Les Remords Posthumes de Sarah Clarke

Vieille Femme Fantôme

Cette histoire est tirée du livre de Robert Dale Owen, The Debatable Land. L’auteur la tenait de la principale intéressée, mademoiselle V…,  qui avait accepté que soient publiés les noms des témoins et les dates des différents événements. Malheureusement, quand la jeune femme en avait parlé à sa vieille tante, cette dernière avait manifesté une certaine appréhension, craignant pour leur réputation, et Mlle V… avait du retirer le consentement donné.

Vers le milieu des années 1860, Mlle V…, une jeune demoiselle cultivée appartenant à l’une des plus vieilles familles de la ville de New-York, décida d’aller passer une quinzaine de jours chez sa tante, qui était propriétaire d’une très grande et très vieille maison sur les bords du fleuve Hudson. Cette demeure, comme de nombreux châteaux européens, avait la réputation d’être hantée. Toute la famille évitait d’en parler, mais l’une des chambres était effectivement le théâtre de manifestations inexpliquées et personne ne s’en servait jamais, sauf en des cas exceptionnels. Par un malheureux hasard, pendant le séjour de Mlle V…, les visiteurs se présentèrent en si grand nombre qu’il ne resta plus aucun endroit de libre pour les faire dormir et sa tante, se voyant embarrassée, demanda alors à la jeune fille si elle se sentait le courage d’échanger sa propre chambre pour celle hantée pendant deux ou trois jours, courant ainsi le risque d’être visitée par un fantôme. Mlle V… y consentit sans hésiter, lui faisant observer en riant que les visites de l’Au-delà ne l’inquiétaient guère.

Le soir venu, Mlle V… se retira dans sa chambre sans appréhension aucune et une fois dans son lit elle s’endormit aussitôt. Minuit venait de sonner quand elle se réveilla et ouvrant les yeux elle aperçut la silhouette d’une femme d’un certain âge habillée d’un costume de femme de chambre, très propre mais à la coupe plutôt démodée, qui allait et venait dans la pièce. Au début, elle ne s’en effraya nullement, supposant qu’une employée de maison était venue chercher quelque chose, puis brusquement elle se rappela avoir fermé la porte de la chambre à clef et cette pensée la fit tressaillir. Son effroi s’accrut encore un peu plus lorsqu’elle vit la silhouette s’approcher de son lit et se pencher sur elle, s’efforçant visiblement de lui dire quelque chose sans y parvenir. Saisie d’une véritable épouvante, Mlle V… cacha son visage sous les draps et retenant son souffle, elle attendit. Au bout de quelques minutes, comme rien ne semblait se produire, elle finit par trouver le courage de regarder à nouveau et elle constata, à son grand soulagement, que le fantôme avait disparu. Se levant précipitamment de son lit, elle courut alors vers la porte, qu’elle trouva fermée comme elle le pensait, avec la clef à l’intérieur de la serrure.

La jeune fille retourna alors se coucher et elle ne put s’empêcher de se demander:  » Serait-il donc vrai que les fantômes existent ? Si je dois en croire mes yeux, ce que j’ai vu était un authentique fantôme.  » Elle ne parvint à se rendormir qu’après deux heures de réflexions tourmentées mais lorsque le matin parut et que la radieuse lumière du jour envahit lentement la chambre, alors ce qu’elle avait vu durant la nuit commença à perdre de son importance. Quelques semaines plus tard il ne lui en restait qu’un pâle souvenir, et au bout de quelques mois, elle pensait avoir rêvé sa visiteuse nocturne.

Cependant, le hasard, ou peut-être était-ce le destin, allait se charger de les rapprocher. Mlle V… se trouvait en visite chez l’une de ses amies, chez qui elle était allée passer quelques jours, quand elle apprit que cette dernière se livrait à des pratiques spirites et qu’elle obtenait, du moins le prétendait-elle, de nombreuses communications médiumniques. La jeune fille, qui avait entendu parler du spiritisme sans s’y intéresser, décida alors de prendre part, par pure curiosité intellectuelle, aux expériences de son amie. Un soir, alors qu’elles se trouvaient en pleine séance, un soi-disant esprit se manifesta, qui déclara être une certaine Sarah Clarke, un nom qui leur était totalement inconnu. Elle leur révéla que des années plus tôt elle avait travaillé comme femme de chambre chez la tante de Mlle V… et que lorsque la jeune fille lui avait rendu visite, elle avait vainement tenté de lui parler pour lui avouer certaines choses qui tourmentaient sa conscience. Elle leur expliqua ensuite que de son vivant elle s’était laissée aller à dérober plusieurs ustensiles domestiques à la tante de Mlle V…, parmi lesquels un sucrier d’argent et d’autres objets qu’elle énuméra soigneusement. Elle conclut en disant qu’elle resterait éternellement reconnaissante à Mlle V… si elle voulait bien transmettre le message à sa tante en lui exprimant son profond repentir et en implorant son pardon.

A la première occasion, Miss V… demanda à sa tante si par hasard elle n’avait pas connu une certaine Sarah Clarke.
– Certainement, répondit-elle. Elle était notre femme chambre, il y a trente ou quarante ans.
– Quelle espèce de caractère avait-elle?
– Elle était bonne, diligente et fidèle.
– Durant la période de temps où elle fut avec vous, n’avez-vous jamais constaté la disparition d’objets de table en argent?

Après un instant de réflexion, la vieille dame s’écria:

– Oui, je m’en souviens à présent. En ce temps là, se volatilisèrent d’une façon mystérieuse un sucrier d’argent et plusieurs ustensiles de ce genre. Pourquoi?
– Vos soupçons ne sont-ils jamais tombés sur votre femme de chambre, Sarah Clarke?
– Jamais. Il est vrai qu’elle avait libre accès aux objets disparus mais nous la savions très honnête et au-dessus de tout soupçon.

A ce moment-là, Miss V… décida de raconter à sa tante son expérience spirite et de lui transmettre le message médiumnique. Il apparut alors que la liste communiquée par le prétendu esprit de Sarah Clarke correspondait exactement aux objets disparus dans la maison de sa tante. En apprenant cela, la vieille dame haussa les épaules, et elle déclara avec philosophie que  » si Sarah Clarke avait effectivement soustrait ces objets, elle lui pardonnait de grand cœur. « 

L’histoire était déjà remarquable, mais ses conséquences le furent plus encore. Après ces aveux, toutes les manifestations de la chambre hantée cessèrent brusquement et Sarah Clarke n’apparut plus jamais à personne.

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