Rosalie

Une Enquête d’Harry Price

Harry Price

Dans la matinée du mercredi 8 décembre 1937, une dame téléphona au siège de la Société pour la Recherche Psychique (Society for Psychical Research), qui avait ses bureaux à Londres, et elle demanda à parler à Harry Price, un enquêteur psychique réputé qui avait fait parler de lui à de nombreuses reprises dans la presse. Une fois en communication avec lui, la dame, indéniablement instruite et cultivée, l’informa avoir lu dans The Listerner, un journal anglais, une interview qu’il avait donnée sur les maisons hantées et elle lui avoua avoir été impressionnée par ses efforts pour établir la vérité, ce qui l’avait poussée à le contacter. Elle avait également remarqué que dans son discours, M. Price certifiait de la présence réelle d’un fantôme dans une certaine maison hantée, et elle aussi, prétendait pouvoir garantir de la réalité d’un esprit, qui était d’une nature bien plus concrète que tout ceux qu’il avait pu observer lors de ses expériences passées.

La dame lui expliqua qu’elle vivait dans l’un des meilleurs quartier de Londres, et que chaque mercredi soir ses amis et elle organisaient une séance de spiritisme familiale dans sa maison, où l’esprit d’une jeune fille, connue sous le nom de Rosalie, se matérialisait toujours. Elle était donc venu visiter le célèbre enquêteur afin de l’inviter à rejoindre son cercle le mercredi de son choix, celui qui lui conviendrait, et s’il y consentait, elle était certaine qu’il serait convaincu par le phénomène de matérialisation, dont elle le savait très sceptique.

Les Conditions de la Séance

Bien évidemment, comme Harry Price s’y attendait, il y avait des conditions à sa participation, mais il fut vraiment étonné par la nature et la simplicité des règles auxquelles son interlocutrice lui demandait d’adhérer. En premier lieu, s’il acceptait l’invitation, il devait promettre de ne jamais rien révéler de l’identité des participants, ni l’endroit où la séance se déroulerait. L’enquêteur pourrait en écrire un compte rendu et donner son point de vue, à condition de ne mentionner aucun nom. Si jamais le phénomène l’impressionnait, il devait se garder de brusquer l’apparition en se lançant dans une enquête scientifique trop poussée car la mère de Rosalie, qui assistait à toutes les séances, était terrifiée à l’idée que sa fille puisse être effrayée et disparaisse à jamais. M. Price ne devait pas amener de torche avec lui, ni aucun objet servant à faire de la lumière, il ne devait pas parler ou toucher la matérialisation sans autorisation et, plus globalement, il ne devait pas faire quoi que ce soit ou tenter d’expérience sans le consentement des organisateurs. La dame lui faisait confiance, elle ne lui demandait pas de signer de documents contenant ces dispositions, et si accord il y avait, alors il se résumerait à une entente entre gentlemen.

Ces exigences étaient des plus classiques, mais la suite se révélait autrement plus surprenante. Si Harry Price s’engageait à suivre ces quelques règles, alors un contrôle absolu sur la pièce et sur tous ses occupants lui était garanti jusqu’au début de la séance. Il pourrait fouiller la maison de haut en bas, verrouiller et même sceller toutes les fenêtres et les portes extérieures, inspecter la salle où se tiendrait la réunion, enlever de la pièce tous les meubles, les objets, ou les décorations qu’il jugerait inadéquates, saupoudrer de l’amidon en poudre, ou toute autre substance de son choix sur les portes et les fenêtres, y placer des contacts électriques, comme la dame avait lu qu’il le faisait habituellement dans son interview sur les maisons hantées, et même fouiller tous les participants ainsi que toutes les autres personnes de la maison immédiatement avant ou après la séance. Par contre, une fois que la séance aurait commencé, il devrait rester assis passivement et demander la permission s’il souhaitait interagir d’une quelconque manière ou apporter une modification à son déroulement. Harry Price répondit qu’il était impressionné par les conditions imposées, mais qu’il allait y réfléchir et qu’il lui écrirait. Elle souligna alors que s’il y consentait, il devrait se rendre au lieu convenu peu après 19 heures, les séances débutant habituellement aux environs de 20 heures.

Une Visite en Banlieue

Le lundi 13 décembre, Harry Price écrivit à Mme X., lui disant qu’il acceptait son invitation et toutes ses conditions. Cependant, comme il avait déjeuné avec M. Lambert, le rédacteur en chef de The Listener, le jour où elle l’avait appelé, il lui demandait si elle permettait au journaliste de l’accompagner en tant de témoin de ce qui pourrait se produire. Bien évidemment, l’enquêteur londonien garantissait personnellement que son invité remplirait toutes les conditions qu’il avait lui-même acceptées, comme il le lui avait spécifié au cours du repas qu’il avait eu avec lui. Si l’idée d’un tel témoin était acceptable pour elle, alors il lui proposait de lui téléphoner ou de lui télégraphier son consentement à la réception de la lettre, afin que M. Lambert puisse prendre les dispositions nécessaires. Malheureusement, le mercredi 15 décembre, comme aucune confirmation ne lui avait été donnée, Harry Price voyagea seul vers la banlieue de Londres, où il assista à la séance la plus étonnante qu’il ait jamais vue.

L’Histoire de Rosalie

Comme convenu, Harry Price se présenta au domicile de Mme X., une grande maison victorienne située dans une rue bien fréquentée, peu avant dix-neuf heures et il commença à en faire le tour, repérant les portes, comptant les fenêtres, et en visualisant toutes les issues possibles, puis une femme de chambre le fit entrer et l’amena à la salle à manger, où il fut accueilli par M. et Mme X. ainsi que par leur fille, qui était âgée d’à peu près dix-sept ans. Après les présentations d’usage, tout le monde s’assit autour de la table et un diner léger fut servi, au cours duquel M. Price put entendre l’histoire de Rosalie.

M. X., qui était en affaires dans la ville, et son épouse étaient tous les deux charmants et ils se comportaient de la plus aimable des manières. Ils n’étaient pas spiritualistes, mais ils s’intéressaient à la recherche psychique, lisant certains ouvrages réputés et suivant les émissions de radio qui traitaient du sujet. En les écoutant parler, Harry Price remarqua qu’ils connaissaient un peu son travail à travers ce qu’ils avaient lu dans les journaux et qu’ils semblaient heureux de faire sa connaissance, ce qui n’était pas à négliger.

Son hôtesse lui expliqua qu’elle avait une amie, que nous appellerons Mme Z., qu’elle avait rencontrée en aidant à une vente de charité organisée par l’église locale. Mme Z., une infirmière d’origine française, avait épousé un officier anglais au début de la Grande Guerre, qui avait été tué au combat en 1916, laissant la jeune femme seule avec un bébé, une petite fille à la santé fragile qui s’appelait Rosalie. En 1921, alors qu’elle était âgée de six ans, la fillette avait contracté la diphtérie et quelques jours plus tard, elle était morte dans les bras de sa mère. Mme Z. louait deux chambres dans le quartier, qui étaient sa seule maison, elle était spiritualiste, mais elle n’appartenait à aucune église ni à aucun groupe. Au printemps 1925, Mme Z. avait commencé à entendre la voix de sa fille morte qui pleurait près d’elle, et cela s’était reproduit si souvent qu’elle avait pris l’habitude de se maintenir éveillée la nuit, espérant que la voix se ferait entendre. Peu à peu, elle avait commencé à discerner les contours sombre de sa fille bien-aimée dans l’obscurité, et bientôt elle avait entendu ses pas résonner dans la salle. Puis une nuit, alors que son bras se trouvait étendu hors de son lit, elle avait senti la petite main de Rosalie serrer la sienne.

Ayant très peu d’amis en Angleterre, Mme Z. était rapidement devenue intime avec M. et Mme X., qui lui avaient proposé de tenir des séances régulières dans leur maison afin d’encourager les visites de Rosalie, les appartements de la malheureuse mère étant tout à fait impropres à l’usage. M. et Mme X. s’intéressaient assez au spiritisme pour en connaitre les techniques et fournir de bonnes conditions, aussi, vers la fin de l’année 1928, des séances avaient-elles commencé à se tenir chez eux. Au début, et même si elle continuait à visiter la chambre de Mme Z., il n’y avait eu aucun signe de la fillette puis vers la fin du printemps 1929, alors que la pièce se trouvait dans une obscurité totale, Rosalie s’était soudainement matérialisée, faisant connaitre sa présence en serrant doucement la main de sa mère.

A partir de ce moment-là, la petite fille était apparue régulièrement. Alors, progressivement, ils avaient introduit un peu de lumière dans les séances, à l’aide de miroirs à main recouverts d’une peinture lumineuse, puis Rosalie avait commencé à parler, principalement à sa mère, répondant aux questions simples, généralement par monosyllabes. La fillette semblait extraordinairement timide, et elle ne répondait que rarement autre chose que oui et non aux questions qui lui étaient posées. Le cercle avait un peu modifié sa technique, parvenant à développer la matérialisation de Rosalie, et un visiteur occasionnel ne semblait guère gêner l’apparition de la fillette, s’il était connu des membres de l’assistance. D’où l’invitation. Lors de ce diner, Harry Price entendit également beaucoup de choses sur les questions auxquelles la fillette était supposée avoir répondu, mais il serait trop long de les détailler ici. Telle était l’histoire de Rosalie, que l’enquêteur psychique allait bientôt voir, sentir et entendre.

La Visite

Au moment où Harry Price se levait de table, les deux derniers participants étaient arrivés et ils attendaient le reste du groupe dans la pièce d’en face, la salle de dessin, où devait se tenir la séance. Ses hôtes le présentèrent tout d’abord à Mme Z., une agréable française d’une cinquantaine d’années, qui lui dit qu’elle était très heureuse de le rencontrer et s’excusa de ne pouvoir autoriser son ami, M. Lambert, à se joindre à eux, mais ils ne s’étaient jamais risqués à amener deux étrangers lors d’une même séance et elle avait peur que tant de monde effraie sa pauvre fille. L’autre participant était un jeune homme rieur, que l’enquêteur surnomma Jim. Ce gentleman, qui était âgé de vingt-deux ans environ, était l’exemple parfait de l’employé de banque et même s’il tentait de le dissimuler, il semblait être d’avantage s’intéresser à la jeune fille de la maison qu’à Rosalie.

Après les présentations, accompagné de M. X. et de Jim, le célèbre enquêteur inspecta la maison, du grenier à la cave. Il pouvait aller où il lui plaisait, et demanda à être amené dans chaque pièce. Il avait apporté avec lui une vrille, des pitons, un ruban blanc, du ruban adhésif chirurgical, un flacon d’amidon en poudre et une lampe de poche, qu’il laissa hors de la salle de séance, et quand il arrivait devant une fenêtre, il la fermait et collait une bande de ruban adhésif, qu’il avait signé à l’encre, dans la jointure. Il scella également les trois portes extérieures et une fenêtre française, qui donnait sur le jardin, avec des pitons auxquels il accrocha du ruban adhésif, signé de la même manière.

Le personnel de la maison se composait d’une femme de chambre et d’une cuisinière, qui savaient que des séances de spiritisme se déroulaient dans la salle de dessin, mais qui n’avaient pas été informées de ce qui s’y passait. Au moment des séances, si quelqu’un tapait à la porte, elles avaient l’ordre de ne pas répondre, et si quelqu’un téléphonait, alors elles devaient dire de rappeler plus tard. M. et Mme X. avaient demandé à Harry Price de ne pas leur en raconter d’avantage, et si l’enquêteur avait rencontré les deux femmes, il avait respecté le secret.

L’attention d’Harry Price se porta ensuite sur la salle de dessin, qu’il examina avec beaucoup de soin. Sur les planches de bois poli qui constituaient le plancher s’étalaient quatre grands tapis persans et six photos ornaient des murs passablement défraichis. Un canapé trônait sous l’unique fenêtre, un long buffet en acajou s’étirait contre le mur opposé, et une horloge et divers ornements agrémentaient le rebord d’une cheminée où les traces d’un feu récent subsistaient encore. Sur une table basse, placée dans un angle, une radio électrique avait été posée, qui était branchée à une prise près du sol et, de cette même prise, un fil conduisait à une petit radiateur électrique allumé devant lequel était couché Airedale, le chien de la famille. Dans un autre coin, se dressait un guéridon rond qui supportait une corbeille à ouvrage, et six chaises en acajou venaient compléter l’ameublement de la salle.

Les rideaux accrochés aux fenêtres avaient été achetés spécialement pour les séances de spiritismes, ils étaient lourds et les bords se chevauchaient, empêchant efficacement la lumière de la rue de rentrer dans la pièce.

La Préparation de la Salle

Estimant qu’ils ne seraient d’aucune utilité, Harry Price fit enlever les ornements, l’horloge, les photos et la corbeille à ouvrage, puis ayant rassemblé tous les participants dans la pièce, il saupoudra le couloir extérieur de poudre d’amidon. Il ferma ensuite la porte à clef, mit la clef dans sa poche et commença à apposer ses scellés, constitués de ses habituelles bandes et pitons. Il coinça quatre bandes de ruban adhésif entre la porte et le linteau, les signa, puis il traita la fenêtre de la même manière. S’il était maintenant convaincu que personne ne pourrait entrer par la porte ou par la fenêtre, la cheminée lui posait problème et l’enquêteur resta longtemps perplexe quand à la façon dont il pouvait la contrôler. Puis brusquement, il lui vint à l’idée qu’il lui suffisait de placer l’une des pages du journal du soir, dont il avait justement un exemplaire sur lui, à plat sur la partie supérieure de la grille, juste sous l’ouverture de la cheminée, et de l’arroser abondamment avec la poudre d’amidon. Ceci fait, avec son doigt, il traça sa signature dans la poudre, qui s’afficha alors au travers du papier. Personne ne pouvait toucher à la grille ou à la cheminée sans perturber le monogramme, et Harry Price se trouva fort satisfait de son stratagème.

Après s’être assuré que toutes les issues étaient bien scellées, l’enquêteur examina la pièce plus attentivement. Avec l’aide de M. X., il déplaça le canapé et le lourd buffet, dont il vida tous les tiroirs, qui contenaient des serviettes de table, des disques, et le genre de petites choses qui s’accumulent habituellement dans toute maison. Il retourna complétement le canapé, en inspecta la toile, les sangles et les ressorts, marcha sur les coussins pour vérifier qu’ils ne dissimulaient rien, puis il retira les quatre tapis persans et examina minutieusement chaque centimètres du plancher de bois poli. Comme la maison était bien construite, il lui fut impossible de passer sa lame de canif entre les planches, qui semblaient toutes solides comme de la pierre. Pour terminer son inspection, il ouvrit l’arrière de la radio, mais il ne remarqua rien d’inhabituel.

Mme X. avait affirmé à Harry Price qu’il pourrait, s’il le souhaitait, fouiller les participants avant et après la séance, et si l’enquêteur s’imaginait mal exiger une telle chose des trois dames, il demanda néanmoins la permission d’inspecter les vêtements de M. X et de Jim, qui chacun leur tour retournèrent leurs poches. L’enquêteur fit courir ses mains sur leurs vêtements, s’assurant ainsi qu’ils ne possédaient rien qui puisse être utilisé pour simuler un phénomène puis, les deux dames les plus âgées réalisant sa situation et comprenant qu’il n’était pas en mesure de les examiner, un accord fut passé pour qu’il reste entre elles en permanence. Mlle X. avait, parait-il, assisté à une  » classe de la santé et de la beauté  » un peu plus tôt dans la soirée et elle portait une sorte de vêtement de gymnase sous sa robe de maison. Sans même qu’Harry Price en ait formulé la demande, la jeune fille enleva brusquement sa jupe, révélant une paire de culottes noires moulantes, et l’enquêteur fut alors tout à fait convaincu qu’elle n’avait rien dissimulé sur sa personne. Après cette inspection, il éteignit les cinq lumières et le chauffage, saupoudra de la poussière d’amidon en face de la porte et de la cheminée, puis il accompagna les différents participants jusqu’à leurs sièges. Il était exactement 21h10 lorsque la séance débuta. Pour une meilleure compréhension de l’histoire, un peu plus tard dans la nuit, Harry Price fit un dessin montrant la disposition de la pièce et l’attribution des chaises, qu’il joignit à son compte-rendu.

Salle de la séance

A, B, C, D, E, F, sièges occupés par Harry Price, Mme Z., Mlle X., Jim, M. X. et Mme X., dans l’ordre indiqué.
(1) Petite table supportant la radio, (2) Cheminée, (3) Chauffage électrique, (4) Buffet, (5) Table d’appoint, (6) Canapé, (7) Fenêtre aux rideaux. X, où est apparue Rosalie.

Après avoir bavardé tranquillement pendant une vingtaine de minutes, M. X. déclara qu’il allait mettre la radio et le silence fut demandé. Il quitta son siège, avança à tâtons jusqu’à la petite table où se trouvait l’objet puis commença à tourner les boutons, cherchant une musique appropriée qu’il eut du mal à trouver. Les petites lampes qui éclairaient le panneau des stations illuminaient également la salle et Harry Price pouvait distinctement voir les différents participants. Mme Z. semblait en larmes.
Après l’avoir laissée sur une station étrangère qui diffusait de la musique pendant cinq minutes, M. X. éteignit la radio puis il  retourna s’assoir et un appel au calme fut lancé. Pendant quelques instants, plus personne ne parla puis Mme Z. commença à murmurer doucement le prénom de sa fille:  » Rosalie!  » Elle le répéta pendant une vingtaine de minutes, et parfois à sa voix se joignait celle de Mme X., qui appelait l’enfant elle-aussi. Dans l’obscurité de la pièce, Harry Price entendait Mme Z. et Mlle X. sangloter discrètement, ce qui l’embarrassait quelque peu. Ses hôtes l’avaient prévenu que leur réunion revêtait un caractère sacré, mais il ne s’attendait pas à un tel déferlement d’émotions et il ne pouvait s’empêcher de comparer la séance aux expériences, bien plus familières, qu’il menait en laboratoire.

L’Arrivée de Rosalie

Portrait de Rosalie
Portrait présumé de Rosalie

Quelques minutes après que l’horloge dans le hall ait sonné vingt-deux heures, Mme Z. eut un sanglot étouffé et dit quelque chose comme  » ma chérie.  » Mme X. se pencha alors vers Harry Price et lui murmura:  » Rosalie est ici. Ne dites rien!  » Au même moment, l’enquêteur réalisa que quelque chose se trouvait près de lui. Il n’avait rien vu, rien entendu, mais il lui semblait sentir quelque chose qui n’existait pas auparavant et la sensation était purement olfactive. C’était une odeur étrange, pas désagréable. Tout le monde était silencieux, sauf la malheureuse mère dont l’émotion était affligeante. Même s’il ne voyait toujours rien, M. Price comprit alors qu’elle cajolait son enfant puis brusquement, une sorte de piétinement se fit entendre à sa gauche et quelque chose effleura le dos de sa main, qui reposait sur son genou. C’était doux et un peu chaud. Conformément aux instructions qui lui avaient été données, l’enquêteur ne tenta pas de sentir ce qui l’avait touché, mais il resta assis sur sa chaise, immobile. Quelque part près de lui, Mme Z. continuait à chuchoter à l’enfant, et ses sanglots se firent plus rares.

Après quelques minutes, Mme X. demanda à la mère si Harry Price pouvait toucher l’apparition, et l’autorisation fut accordée. A sa grande surprise, quand il tendit son bras gauche, l’enquêteur rentra en contact avec une petite fille nue, âgée d’environ six ans. Il passa lentement sa main sur sa poitrine, remontant jusqu’à son menton et ses joues et d’une surprenante manière, il remarqua que sa peau était douce et chaude, mais pas aussi chaude que de la chair humaine. Du moins lui sembla-t-il car il n’était pas sur cette impression ne soit pas un effet de son imagination. Continuant son exploration, l’enquêteur posa alors le dos de sa main sur sa joue droite, effleura les longs cheveux qui tombaient sur ses épaules puis il suivit son dos, ses fesses, ses jambes et ses pieds et il en conclut que la fillette était formée comme une enfant normale de six ans, et qu’elle mesurait approximativement dans les 1m de haut. Plus incroyable encore, il entendait distinctement le bruit de sa respiration, ce que confirmaient les mouvements de sa cage thoracique.

Sidéré, Harry Price n’avait pas de mots pour exprimer ce qu’il ressentait en examinant la silhouette qui se trouvait sur sa gauche. Un intérêt scientifique extrême l’animait, ainsi qu’un sentiment d’incrédulité absolue. Il ne s’attendait pas à une telle apparition, et s’il avait été trompé d’une quelconque manière, ce qui lui semblait impensable, la mère l’était aussi car elle ne jouait pas la comédie. L’enquêteur demanda alors s’il pouvait tenir Rosalie, et une voix lui répondit qu’il pouvait approcher sa chaise de la fillette, ce qu’il fit. Comme il était maintenant en mesure d’utiliser ses deux mains, il en profita pour parcourir chaque centimètre de la petite apparition.  » Si cette petite fille est un esprit,  » se dit-il en lui-même,  » alors il n’y a aucune différence entre un esprit et un être humain.  » Avec sa main droite, il souleva le bras droit de Rosalie, sentit son pouls, car l’apparition en avait un, qui battait à 90 pulsations par minutes, ce qui lui sembla bien trop rapide. Cependant, il se renseigna par la suite et il apprit que le pouls normal d’un enfant de 2 à 7 ans variait entre 90 et 100, ce qui correspondait à ce qu’il avait constaté.
Il mit son oreille contre sa poitrine, et entendit distinctement son cœur battre. Harry Price prit alors les deux mains de la fillette entre les siennes et demanda à M. X., à leur grande fille et à Jim de parler afin de prouver leur présence sur leurs sièges respectifs, ce qu’ils firent. Quand à Mme Z. et Mme X., elles étaient toutes les deux près de lui, et il n’eut qu’à tendre le bras pour les toucher.

Intrigué, Harry Price demanda à son hôtesse si Mme Z. lui permettait d’utiliser le miroir lumineux pour en éclairer sa fille et après une petite discussion, il fut convenu que Mme X. et l’enquêteur psychique allaient tous deux diriger leurs plaques vers Rosalie, mais qu’ils devraient commencer par ses pieds et remonter ensuite vers son visage. M. Price ramassa donc son miroir, et quand il le retourna, une lueur fluorescente douce inonda les pieds de Rosalie, qui ressemblaient aux pieds de n’importe quel enfant. Mme X. éclairait de sa plaque le côté gauche de la fillette, alors que l’enquêteur braquait la sienne juste en face d’elle. Il pouvait voir la douce texture de sa chair, qui semblait être sans tache, puis, comme la lumière montait, révélant la silhouette, il aperçut une si belle enfant qu’elle aurait ravi n’importe quels parents. Ses traits étaient classiques, son visage semblait très pâle mais la fluorescence ayant tendance à dissoudre les couleurs, il était difficile d’en être certain. Ses yeux, qui paraissaient bleu foncé, étaient lumineux et une lueur d’intelligence semblait y danser. Cependant, elle avait l’air un peu plus âgée que ses six ans présumés, ses lèvres étaient fermées et son visage reflétait une expression plutôt dure. A ce moment-là, Mme Z. déclara que l’examen devait maintenant cesser et l’enquêteur demanda alors, comme une faveur spéciale, s’il pouvait poser quelques questions à Rosalie. Si cette requête lui fut une fois de plus accordée, Mme Z. souligna néanmoins que sa fille semblait bien peu disposée à parler.

Rosalie Parle

Si le lecteur était soudainement confronté à un présumé esprit, quelles questions lui poserait-il? Avec un peu de réflexion, une série de questions avisées auraient pu être préparées, mais sous l’impulsion du moment, il fut extrêmement difficile de faire bon usage de cette possibilité, surtout avec un esprit aussi jeune. Cependant, inconsciemment, Harry Price devait penser que l’enfant était réel, qu’il vivait un lieu physique et qu’il comprenait parfaitement ce qu’il disait car il demanda à Rosalie ce qu’il aurait demandé à n’importe quelle autre petite fille qui serait venue d’un endroit étrange et qu’il aurait rencontrée par hasard.

 » Où habites-tu Rosalie?  » (Pas de réponse.)
 » Que fais-tu là?  » (Pas de réponse.)
 » As-tu joué avec d’autres enfants?  » (Pas de réponse.)
 » As-tu des jouets là-bas?  » (Pas de réponse.)
 » Y a-t-il des animaux familiers?  » (Pas de réponse.)

Bien évidemment, il faisait délibérément une pause entre chacune des questions, mais la fillette le regardait sans sembler comprendre ce qu’il disait. Désespéré, il tenta alors une dernière question:  » Rosalie, aimes-tu ta maman?  » Alors l’expression de son visage se transforma brusquement et ses yeux s’illuminèrent.  » Oui,  » répondit-elle en bégayant. Rosalie venait à peine de prononcer ce mot que Mme Z. poussa un cri et attrapant sa fille dans ses bras, elle la serra sur sa poitrine. Mme X. plaça les miroirs sur le sol et demanda au groupe de faire silence, ce qui était assez difficile car toutes les femmes pleuraient. D’ailleurs, Harry Price lui-même se sentait plutôt ému par cette scène touchante.

Quinze minutes plus tard, Rosalie n’était plus là. Il ne l’avait pas entendue partir, il ne l’avait pas sentie non plus, mais comme l’horloge sonnait onze heures, Mme X. l’informa que la séance était terminée. M. X. alluma alors toutes les lumières puis il invita le célèbre enquêteur à effectuer toutes les recherches qu’il lui plairait. Harry Price examina ses scellés, qui étaient tous intacts, puis il poussa le mobilier, inspecta le plancher, le buffet, le canapé etc., mais tout était normal et la poudre d’amidon n’avait pas été perturbée. Même Airedale, qui était probablement habitué au spiritisme et que la séance n’avait aucunement perturbé, dormait toujours devant le chauffage électrique froid. Une fois les scellés enlevés, son hôte ouvrit la porte et sonna pour commander quelques rafraichissements. Pendant qu’ils étaient servis, l’enquêteur décida de faire un dernier tour dans la maison, accompagné par Jim, mais là aussi, tous les sceaux furent retrouvés intacts. M. Price resta jusqu’à minuit, puis il prit congé, prenant soin de remercier chaleureusement ses hôtes pour cette soirée extrêmement intéressante et tout aussi déroutante.

Le 16 décembre 1937

Harry Price commença à rédiger le compte-rendu de la soirée dans les deux heures qui suivirent la fin de la séance, alors qu’il était couché dans un lit du Royal Societies Club. Il voulait l’écrire en une fois, pendant que ses impressions étaient encore fraiches, mais il sentait qu’il parviendrait pas à rendre justice aux incroyables événements de la veille et il se demandait toujours si Rosalie était une véritable entité spirituelle ou si toute l’affaire n’était qu’un canular. Si cette dernière supposition était juste, cela signifiait que cette sinistre entreprise durait depuis des années car aucune actrice au monde n’aurait pu simuler une émotion aussi poignante que celle de Madame Z.. Et d’où cet esprit était-il venu?

Il se promettait de réfléchir et de répondre à ces questions, regrettant de ne pas avoir été témoin de la matérialisation de Rosalie dans son propre laboratoire, car si tel avait été le cas, il n’aurait pas hésité à proclamer au monde incrédule que la vie après la mort avait été prouvée. Il était possible que la séance puisse être, un jour, reproduite dans de meilleures conditions, mais Mme Z. restait persuadée que Rosalie serait effrayée loin de chez elle, ce qui rendait l’entreprise improbable.

La séance à laquelle Harry Price venait d’assister se distinguait de celles des pseudo-spiritualistes par l’absence totale de blagues blasphématoires et de cantiques, qu’affectionnaient généralement les escrocs. En regardant cette histoire avec un peu de recul, le célèbre enquêteur éprouvait quelques regrets, se disant qu’il aurait du penser à faire certaines choses, comme, par exemple, prendre les empreintes digitales de Rosalie. S’il l’avait voulu il en aurait eu amplement l’occasion, mais il n’avait pas amené le matériel adéquat. Il se reprochait également de ne pas s’être assuré de l’identité du médium. Mme Z. refusait l’idée de posséder quelque talent médiumnique, mais il ne pouvait penser à personne d’autre. Apparemment, il n’y avait aucun médium.

Quand Harry Price révéla l’histoire de Rosalie, certains prétendirent qu’il avait tout inventé, et qu’il servait servi, pour camper son récit, d’une maison de Brockley, au sud de Londres, dans laquelle il avait assisté à une séance des années auparavant. Cependant, Kathleen Goldney, qui connaissait bien Harry Price pour avoir participé à certaines de ses enquêtes, en particulier celle du Presbytère de Borley, qu’elle avait critiquée, affirma l’avoir visité le lendemain dans la matinée et l’avoir trouvé  » ébranlé par son expérience.  » Elle déclara dans The Two Worlds, un journal spiritualiste, qu’elle pensait qu’il disait la vérité. Dans les années 1960, une lettre anonyme fut envoyée à David Cohen, membre de la Society for Psychical Research, dans laquelle son auteur avouait avoir joué le rôle de Rosalie au cours de la fameuse séance à laquelle avait assisté Harry Price. Elle disait l’avoir fait à la demande du père qui était, selon elle, toujours en vie, et qui avait monté toute cette mascarade pour une confuse histoire d’argent.

Aujourd’hui encore, le mystère de l’apparition de Rosalie reste entier. Lors de son examen de la fillette, Harry Price avait remarqué que sa peau était chaude, que son cœur battait et qu’elle respirait, ce qui laisse à penser que l’enfant était bien vivante. Mais si tel était le cas, alors comment avait-elle pu apparaitre au milieu d’une pièce fermée par scellés, dont le sol avait été inspecté et dont tous les meubles avaient été fouillés?

Source: Fifty Years of Psychical Research, par Harry Price.

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