredouilla l’autre, je ne supporte pas la puanteur. » Dracula fit dresser un pieu deux fois plus élevé que les autres, et il ordonna qu’on y empalât l’échanson. « Ce pieu », dit-il, « t’élèvera au-dessus de ce bas monde et de la sorte, l’odeur ne t’atteindra point. »

La terreur qu’inspirait la menace du pal était si grande que durant le règne de Dracula, les voleurs et les brigands disparurent complètement. Le souvenir de ses cruautés demeure gravé dans le folklore roumain. Enjolivées ou pas, ces accusations faisaient de Vlad un homme redouté et haï, d’autant qu’il ne cessait de faire des percées en territoire ennemi.

Ainsi, en 1462, à la suite d’une fausse lettre prouvant l’allégeance de Vlad à la souveraineté de Mehmed II, fut-il emprisonné par les troupes de Mathias Corvin. Cet emprisonnement durera plus de dix ans, de 1462 à 1474, à la suite de quoi, selon certains écrits russes, Vlad l’Empaleur aurait été contraint d’embrasser la religion catholique en échange de sa libération. Il fut assassiné deux ans plus tard au cours d’une bataille mémorable contre les troupes turques. Décapité, sa tête aurait alors été « promenée » par ses vainqueurs dans tout l’Empire ottoman comme preuve de sa défaite.

Personne ne sait vraiment où fut enterré son corps. Selon les vieilles chroniques, il aurait été inhumé à Snagov, où s’élève un ancien monastère qu’il avait fait reconstruire de son vivant, et dont il ne reste aujourd’hui plus que des ruines au milieu d’un lac. L’abbaye de Snagov connut une certaine notoriété à la fin du XVIIe siècle lorsqu’elle publia, sous les ordres d’Antim I Vereanum, les versions roumaines de l’Ancien et du Nouveau testament. Plusieurs faits tragiques accréditèrent la légende selon laquelle le monastère était maudit par la présence de la dépouille de Vlad l’Empaleur. Ainsi, quelque temps après la mort de Vlad Dracula, un très violent orage détruisit l’une des trois chapelles du monastère.

En 1830, il fut transformé en prison par le général russe Kiselev, et sa passerelle, reliant le pénitencier à la terre ferme, céda au passage d’une colonne de bagnards, faisant cinquante-neuf victimes qui plongèrent, fers aux pieds, dans les eaux sombres du lac. En 1931, Florescu et Rossetti, un historien et un archéologue, ouvrirent deux tombes pour découvrir dans un sarcophage entièrement pourri les restes d’un squelette humain… probablement celui de Vlad l’Empaleur.

Pour les gens de Snagov, rôde encore dans la petite église la légendaire figure du terrible Empaleur…

Princesse Alexandra Caradja

Descendante de la lignée de Vlad Tepes. Née en 1920, chassée de Roumanie par le régime communiste, la princesse Alexandra Caradja s’est exilée en France, à Paris, où elle tente depuis de faire revaloriser l’image de son illustre ancêtre, accusé à tort, selon elle, d’avoir été sanguinaire et cruel. « C’est son époque qui était cruelle, et non lui », a-t-elle précisé.

La princesse Caradja se bat depuis un certains nombre d’années pour réhabiliter la mémoire de son ancêtre et pour que cesse l’amalgame qui est régulièrement fait entre le personnage historique Vlad l’Empaleur, et le héros-vampire de Bram Stocker, Dracula. Pour elle, le « folklore » qui s’est constitué autour de son ancêtre n’est qu’une mascarade qu’elle ne manque jamais de dénoncer.

« Il est temps », a-t-elle déclaré, « de faire la différence entre le vampire de Bram Stocker et Vlad Tepes. Nous sommes de la dynastie des Besaraba qui règne depuis près de mille deux cents ans en Roumanie. Les Besaraba ont donné leur nom à cette province de Roumanie, la Besarabie, ainsi que quarante-six princes régnants dont le troisième était Vlad Tepes !

Ma famille a eu deux branches, celle des Danesti et des Draculesti. Tout ce qui est dit à propos de Vlad est un tissu de contresens. Par exemple, on prétend que l’on met des numéros à nos gouvernants, Vlad Ier, Vlad II, Vlad III, comme on le faisait pour les rois de France. Or, c’est entièrement faux, nous ne numérotons pas nos rois, nous leur donnons des surnoms : Vlad l’Empaleur, Vlad le Moine, Vlad le Beau.

Autre erreur à rectifier. On parle de Dracula, mais ce mot n’existe pas en roumain ; on emploie le mot de « Draculea » qui veut dire « fils de », donc fils de Vlad Dracul. On n’avait jamais fait de parallèle entre le Dracula du roman et le personnage réel de Vlad l’Empaleur avant les années 70, où parut le livre In Search of Dracula, de Florescu et Mc Nally. Même dans les années 30, lorsque le film de l’Universal avec Bela Lugosi est sorti, personne n’avait jamais fait un tel rapprochement.

On fait de Vlad Tepes un être sanguinaire pour une raison très simple, c’est que ses exploits ont marqué les esprits à un tel point que l’on a fini par exagérer la portée de ses actes véritables. Il faut savoir qu’après des décennies de tentatives turques pour s’emparer du territoire, Vlad fut le premier, avec un nombre de combattants inférieur à celui de ses adversaires, à mettre les turcs en fuite ; et ce que l’on sait moins, ou que l’on n’a pas compris, c’est que l’empalement était déjà une pratique courante. Les armes de l’époque, il faut s’en souvenir, étaient des lances, des sabres, des épées ; en somme des armes tranchantes qui ne faisaient rien d’autre qu’empaler ! Mais l’imagination s’est laissée déborder à propos du nombre des victimes supposées et sur la façon dont elles l’ont été.

Ainsi, lorsque l’on parle du massacre de vingt-cinq mille victimes turques, il faut savoir qu’en fait Vlad, qui ne disposait que de douze mille soldats, a inventé la guerre psychologique. Il a cherché ce qui pourrait faire reculer les Turcs pour éviter une confrontation qui lui serait fatale, étant donné la disproportion entre le nombre de ses soldats et celui de ses adversaires. Il a appris que la chose la plus horrible pour un musulman était de voir profaner un cadavre. Vlad a donc utilisé cette crainte pour effrayer ses ennemis.

Contrairement à la légende, Vlad l’Empaleur n’a jamais empalé de gens vivants, mais il a joué avec le tabou suprême qui effrayait les Turcs « l’empalement de cadavres », car dans la religion musulmane le cadavre est sacré et sa profanation interdite. Afin d’intimider le sultan et d’effrayer ses troupes, Vlad a donc donné l’ordre d’empaler tous les soldats morts abandonnés sur le champ de bataille. Lors d’une première attaque de troupes turques, il a donc fait empaler la première vague d’attaquants tués, et lorsque la seconde vague est arrivée, ce fut pour elle la consternation de trouver des milliers de cadavres empalés, et les troupes turques ne purent que rebrousser chemin, horrifiée devant une forêt de corps empalés.

Vlad avait compris que la meilleure façon d’être respecté était de faire régner la peur. Politique qu’il appliqua sur son propre territoire, envers ses propres sujets. Ainsi, l’histoire du gobelet d’or sur la margelle du puits de chaque village est vraie ! Il y avait bien un gobelet d’or sur chaque fontaine, chaque puits mais personne ne les a jamais volés car Vlad promettait de punir par la mort tous les gens qui se trouveraient à proximité de la fontaine ou du puits au moment où le gobelet d’or serait volé. Ce qui était une excellente menace empêchant un quelconque vol.

Contrairement à ce que l’on raconte un peu partout, ce n’est pas Vlad l’Empaleur qui a créé snagov, mais son père. Et les fouilles archéologiques qui ont été faites en 1933-1934 l’ont été par ma famille, par mon père et mon grand-père. On y a trouvé la bague de Draculea avec ses armes, son sceau. Vlad Tepes a fait reconstruire Poenari, il a vécu à Tirgoviste, mais il ne n’est jamais allé s’installer dans d’autres villes ; peut-être les a-t-il seulement « traversées » ?

D’autre part, il n’a pas été contraint de renoncer à la religion orthodoxe, il est devenu catholique parce qu’il voulait épouser la sœur de Mathias Corvin, qui était catholique. C’est là la vraie raison de sa conversion au catholicisme.

Quant à la haine des Turcs, elle s’explique ainsi : un jour il fut invité par les Turcs, en tant que prince de Valachie, or, au lieu d’être accueilli par ses hôtes avec les honneurs dus à son rang, on lui a mis les fers aux pieds, et on l’a jeté dans un cachot sans ménagement. Ainsi, il s’est senti à la fois trahi et humilié, et c’est une chose qu’il n’a jamais pu ni oublier, ni pardonner. »

Conclusion de la princesse : « Ce n’est pas la peine d’enfumer le diable, il est déjà assez noir ! »

Interview le 15.07.1996, Paris.

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