Le Château Houska, un Portail vers l’Enfer

Château Houska

A cinquante kilomètres au nord de Prague, en République tchèque, la silhouette sévère d’une grande bâtisse de pierre se dresse au sommet d’une colline boisée, le château Houska. Étrangement, il est situé dans une région reculée, sans intérêt stratégique, aucune route commerciale ne passe à proximité, et pendant des années, il est resté inoccupé. La légende raconte qu’avant qu’il ne soit construit, un trou s’ouvrait dans la roche, qui était si profond qu’il n’avait pas de fond. Toutes les nuits, des créatures maléfiques s’en échappaient et des rumeurs couraient qu’il menait tout droit en enfer.

Les légendes entourant le site sont plus vieilles que le château. Des preuves archéologiques existent d’une présence celte dans l’antiquité et de tribus slaves au VIe siècle. Au IXe siècle, une petite forteresse de bois surplombait déjà la colline, qui est mentionnée par Vaclav Hajek dans sa vaste chronique thèque publiée en 1541. Dans son ouvrage, il fait état d’une légende, l’histoire d’une fissure en haut de la falaise de calcaire, un trou incroyablement profond, qui était le théâtre de terribles apparitions. Les habitants de la région l’appelaient le Trou de l’Enfer, et ils évitaient de s’en approcher. Certains prétendaient qu’il avait été creusé par le diable, d’autres que des alchimistes l’avaient percé, mais tous s’accordaient pour dire qu’à la nuit tombée, des créatures maléfiques, mi-humaines mi-bêtes, en jaillissaient, massacrant le bétail et semant la terreur, et que tous ceux qui s’aventuraient près de la fosse couraient le danger d’être transformés en l’un de ces démons. Ils avaient déjà essayé de combler le trou avec des pierres, sans succès. Tout ce qu’ils jetaient dedans disparaissait inexorablement dans le néant, sans autre résultat.

Un jour, le duc du puissant clan Duba, qui brûlait de découvrir le secret de la mystérieuse porte des enfers, proposa à un prisonnier d’aller explorer le puits et de lui faire un rapport de tout ce qu’il verrait en échange du plein pardon de ses fautes, et l’homme y consentit. Attaché à une solide corde, il fut alors descendu dans le puits mais arrivé à une certaine distance, il se mit à hurler de la plus terrible des manières. Les hommes du duc le ramenèrent immédiatement à la surface et ils constatèrent avec effroi que le malheureux semblait avoir vieilli de trente ans. Son visage, autrefois lisse, étaient maintenant couvert de rides et  ses cheveux étaient devenus blancs. Plus abominable encore, le prisonnier avait perdu l’esprit. Il mourut deux jours plus tard sans avoir pu expliquer ce qui l’avait tant effrayé. Certains affirment que cette expérience fut répétée à plusieurs reprises, avec le même résultat à chaque fois.

En 1260-1280, un château fut construit au sommet de la colline, probablement sur les ordres d’Ottokar II de Bohême. A cette occasion, la faille fut recouverte d’épaisses plaques de pierre et une chapelle fut bâtie juste au-dessus, afin de sceller la porte vers l’enfer. La chapelle était consacrée à l’archange Michel, chef des armées de Dieu dans la lutte contre les hordes diaboliques. Des fresques délavées, qui remontent au début du XIVe siècle, ornent toujours les murs de l’édifice. Elles montrent des scènes de la Crucifixion, de la vie de Saint-Christophe, et l’archange Michel terrassant le dragon, symbole du Mal, ou soupesant les âmes au jour du Jugement Dernier, armé d’une épée et d’une balance. Sur l’une des parois, une silhouette inhabituelle se distingue des autres. Une créature avec le haut du corps d’une femme et le bas du corps d’un cheval tient un arc dans sa main droite et de sa gauche, elle tire une flèche sur une silhouette humaine. Non seulement il est très rare de trouver la représentation d’un centaure, une créature de la mythologie païenne, sur les murs d’une église, mais cette représentation d’un archer gaucher est la seule connue. Au Moyen Âge, le gaucher était associé à Satan et les historiens pensent que cette image est liée aux histoires de créatures mi-humaines mi-animales qui sortaient prétendument de la porte de l’enfer.

Fresque au Centaure

De loin, Houska ressemblait à un château comme les autres, mais il n’en était rien. Il n’avait pas été construit pour protéger ses occupants d’un éventuel danger, mais pour garder quelque chose prisonnier et certains détails le trahissaient. La plupart de ses structures défensives n’était pas tournées vers l’extérieur mais vers l’intérieur de la cour, d’où ne partait aucun escalier mais qui était surplombée d’un chemin de ronde. Sa façade présentait de nombreuses fenêtres, mais la plupart d’entre elles étaient fausses, et de solides murs se dressaient derrière les vitres. Il n’avait pas fortifications, pas d’eau ni même de cuisine. La fosse avait été scellée, mais les rumeurs persistaient. La nuit, des battements d’aile et des raclements furieux s’élevaient de la fosse, le bruit des créatures démoniaques qui essayaient de remonter à la surface, et des silhouettes fantomatiques déambulaient dans les couloirs vides de la sinistre bâtisse, que personne ne voulait habiter.

Le château se retrouva ensuite aux mains de l’aristocratie, passant fréquemment d’un propriétaire à l’autre. De 1584 à 1590, il subit des modifications de type renaissance, sans perdre ses caractéristiques gothiques. Au XVIIe siècle, durant la Guerre de trente ans, le château fut laissé à l’abandon et comme il était vide, le chef des brigands Oronto s’y installa avec sa bande. Le comte Oronto avait la réputation d’être un mage noir et un alchimiste, il travaillait prétendument sur la formule de l’élixir de vie éternelle, et il aurait réalisé les plus sombres et les plus inavouables des expériences dans le laboratoire qu’il s’était aménagé quelque part dans la forteresse. Ses hommes, qui étaient laissés à la dérive, terrifiaient les habitants des villages voisins, les tourmentant et les harcelant, et les malheureux n’en pouvaient plus. Alors une nuit, deux chasseurs prêts à tout, même à mourir, se faufilèrent discrètement dans le château et ils tirèrent sur le comte Oronto à travers une fenêtre du hall d’entrée. Il mourut sur le coup, sans avoir trouvé la précieuse formule qui lui aurait sauvé la vie.

Au cours des années suivantes, le château conserva sa terrible réputation. L’histoire raconte que Ferdinand III avait surnommé  Houska le « château maudit » et qu’à une certaine période un roi, ou des moines, cachèrent un trésor dans ses murs. Deux cents ans plus tard, en 1836, lors d’une visite à pied de la région, le poète tchèque Karel Hynek Mácha passa une nuit à Houska et il fut victime d’une abominable expérience, qu’il décrivit dans une lettre à son ami Edward Hindle.

Karel Hynek Mácha
Karel Hynek Mácha

Il prétendait être descendu dans la cour aux environs de deux heures du matin et avoir remarqué un trou dans le sol dans un coin sombre. Il était alors descendu dans la fosse, et il s’était retrouvé dans un « avenir mécanique infernal, » où régnaient l’horreur et le désespoir. L’air était tellement saturé de soufre et de poussière qu’il lui faisait mal aux poumons et qu’il avait du mal à respirer. Il avait alors rencontré une fille, qui lui avait semblé un ange blond dans ce monde infernal.  Il lui avait demandé où il se trouvait, elle lui avait répondu Prague, il lui avait demandé en quelle année, et elle lui avait répondu 2006 en riant. Il espérait qu’elle plaisantait, mais il n’en était pas vraiment sûr. Alors, comme pour le lui prouver, elle lui avait montré des images en mouvement dans un petit cercueil. « Elle a pris la boite, qu’elle transportait sur le côté, elle a ouvert le couvercle et j’ai vu l’image, Edward. Puis la vision a changé sur un véritable enfer brûlant. » Terrifié, il s’était alors enfui et il s’était perdu dans la ville. Il avait observé, alors qu’il se promenait sur les hautes falaises de grès, des foules se presser dans des soufflets aux yeux de feux, des tas d’ordures, des barrières métalliques, des monstres squelettiques, de jolies maisons aux murs verts et blancs et des trous qui projetaient une lumière jaune surnaturelle. À ce moment-là, il avait retrouvé dans la cour du château, sans savoir s’il avait rêvé ou s’il avait vraiment vu ce futur improbable. Un endroit ressemblerait à la description de M. Mácha, juste à la périphérie de Prague. Certains pensent que le poète a eu une vision du futur, d’autres croient qu’il a été transporté dans le temps et quelques-uns supposent qu’il s’est endormi et qu’il a rêvé.

En 1897, le château fut acheté par la Princesse Hohenlohe puis par le Président de Škoda, Josef Šimonek, en 1924. Pendant l’occupation de la Tchécoslovaquie, de 1939 à 1945, les SS s’installèrent à Houska pour se « livrer à des expériences inhumaines sur la population locale et les prisonniers de guerre. » Alors, comme tout le monde connaissait l’intérêt des nazis pour l’occulte, des rumeurs commencèrent à courir qu’ils menaient des expériences interdimensionnelles dans les cachots. Lors de leur départ forcé, quand l’armée allemande se retrouva obligée de reculer face à l’avancée des armées russes et américaines en Bohême, ils détruisirent tous les documents et toutes les preuves concernant leurs activités. Personne ne sut jamais vraiment ce qu’ils avaient fait. Par la suite, lors de travaux de rénovation, les corps de trois soldats SS exécutés et de nombreuses mines furent retrouvés.

La Hantise du Château Houska

Chapelle du Château Houska

De nos jours encore, quelque chose de sombre semble hanter Houska, qui est maintenant ouvert au public. D’une étrange manière, les oiseaux tombent morts en passant au-dessus de sa cour intérieure, et une multitude de cadavres y sont régulièrement retrouvés. Le château a fait l’objet d’un certain nombre d’enquêtes, des équipes de télévision sont venus le visiter, mais il continue à garder ses secrets. Depuis qu’elles ont été posées, jamais les lourdes pierres qui ferment la porte des enfers n’ont jamais été soulevées. Le propriétaire actuel, M. Jaromir Simonek, préfère ne pas y toucher « de peur que des mines n’aient été oubliées. » Cependant, d’après certains, la faille ne serait pas à l’origine de toutes les manifestations. Le château Houska aurait été construit selon des principes de géométrie sacrée, et il permettrait à ceux qui en connaissent les secrets de se téléporter ou de voyager dans le temps.

Il serait un lieu de haute activité spirituelle, et les visiteurs rapportent régulièrement les phénomènes dont ils ont été témoins. Ils parlent de baisses de température, de sentiments de malaise, d’impression d’être épié, de bruits de pas, de bruits de coups, de chœur de voix, de chauves-souris géantes, d’hommes de l’ombre sans relief, et de créatures ailées difformes. Certains se plaignent également d’avoir été poussés, frappés, etc… Les guides du château prétendent qu’un fantôme sans tête trébuche parfois dans la cour, et que des ruisseaux de sang s’écoulent de son corps décapité. Personne n’aurait jamais réussi à découvrir son identité. Un moine fou hanterait la chapelle. Il porterait une robe de bure marron toute simple et il serait armé d’une hache. Parfois il attaquerait les visiteurs, mais sa hache fantomatique passerait toujours à travers leurs corps sans leur faire de mal. Des créatures infernales apparaîtraient régulièrement dans la petite salle voutée, et leur peau serait toujours humide. Une immonde bête translucide, qui ressemblerait au résultat d’une monstrueuse expérience, un croisement entre un homme, une grenouille et un bouledogue, se matérialiserait dans la même pièce, et son grognement pétrifierait de peur les infortunés témoins.  » Écoutez-la gronder et vous en serez terrifiés. « 

Des cliquetis osseux, des grattements, des gémissements, des cris, et des voix, qui parlent en différentes langues, résonneraient sous la lourde dalle de pierre qui recouvre le puits infernal. Une silhouette sombre, celle d’un homme, errerait au premier étage, dans une pièce où les nazis menaient prétendument des expériences. Au troisième étage, une très belle femme blonde dans une robe blanche se ferait parfois remarquer, déambulant dans les couloirs ou guettant à une fenêtre. Personne ne sait qui elle est, mais elle semble la plus  » normale  » des fantômes du château. Dans la cave, qui est surnommée  » le bureau de Satan,  » un trône orné de cornes et d’un trident attend son maître.

Trône dans la cave du Château Houska

Un prêtre sans visage à la robe noire aurait pu être observé alors qu’il se matérialisait près du trône. Il aurait ensuite monté les marches de l’escalier du rez-de-chaussée avant de disparaitre. Un gros cheval noir sans tête se matérialiserait parfois devant les portes du château, du sang jaillissant de son cou. Il se mettrait à courir vers l’entrée puis il sauterait dans les airs  et se volatiliserait.

L’histoire la plus troublante concerne une chaîne humaine. À plusieurs reprises, des visiteurs auraient vu apparaître des centaines de personnes enchaînées ensemble. Elles présentaient toutes d’horribles blessures. Certaines portaient même leur tête, ou d’autres parties de leurs corps, dans leurs bras. Un gros chien noir les suivait, les tourmentant et les mordant cruellement.  Puis brusquement, un éclair lumineux a illuminé la scène, un rire maléfique a retenti dans les airs, et la chaîne humaine et le chien noir ont disparu. Cette description caricaturale de l’enfer pourrait prêter à rire, mais de nombreux visiteurs ont rapporté en avoir été témoins, et certaines observations auraient duré plusieurs minutes.

Une autre anecdote concerne le propriétaire les lieux. Un jour, le châtelain, M. Simonek, et quelques-uns de ses amis prenaient l’apéritif au troisième étage quand soudain, son verre commença à se déplacer sur la table. Il se souleva dans les airs, redescendit doucement se poser sur la table, glissa jusqu’au centre et s’immobilisa. Tout le groupe en fut témoin. Une présence particulièrement inquiétante aurait été observée dans le pavillon de chasse. Une nuit, Zdena Vrzalová se trouvait dans une chambre avec son mari quand ils entendirent tous les deux quelque chose de lourd frapper le plancher près d’eux. Zedna se retourna et elle aperçut deux silhouettes sombres dans les escaliers. Ces silhouettes n’avaient pas de caractéristiques précises, mais elle entendit l’une d’elles murmurer quelque chose à propos de « tuer quelques jeunes filles. »

Peut-être quelqu’un aura-t-il un jour le courage, ou l’inconscience, de soulever les lourdes dalles qui scellent la faille. En attendant…

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Mirage
Mirage
6 mois plus tôt

« de peur que des mines n’aient été oubliées. »
Si un jour, quelque téméraire a le courage ou l’inconscience de soulever ces plaques, qu’il n’oublie pas les bâtons pour vérifier si des mines ont été oubliées … ou pas.