La Légende des Vampires: L’origine des vampires

Selon une très ancienne croyance populaire, « La mort engendre la mort. » L’homme moderne s’est éloigné depuis longtemps de ses profondes intuitions, ces abysses mystérieux et émotionnels de la connaissance qui se passent de la raison. Le vampire lui, ancien ou moderne, prend justement naissance dans ces régions incertaines de l’inconscient, n’en exprimant que quelques vagues réminiscences, se faisant l’écho de nos propres peurs, de notre attrait singulier pour l’interdit, de notre fascination morbide, de notre désir intemporel de pouvoir et d’immortalité. Je vous invite à un voyage à la découverte de ces Démons qui nous hantent, du pays de la superstition et du folklore à celui du fantastique, de l’imaginaire et du merveilleusement gothique.

Petite Histoire du Vampire

Vampire : n. m. (De l’Allemand Vampyr). Mort qui, suivant la superstition populaire, sort du tombeau pour sucer le sang des vivants.

Le personnage du vampire, légendaire créature drapée de mystère qui s’éveille à la nuit tombée et se régénère en s’abreuvant du sang des mortels, hante notre monde depuis bien des siècles mais il n’est pas né de notre seule imagination, sa légende prend racine dans d’innombrables récits et témoignages, superstitions et faits divers. Depuis l’aube de l’humanité se retrouvent à travers tous les pays les traces de ce que nous appelons des vampires ou des créatures similaires. Aucune terre, aucun temps et aucune société humaine n’a été épargné. Le vampire remonte à la peur du retour des morts malfaisants, en l’honneur desquels étaient parfois sacrifiés les esclaves, les prisonniers, les veuves et les concubines.

L’arbre généalogique du vampire est relativement simple et d’après nos connaissances actuelles, les peuples assyriens et babyloniens furent les premiers à en faire mention. Dans l’ancien Empire Assyrien, des incantations étaient nécessaires pour neutraliser les esprits maléfiques qui cherchaient à se nourrir de la chair des vivants. Le culte du vampirisme est évoqué dans l’Égypte ancienne, où le culte des morts imposait des cérémonies complexes au cours desquelles les prêtres vénéraient une divinité ayant pour forme un oiseau au plumage noir. Cet oiseau funeste symbolisait l’âme du défunt dans son voyage vers le royaume des ombres.

Le mort, toujours actif, mais dans l’autre monde, pouvait à l’occasion revenir parmi les vivants pour les tourmenter ou les entraîner avec lui à tout jamais. Une tradition remontant à l’Antiquité consistait à placer dans la tombe du défunt divers objets qui avaient pour fonction de combler ses besoins éventuels et de lui ôter, par là même, toute envie de réclamer quoi que ce soit. Un peu partout dans le monde le mort partait avec des provisions de bouche, le royaume des esprits étant décrit comme très similaire au terrestre. Cette pratique évitait au cher disparu des fringales inopinées qui auraient pu le pousser à des visites nocturnes inopportunes. Des bols de grains et des jarres de boissons étaient donc placés près de lui, et souvent dans les sépultures anciennes, des graines de pavot ont été retrouvées, probablement déposées là pour leurs effets narcotiques, destinées à encourager le défunt à dormir plutôt qu’à revenir errer là où il n’était plus le bienvenu.

Dans certaines civilisations, si le disparu avait besoin de nourriture, il lui fallait également une occupation. Des faucilles ont été découvertes dans les tombeaux des paysans, qui symbolisaient les travaux des moissons et devaient les encourager à travailler. La nourriture et les outils déposés près d’eux devaient donc maintenir le cadavre occupé et repu jusqu’à ce qu’il perde toute velléité de faire le chemin en sens inverse. Rome possédait ses collèges de prêtres chargés d’apaiser les lémures et les spectres et les âmes des héros et des brigands de la Grèce antique étaient condamnées à errer dans le monde des vivants sous forme d’ombres exigeantes et néfastes.

Les anciens donnaient aux âmes des mauvais hommes et à ceux qui mouraient de mort violente le nom de Lémures, et ces créatures étaient de véritables vampires. Dans Apulée et dans Ovide, ces spectres n’apparaissent que pour menacer, épouvanter et tourmenter les vivants. Les romains redoutaient tellement les lémures qu’ils procédaient à des cérémonies religieuses afin de les apaiser, les Lemuria. Le père de famille se levait à minuit, pendant que toute sa maison était endormie puis il allait, pieds nus, en grand silence et rempli d’une sainte frayeur, jusqu’à une fontaine, faisant un peu de bruit par le craquement de ses doigts pour écarter les mânes. Après s’être lavé trois fois les mains il s’en retournait en jetant de grosses fèves noires par-dessus sa tête et en disant : « Je me rachète, moi et les miens, par ces fèves. » Il devait répéter neuf fois cette formule sans regarder derrière lui, le spectre ramassant discrètement les fèves sans se montrer, prendre de l’eau une nouvelle fois, frapper sur un vase d’airain, prier neuf fois l’apparition de sortir de chez lui, avant de pouvoir retourner dans son lit.

Outre les Lémures, les anciens craignaient encore d’autres spectres ou esprits malfaisants, qu’ils appelaient Lamies. Les grecs pensaient que les lamies étaient des spectres à tête de femme et à corps de serpent qui dévoraient les enfants. Dion Chrysostôme affirmait que les Lamies étaient nombreuses dans la Lybie. Elles montraient leur sein aux hommes pour les attirer, et elles dévoraient ceux qui avaient l’imprudence de s’approcher d’elles. Philostrate, dans La vie d’Apollonius de Thianes, parlait d’une Lamie qui couchait avec les hommes pour les manger.

Les Lamies étaient surtout friandes du sang des jeunes enfants, qu’elles suçaient jusqu’à les faire mourir. Delrio citait le cas de deux Lamies, Gello et Gilo, qui enlevaient les enfants qui venaient de naître pour les dévorer. Nicéphore assurait qu’elle avait enlevé un jour le jeune Maurice, qui devint empereur par la suite, mais qu’elle n’avait pu le manger car il portait des amulettes.

Le démon Eurynome était réputé dévorer les cadavres et n’en laisser que les os. Homère précisait que les créatures de l’Hadès éprouvaient le désir de revivre encore par l’insertion du sang qu’elles buvaient goulûment et Œdipe prétendait que « son corps froid viendrait sucer le sang chaud » des Thébains après leur défaite. Chez les orientaux les Lamies déterraient les cadavres dans les cimetières pour en faire de grands festins et chez les perses, des vampires de la même espèce étaient désignés comme des Gholes. Dans l’antiquité, sévissaient plusieurs créatures du même genre, qui dévoraient les corps des morts par dépit lorsque ceux des vivants leur échappaient.

Les stryges étaient de vieilles lamies, des sorcières ou des spectres qui se régalaient de la chair des vivants. Il existait même dans la loi salique un article contre ces malfaisantes créatures. « Si une stryge a mangé un homme, et qu’elle en soit convaincue, elle paiera une amende de huit mille deniers, qui font deux cents sous d’or. » Apparemment, la croyance dans les stryges était commune au Ve siècle, puisqu’un autre article de la même loi condamne à cent quatre-vingt-sept sous et demi celui qui insultera une femme libre en la traitant de stryge ou prostituée.

Ce fut en menaçant nos ancêtres de ces spectres, qui mangeaient le sein des femmes et suçaient le sang des hommes, que sous Charlemagne la dîme fut établie en France. Ces menaces étaient attribuées à Jésus-Christ en personne. Les stryges étaient punissables d’amendes, en ce temps-là les spectres et les fantômes étaient soumis aux mêmes lois que les êtres vivants, et de graves peines étaient imposées aux fantômes enflammés qui apparaissaient dans les airs. Cependant, ceux qui faisaient brûler les hommes ou les femmes accusés d’être stryges étaient passibles de la peine de mort. L’opinion était répandue chez les Saxons que des sorcières et des spectres mangeaient ou suçaient le sang des hommes. Pour se protéger de leur voracité, il était conseillé de manger leur chair, et si l’une d’entre elles était découverte, alors elle était brûlée.

En Chine ancienne, le Ch’ing Shih aux larges yeux rouges et aux serres de vautour s’emparait des morts trop hâtivement inhumés, et les bouddhistes entretenaient l’idée que les vampires, s’ils n’étaient pas comblés par quelque sacrifice, sortaient du monde souterrain et venaient directement se servir directement dans le garde-manger humain. Ils ne pouvaient accomplir leurs forfaits que durant les heures qui séparent le coucher du soleil des premières lueurs de l’aube. Cette croyance était fondée sur l’existence d’un dieu solaire qui avait plein pouvoir sur toute chose ici-bas. En Malaisie, le vampire apparaissait sous la forme d’un gigantesque moustique, le Pennaggalan, composé d’une tête d’homme, sans le tronc, mais avec un estomac pendant dans son cou. Le Vétala indien quant à lui tournoyait autour des lieux d’incinérations. En Polynésie, sévissait le Tu ou Talamaur, qui arrachait la chair des victimes qu’il avait auparavant séduites. Ses goûts allaient, de préférence, vers la chair prélevée sur des cadavres frais, car il aimait à se repaître des derniers soubresauts de la vie.

Chez les Achantis du Ghana, des démons à l’épiderme phosphorescent se jetaient du haut des arbres sur les noctambules imprudents. Au Mexique, le dieu Tezcatlipocâ, qui traînait un corps décomposé et poussait des cris de rapace, protégeait les vampires et les loups-garous. En Afrique Australe, les tribus bantoues Ovambo coupaient la tête et les membres des défunts pour prévenir le retour de leurs esprits dans le monde des vivants. Les habitants du pays des Cafres avaient la conviction que les morts se relevaient de leur tombe et se régénéraient en buvant le sang humain. Ils ne revenaient de toute façon que pour cela. Il était donc conseillé de camoufler toute blessure et de recouvrir de terre le sang répandu sur le sol, sans quoi un esprit malin pouvait se jeter dessus pour se réincarner en une créature épouvantable.

A l’époque païenne, afin d’obliger le mort susceptible de se lever de sa tombe à rester à sa place, les Slaves de l’Ouest faisaient grand usage de la « pierre de cadavre. » Ils déposaient sur la poitrine du défunt une pierre plate, et pour renforcer l’efficacité du procédé, ils lui immobilisaient parfois les membres grâce à des pavés de moindre taille. Au XIIe siècle, il était bien vu d’empaler et de brûler des revenants.

En Europe, à l’époque médiévale, notamment dans les Balkans, des hordes de vampires infestaient littéralement villes et villages, décimant les populations. Les prêtres et les seigneurs de la région étaient chargés d’établir des « rapports scientifiques » afin de trouver de possibles parades à d’aussi abjectes malédictions. Lorsque les troupes Autrichiennes envahirent les territoires les plus reculés de l’Europe de l’Est, telles la Serbie et la Valachie, par exemple, ils découvrirent que les populations avaient d’étonnantes pratiques : elles exhumaient parfois leurs morts afin de les tuer. La peur des vampires était telle que les villageois estimaient que la seule façon de les reconnaître était de repérer la moindre anomalie sur un cadavre, signe évident d’une manifestation de nature vampirique, qu’il soit trouvé en état de décomposition ou en parfait état de conservation. Le gonflement d’un cadavre était la preuve irréfutable de la présence d’un vroucolacas mais l’idée la plus extraordinaire, et elle était véritablement admise dans certains villages, était que la lune ranimait les vampires. Ainsi, lorsque ces spectres, poursuivis dans leurs courses nocturnes, étaient frappés d’une balle ou d’un coup de lance, ils pouvaient mourir une seconde fois, mais exposés aux rayons de la lune ils reprenaient leurs forces perdues et le pouvoir de sucer à nouveau le sang des vivants.

De nombreux érudits de l’époque assistèrent à des exhumations et en rédigèrent des comptes rendus détaillés, et ces témoignages provenaient aussi bien de l’Empire Austro-hongrois que d’Allemagne, de France ou d’Angleterre. Ainsi, l’Europe toute entière put-elle constater que des pratiques ayant pris naissance dans les premiers âges de l’humanité étaient toujours d’actualité. Il devint alors évident alors que le vampire slave, l’Oupir, trouvait son équivalent dans presque toutes les cultures d’Europe, et que tous les folklores nourrissaient, sous diverses appellations, des créatures maléfiques de la même espèce. Les savants de l’époque s’attachèrent à trouver des cas comparables dans des civilisations aussi éloignées que la Chine, l’Indonésie ou les Philippines et nombreuses furent les trouvailles archéologiques. Les exemples ne manquaient pas dans les pays Slaves. Les individus soupçonnés de vampirisme, dont les tombes étaient le plus souvent orientées d’Est en Ouest, sans que l’on sache aujourd’hui vraiment pourquoi, étaient souvent couchés sur le ventre. Ainsi, lorsque le défunt tentait de se relever, il trouvait devant lui la terre et s’enfonçait de plus en plus belle lorsqu’il tentait de creuser. De plus, s’il lui prenait l’envie de mâcher quelque chose, il était servi.

Trois tombes furent découvertes près de Veronej, dans lesquelles les morts avaient été disloqués par élongation, puis étendus sur le ventre. Pour plus de sureté, une croix de bouleau avait été clouée à l’arrière de leur crâne. A Platkow, deux squelettes furent retrouvés dont l’un présentait un trou occipital. Une grosse pierre avait été posée sur la poitrine des deux cadavres, qui avaient prudemment été inhumés dans à l’écart du cimetière. Dans une nécropole de Bartelsdorf, de lourdes pierres pesaient sur la poitrine des morts, sur leurs chevilles, sur leur tête et occasionnellement sur leurs mains. Certaines de ces pierres portaient des croix taillées avec un instrument métallique. En Poméranie, dans un cimetière de Rawsn, des squelettes furent exhumés qui étaient recouverts d’une rangée de pierres plates qui s’étalaient de la tête à l’abdomen. En Tchécoslovaquie, à Lahovice, le squelette d’un jeune homme fut découvert avec des pierres sur la tête, les cuisses, les mains et la poitrine. De nombreuses tombes datant du XIe au XIIIe siècle furent ainsi retrouvées, où les morts slaves se trouvaient à jamais immobilisés par ce procédé. Les sépultures d’enfants en particulier, toujours très isolées des autres, offraient souvent le spectacle de cadavres entièrement écrasés. De même, un nombre incroyable de squelettes furent découverts dans leur tombe avec les genoux et les poignets ficelés, et parfois, comme en Bulgarie, roulés dans un tapis.

Une pièce de monnaie était fréquemment ajoutée dans la main du cadavre. Suivant diverses constatations, la présence d’un pieu de frêne, de tremble ou d’aubépine apparaît comme extrêmement fréquente. En Roumanie, afin que les villageois n’aient pas besoin de vivre dans une crainte permanente, il était conseillé de planter un ou plusieurs pieux taillés en pointe à l’intérieur de la tombe, de telle sorte que la créature ne pouvait s’en extirper sans se trouver transpercée, et donc tuée. Selon certaines estimations, 5,8% des morts étaient immobilisés d’une manière ou d’une autre dans ces pays.

Dans Magia Posthuma, un petit ouvrage de 1706, Ferdinand de Schertz assurait que de son temps, les observations de vampires dans les montagnes de Silésie et de Moravie étaient fréquentes. Ils apparaissaient en plein jour comme au beau milieu de la nuit et les objets qui leur avaient appartenu de leur vivant remuaient et changeaient de place sans que personne ne paraisse les toucher. Le seul remède contre ces apparitions était de couper la tête et de brûler le corps du vampire. Dans la partie du cimetière de Dyhernfurth, en Silésie, réservée aux infâmes (suicidés, homosexuels, bannis, excommuniés, etc…), un squelette chargé de pierres fut découvert, dont le crâne avait été transpercé de part en part avec un long clou de fer. Les traditions orales et écrites ne font aucune allusion à ce mode de protection anti-vampirique, mais il semblerait pourtant que les Slaves du Sud en aient usé. D’autres squelettes furent trouvés la tempe perforée par une longue pierre pointue, dans une nécropole située près de Tavrov. Dans la nécropole de Lagov, tous les cadavres d’enfants avaient été inhumés avec une pièce d’argent entre les deux incisives supérieures, et certains avaient été cloués par les mains au fond du cercueil.

L’archéologie devait encore mettre en évidence une autre mesure propre à immobiliser le vampire dans sa tombe et à l’empêcher de mastiquer : le caillou ou le bout de métal déposé dans la bouche du mort. Pour contrer la soif du vampire, une autre méthode consistait à lui introduire une épine sous la langue : ainsi, ses victimes pouvaient l’utiliser pour se défendre. Parfois, des objets métalliques lui étaient enfoncés dans la bouche : couteau, clou, pointe… Il y a quelques années de cela, des chercheurs italiens ont découvert sur une île du lagon de Venise, l’île de Lazzaretto Nuovo, les restes d’une femme présumée vampire. Le cadavre était enterré dans une fosse commune remontant au XVIe siècle, avec les corps des victimes de l’épidémie de peste de 1576. Comme le voulait la coutume en cas de suspicion de vampirisme, une brique avait été insérée entre ses mâchoires, probablement pour l’empêcher de mâchouiller son linceul ou de nuire aux vivants. Pour Matteo Borrini, anthropologue à l’université de Florence, cette découverte confirmait l’idée selon laquelle les vampires étaient tenus comme responsables d’épidémies telles que la peste.

La Malédiction du Vampire

Bien avant que les vampires investissent les pages gothiques et ne deviennent des vedettes de la littérature et du cinéma, ils avaient la réputation d’infester la campagne et les villages aux confins de l’Europe de l’Est, au cœur des anciennes provinces de Hongrie, de Roumanie, de Transylvanie. Dans notre culture, la description la plus commune du vampire est celle d’un homme de haute taille, très mince et d’allure aristocratique, vêtu de noir et drapé d’une immense cape flottant au vent… Doté d’immortalité, il est élégant, racé et terriblement attirant… Fascinant et charmeur, il a un goût prononcé pour les belles femmes, de préférence jeunes et vierges. Son regard intemporel est hypnotique, nul ne peut résister à sa volonté, et son sourire rare et glacé révèle, si l’on s’y attarde, deux canines exagérément longues et pointues. Ses ongles de nacre sont aiguisés et crochus, et sa peau d’une sophistiquée pâleur éthérée, sauf après ses repas, bien entendu, où celle-ci recouvre alors quelques couleurs…

Isolé dans un sombre château, le vampire dort communément dans un cercueil d’où il ne peut sortir qu’une fois la nuit tombée. Il est fréquemment assisté d’une quelconque âme damnée qui lui tient lieu de serviteur dévoué et veille à tous les problèmes d’intendance pendant le sommeil de son maître. Le vampire craint, entre autres, la lumière du soleil, les crucifix, les gousses d’ails les pieux bien aiguisés et il sème terreur et désolation parmi les populations des villages isolés, rôdant dans les landes, les sombres forêts, les montagnes et plus récemment dans les ruelles froides des grandes métropoles.

Pouvant parfois montrer quelques états d’âme ou quelques sentiments, le vampire est dénué de tout sens moral, il suit ses propres règles, et tue sans pitié pour s’abreuver du sang de ses innocentes victimes mortelles. Il est le meilleur auxiliaire de son insatiable maîtresse, la Mort. Mais là n’est pas sa pire ignominie car il peut également transformer ses victimes en des créatures à son image, leur offrant la damnation d’un funeste baiser.

Ce portrait, volontairement sommaire, ne décrit en rien le vampire des temps anciens. Il vous faut oublier toutes ces caractéristiques pour découvrir, à travers les nombreux témoignages qui sont parvenus jusqu’à nous, l’univers beaucoup moins romanesque des vampires qui hantaient autrefois les campagnes et l’esprit des hommes.

La Naissance du Vampire

Autrefois, le vampire était représenté comme un être rougeaud ou violacé, quelques fois de couleur sombre, au corps gonflé du sang de ses victimes. Lorsqu’il reposait dans son cercueil, alors du sang suintait souvent de sa bouche et de son nez, et son œil gauche demeurait obstinément ouvert. Cependant, son identification n’était pas toujours aussi aisée. Bien entendu, les séries de morts inexplicables étaient particulièrement suspectes. Lorsque du bétail ou plusieurs personnes dépérissaient de manière étrange sans que la cause du décès ne soit connue, alors un vampire pouvait être évoqué. La venue d’un étranger à la physionomie inhabituelle ou à l’allure suspecte au moment d’une hécatombe permettait également de soupçonner la présence d’une créature maléfique. Dans La Famille du Vourdalak de Tolstoï, l’auteur écrivait que le vampirisme était contagieux et que de multiples décès en étaient le signe.

Les superstitions étaient nombreuses et beaucoup de personnes, toutes celles qui présentaient une différence physique, se trouvaient prédisposées à devenir vampires ou, d’une manière ou d’une autre, à revenir après leur mort. Fort heureusement, certains signes désignaient le futur vampire, permettant ainsi de le surveiller attentivement : une dentition précoce, trois mamelons, un nez sans cartilage, une lèvre inférieure fendue, ou encore des traits de bestialité tel un abondant système pileux recouvrant le front ou le dos, sans oublier le début de queue en prolongement de la colonne vertébrale, couverte de poils hirsutes etc…

Suivant certaines croyances slaves et chinoises, le corps d’un défunt enjambé par un animal, particulièrement un chat ou un chien, pouvait transformer le mort en vampire, et une personne blessée qui n’était pas soignée avec de l’eau bouillante pouvait subir le même sort. Dans le folklore russe, les vampires passaient pour être d’anciens sorciers ou des rebelles à l’église orthodoxe. Les personnes impopulaires, les pécheurs impénitents, les alcooliques, les suicidés, les sorcières, les magiciens, les athées et les méchants, les loups-garous, les voleurs, les pyromanes, les prostituées, et d’une manière plus générale, toute âme sans foi ni loi se retrouvaient condamnés sans appel. Certains incidents malheureux pouvaient également apporter la malédiction, par exemple, les enfants dont le parrain avait bafouillé pendant le baptême, les prêtres célébrant la messe en état de péché mortel, les enfants conçus lors de fêtes religieuses, les enfants illégitimes issus de parents eux-mêmes illégitimes, un corps enterré sans la présence d’un prêtre, et enfin, le plus sûr moyen pour qu’un défunt mal intentionné se transforme en vampire actif : l’absence de sépulture. D’une curieuse manière, les morts violentes, assassinat, électrocution par la foudre, noyades, suicides etc., étaient également réputées pour transformer les victimes en vampires.

L’état du cadavre restait toutefois le moyen d’identification le plus répandu. Si le corps du défunt était souple, si son visage était rougeâtre, si ses yeux étaient ouverts et si son apparence était plus saine que celle qui était prévue, alors il était suspecté de vampirisme. D’une manière plus générale, la non-putréfaction d’un corps était considérée comme un signe évident d’activité démoniaque. Lorsque le cadavre était retrouvé dénudé ou si son linceul avait été partiellement dévoré, il était légitime de suspecter une certaine activité vampirique. Notons tout de même que le soupçon de vampirisme n’apparaissait qu’à la suite d’événements tragiques, décès en série, sans raison apparente, rapides et incontrôlables, qui donnaient à penser que quelqu’un y était pour quelque chose. Si aucune catastrophe ne s’abattait sur la communauté, les défunts, même les moins fréquentables, pouvaient reposer en paix dans le cimetière sans que personne ne vienne jamais profaner leur sépulture.

Prévenir la Transformation

Les cadavres issus de mort violente, ceux des suicidés, des condamnés, des non baptisés, des apostats, des excommuniés et des sorciers nécessitaient obligatoirement quelques précautions particulières, tout comme ceux qui présentaient quelque particularité congénitale. Comme ils ne pouvaient être enterrés en terre consacrée, il fallait les neutraliser par des pratiques radicales aussi leurs sépultures étaient-elles creusées dans des lieux dangereux où les rencontres avec l’au-delà étaient possibles : au pied des gibets où naissaient les mandragores, dans les champs où s’assemblaient les sorciers, à la croisée des chemins etc… Lors de la veillée funèbre, diverses précautions étaient prises. Les ouvertures de la pièce étaient bouchées pour empêcher toute infestation vampirique et pour éviter que la lumière de la lune ou du soleil ne vienne réanimer le cadavre, les miroirs étaient voilés ou retournés contre le mur pour les empêcher de réfléchir l’âme, ce qui aurait permis au défunt de retourner dans son corps, et des lumières étaient allumées à l’extérieur de la maison car les vampires, comme toutes les créatures de la nuit, étaient réputés craindre la lumière et le feu. Les chiens et les chats étaient chassés de la maison, car leur passage au-dessus du corps du défunt était supposé le changer en vampire, et les personnes, les animaux de ferme, les portes et fenêtres étaient frottés avec de l’ail. Par précaution, des fleurs d’ail étaient d’ailleurs suspendues dans toutes les pièces.

Afin de prévenir toute métamorphose indésirable une fois le mort dans sa tombe, plusieurs pratiques étaient réputées efficaces : enterrer le corps à l’envers, percer la peau de sa poitrine ou placer des objets acérés près du cadavre du défunt afin qu’ils puissent pénétrer sa peau s’il lui venait la mauvaise idée de vouloir se transformer. En Europe, certaines croyances préconisaient de couper les tendons des genoux du disparu afin de l’empêcher de se déplacer et parfois, par mesure de précaution, ses membres étaient brisés avec de grosses pierres, qui étaient laissées sur place la plupart du temps. Dans certains cas, pour dissuader le défunt de revenir, son corps pouvait être roué de coups ou même dépecé.

Les gitans pensaient que transpercer d’acier ou d’aiguilles de fer le cœur du défunt et placer dans ses yeux, ses oreilles et entre ses doigts des morceaux de fer ou d’aubépine lors de son enterrement évitait toute métamorphose malheureuse. Décapiter le cadavre était réputé efficace, mais il fallait ensuite enterrer la tête près du corps, entre ses jambes, pour accélérer le départ de l’âme du défunt et éviter son retour sous la forme d’un revenant. Déposer des grains de sable, de pavot ou de millet autour de la tombe d’un présumé vampire pouvait se révéler judicieux car, pour une obscure raison, la créature se voyait ainsi obligée de compter les grains durant toute la nuit et elle ne pouvait se livrer à ses méfaits habituels. Toujours à titre préventif, il était également possible de clouer la tête, le corps ou les vêtements du disparu, ce qui l’empêchait de vagabonder à sa guise. Dans certains pays d’Europe centrale, envelopper la sépulture du défunt d’un nuage d’encens était supposé emprisonner le mort dans sa tombe. Glisser une pierre ou brique dans la bouche du vampire potentiel évitait toute mastication indésirable, et dans certaines régions d’Allemagne, un citron servait au même usage. D’autres rituels préconisaient de répandre de l’eau bouillante sur la tombe du défunt ou d’incinérer son corps, le feu restant incontestablement le moyen le plus efficace de prévenir toute transformation malheureuse.

Se Protéger d’un Vampire

Si, malgré toutes les précautions prises, un vampire rôdait dans les parages, il existait quelques recettes qui permettaient de se protéger d’une éventuelle agression, parmi lesquelles certaines substances qui avaient la réputation d’être efficaces. Celui qui redoutait la visite d’un vampire devait faire provision d’ail, de branches d’aubépine, de rosier sauvage, de verveine ou asperger le sol de sa maison de moutarde. L’utilisation d’objets sacrés tels que l’eau bénite, les hosties, le crucifix ou le rosaire pour repousser les vampires est beaucoup plus récente.

L’ail était largement employé, car il était censé être honni des vampires, qui lui trouvaient apparemment une odeur exécrable. Il était ainsi possible, au moyen de chapelets d’ail, d’interdire l’entrée d’une maison à un vampire. Les familles en deuil en mettaient dans les tombes en mesure préventive, elles en portaient en sautoir, en accrochaient un peu partout dans les pièces de leurs maisons, autour des fenêtres, des portes, au-dessus des lits, les chambranles des ouvertures en étaient frottés et même les animaux de ferme… Il faut noter que l’usage de l’ail était de toutes façons systématiquement adopté en cas d’épidémie, et quelle que soit sa nature il était conseillé d’en manger ou d’en faire des colliers. Les propriétés antibiotiques de ce condiment sont maintenant reconnues, mais de tout temps, l’ail a été recommandé en cuisine pour ses vertus médicinales. Il existait de nombreuses similitudes entre la peste et le vampirisme, qui était réputé contagieux et qui se propageait comme un virus. Il était généralement admis qu’une mauvaise odeur, notamment l’odeur de la mort, était également la cause de maladies dont les vraies raisons étaient ignorées. Les populations tentaient donc de s’en protéger en lui opposant d’autres parfums tout aussi corsés, qui devaient jouer le rôle d’antidote. L’ail faisait donc parti de cet arsenal, au même titre que l’aconit et bien d’autres simples, à ceci près que sa réputation médicale, déjà à cette époque, n’était pas usurpée. Les couteaux d’argent, glissés sous les matelas et les berceaux devaient renforcer la barrière entre le vampire et sa proie.

Lorsque qu’un malheureux était poursuivi par l’un de ces morts-vivants et qu’il se trouvait à l’extérieur, il lui était toujours possible de se réfugier dans une église ou dans un temple, les vampires ne pouvant marcher sur un sol consacré, ou tenter de traverser de l’eau courante, ce que leur agresseur était incapable de faire.

Selon certaines croyances, pour se prémunir de la contamination vampirique, il était conseillé de manger du pain imbibé du sang du vampire ou du sang d’un mort suspecté être un vampire. Avaler de la terre de son tombeau ou se frotter de cette terre ou de son sang pouvait également se révéler une méthode efficace. Par contre, rien dans les légendes ou le folklore ne laisse à penser que les populations se servaient de crucifix afin de se prémunir des vampires.

Tuer un Vampire

Si rien n’avait pu arrêter la transformation d’un défunt en vampire, les villageois devaient alors se résoudre à la solution extrême et tenter de tuer la monstrueuse créature. Pour localiser un vampire dans un cimetière, il fallait faire chevaucher un cheval noir ou blanc qui n’ait jamais sailli par un jeune homme pubère puis promener le cheval et son cavalier dans le cimetière et lui faire enjamber chaque tombe, une par une. Si le cheval refusait de passer sur une tombe et se cabrait, c’était alors le signe de la présence d’un vampire. M. De l’Isle de Saint-Michel, qui était resté durant longtemps dans les pays infestés, décrivait ainsi cette coutume :

« Une personne se trouve attaquée de langueur, perd l’appétit, maigrit à vue d’œil, et, au bout de huit ou dix jours, quelquefois quinze, meurt sans fièvre, ni aucun autre symptôme de maladie, que la maigreur et le dessèchement. On dit en Hongrie que c’est un Vampire qui s’attache à cette personne, et lui suce le sang. De ceux qui sont attaqués de cette mélancolie noire, la plupart, ayant l’esprit troublé, croient voir un spectre blanc qui les suit partout, comme l’ombre fait le corps. Lorsque nous étions en quartier d’hiver chez les Valaques, deux cavaliers de la compagnie dont j’étais cornette moururent de cette maladie ; et plusieurs autres qui en étaient attaqués en seraient probablement morts de même si un caporal de notre compagnie n’avait guéri les imaginations en exécutant le remède que les gens du pays emploient pour cela. Quoiqu’assez singulier, je ne l’ai jamais lu dans aucun rituel : le voici. On choisit un jeune garçon, qui soit d’âge à n’avoir jamais fait œuvre de son corps, c’est à dire qu’on puisse croire vierge ; on le fait monter à poil sur un cheval entier, absolument noir, et qui soit également vierge. On conduit le jeune homme et le cheval au cimetière : ils se promènent sur toutes les fosses. Celle où l’animal refuse de passer, malgré les coups de cravache qu’on lui délivre, est regardée comme renfermant un Vampire. On ouvre cette fosse, et on y trouve un cadavre aussi beau et aussi frais que si c’était un homme tranquillement endormi. On coupe d’un coup de bêche le cou de ce cadavre : il en sort abondamment un sang des plus beaux et des plus vermeils, du moins on croit le voir ainsi. Cela fait, on remet le Vampire dans sa fosse, on la comble, et on peut compter que dès-lors la maladie cesse, et que tous ceux qui en étaient attaqués recouvrent leurs forces peu à peu, comme des gens qui échappent d’une longue maladie d’épuisement. »

Par ailleurs, des trous qui apparaissaient brusquement dans la terre au-dessus d’une tombe étaient interprétés comme des signes de vampirisme. Ainsi, en certaines circonstances particulières, dans les villages où infestés par le vampirisme, il suffisait de se rendre au cimetière et de visiter les fosses pour en trouver certaines avec deux, trois ou plusieurs trous de la grosseur du doigt. Lorsque ces tombes étaient fouillées, alors un corps souple et vermeil y était retrouvé et si sa tête était coupée, alors il sortait de ses veines et de ses artères un sang fluide, frais et abondant.

Quand la preuve était faite qu’un vampire se dissimulait dans un cercueil, alors il fallait procéder à un véritable rituel d’exorcisme pour s’en libérer totalement. Le vampire étant un mort-vivant, il ne pouvait connaître le repos éternel qu’au moyen de pratiques spéciales. Le décapiter, lui enfoncer de l’ail dans la bouche, le démembrer et brûler son corps en étaient les étapes habituelles, mais il fallait ensuite arroser ses cendres d’eau bénite et réciter des hymnes et cantiques religieux afin de s’assurer qu’il ne reviendrait pas. Le gonflement des chairs dans la tombe, preuve de vampirisme, était estimé comme une tentative de l’âme, ou de ce qui l’avait remplacée, pour s’échapper, et certains estimaient que le trou provoqué par l’introduction d’un pieu dans la cage thoracique pouvait permettre au vampire de s’enfuir. D’ailleurs, les chasseurs de vampires constataient souvent que quelque chose s’échappait du cadavre à ce moment-là, ce qui était une preuve certaine de vampirisme. En Russie et dans les pays baltes le seul bois qui convenait pour fabriquer un pieu digne de ce nom était le frêne, utilisé pour ses vertus magiques. En Silésie c’était le chêne, et en Serbie l’aubépine, en raison de sa structure épineuse. A défaut de pieu, il était possible d’utiliser une dague en argent, mais l’efficacité n’était pas assurée. Un pieu planté dans le cœur avec force et détermination restait la meilleure des options en toutes circonstances.

Calmet était une sorte d’historiographe des vampires. Il rapportait qu’en Hongrie, deux officiers délégués par l’empereur Charles VI, assistés du bailli des lieux et du bourreau, étaient allés faire une enquête sur un vampire, mort depuis six semaines, qui suçait le sang de tout le voisinage. Il avait été trouvé dans sa bière, frais et gaillard, les yeux ouverts et demandant à manger. Le bailli avait alors rendu sa sentence. Le bourreau avait arraché le cœur du vampire et l’avait brûlé. Après quoi, le vampire n’avait plus rien mangé.

Certaines coutumes conseillaient également de planter un clou dans la tête de la créature et de l’enterrer à l’angle d’un carrefour. En Roumanie, l’exécution d’un vampire se devait de se dérouler aux premières lueurs de l’aube et le pieu devait être enfoncé du premier coup dans son cœur, sous peine de voir la créature ressusciter. Outre le rituel du pieu, il existait une autre possibilité, qui consistait à arracher le cœur du vampire, à le brûler et à en disperser les cendres dans un cours d’eau vive. L’emploi de l’eau et du feu comme technique d’extermination étaient fort appréciés pour leur caractère radical. En France, lors d’une épidémie vampirique, le pape dut venir bénir le Rhône, afin que les morts puissent y être jetés en cas d’engorgement du cimetière. En dernier ressort, il était conseillé de trancher la tête du présumé vampire, d’ensevelir son cadavre à un carrefour, de remplir son cercueil de graines de pavot, ou d’user de tout autre charme…

« S’il eut jamais au monde, » disait Jean-Jacques Rousseau, « une histoire garantie et prouvée, c’est celle des vampires ; rien n’y manque : rapports officiels, témoignages de personnes de qualités de chirurgiens, de prêtres, de juges : l’évidence est complète.

…Puissiez-vous ne pas en revenir indemnes…

Sources : Le Musée des Vampires de Roland Villeneuve et Jean-Louis Degaudenz, Le Livre des Vampires de Manuela Dunn Mascetti.

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