Johannes Cuntius

L’histoire de Johannes Cuntius a été retranscrite par Henry More dans son ouvrage Un antidote contre l’Athéisme (Antidot against Atheism) en 1653. Les faits lui avaient été rapportés par un théologien, un prêtre protestant de la ville, et Henry More s’était retrouvé fort embarrassé par cette histoire, qu’il se savait où classer. Devait-il la ranger avec les cas de revenants ou avec les cas de vampirismes? Finalement, il décida de la mettre à part. Bien des années plus tard, au XIXe siècle, l’entité fut désignée du nom de vampire par les spécialistes de l’époque.

Johannes Cuntius habitait la ville de Pentch, en Silésie, où il exerçait la profession d’échevin. Un échevin était une sorte de conseiller municipal, un magistrat nommé par le seigneur pour rendre justice sur ses terres. Johannes Cuntius était un homme respecté de tous, à la réputation irréprochable.
Il était âgé d’une soixantaine d’années lorsque survint un différent entre certains charretiers et un marchand originaire de Pannonie. Grâce à ses louables interventions, les deux parties parvinrent à un accord à la suite de quoi le maire l’invita à dîner chez lui pour le remercier de ses services.
Mais avant de s’y rendre, Cuntius se devait d’aller régler quelque affaire personnelle. Johannes Cuntius possédait cinq magnifiques chevaux hongres. Il avait ordonné de les mener à la grange, mais il manquait un fer au pied de l’une de ses bêtes, ce que personne n’avait remarqué. Alors qu’on le faisait avancer, le cheval se cabra brusquement, projetant Cuntius au sol d’une violente ruade. A peine l’homme venait-il de toucher terre qu’il s’écriait pour une raison obscure:  » Je suis perdu, je suis brûlé! « .

On l’examina soigneusement, mais il ne semblait présenter aucune blessure. Cependant, à partir de ce moment-là, il ne cessa de dépérir et bientôt, il se mit à délirer.
Allongé sur son lit, il déclarait que ses péchés étaient si nombreux et si monstrueux que Dieu ne pourrait jamais lui pardonner. Il refusait cependant d’en dire plus ou de se confesser à un prêtre.
Des rumeurs commencèrent alors à se répandre en ville. L’on racontait qu’il avait vendu l’un de ses fils, que sa fortune avait été bien rapidement gagnée et certains prétendaient même qu’il avait passé un pacte avec le Diable.
La nuit de sa mort, son fils aîné, qui se tenait à son chevet, vit un chat noir pénétrer dans la pièce et courir vers le lit où gisait son père. Puis, brusquement, l’animal bondit au visage du mourant, le labourant cruellement et violemment de ses griffes puis il disparut. Johannes Cuntius perdit la vie au moment même. Il était alors trois heures du matin. A cet instant, une violente tempête se leva et se déchaîna sur la ville, une tempête qui n’allait pas cesser avant la fin de ses funérailles.

Personne ne souffla mot des incidents de la nuit et le lendemain les amis du défunt se rendirent chez le prêtre de l’église locale afin de le persuader d’ensevelir le corps du défunt à la droite de l’autel, ce qui était une place réputée pour être particulièrement sanctifiée. C’était une faveur que l’on accordait rarement mais ils obtinrent satisfaction grâce à une forte somme d’argent.
Deux jours après sa mort, le 8 février, alors que sa dépouille n’était pas encore ensevelie, des rumeurs s’élevèrent dans la campagne environnante prétendant que Cuntius avait agressé une femme alors qu’il se trouvait sous la forme d’un incube ou d’un cauchemar.
La nuit qui suivit son enterrement, l’un de ses voisins l’entendit déclarer, de la voix qu’il possédait de son vivant:  » Je peux à peine me contenir de ne pas vous tuer. « 

Puis, au cours des jours qui suivirent, les chevaux commencèrent à s’agiter dans les écuries et tous les chiens du village se mirent à aboyer sans raison apparente. Le spectre visita son ancienne demeure à plusieurs reprises, demandant à la femme de chambre qui dormait près de sa veuve de lui laisser la place qui, selon lui, elle lui revenait de droit. Les gardes de la ville affirmaient que tous les soirs, la maison du défunt résonnait de bruits violents, comme si des objets étaient projetés contre les murs. Et tous les matins, les portes de sa demeure étaient retrouvées grandes ouvertes.

Une nuit, dans l’une des maisons du village, une servante fut brusquement réveillée par des coups d’une telle violence qu’ils en faisaient trembler les murs et les fondations du bâtiment. Terrifiée, elle s’assit sur son lit et elle remarqua alors que d’étranges étincelles rentraient par les fenêtres. Le lendemain, la malheureuse rapporta le phénomène au maître de maison, qui devint fort inquiet en découvrant des empreintes qui ne semblaient appartenir à aucun animal connu. Johannes Cuntius était revenu d’entre les morts, et ça n’était que le début de ses malfaisances.

Un soir, vers vingt-trois heures, le revenant apparut à l’un de ses amis, le parrain de son fils James, et il lui déclara:
 » Dans un coffre de la maison de mon fils aîné Steven, qui vit à Jedergorf, se trouvent quatre cent quinze florins. Aussi je te dis que ton neveu n’a pas à se priver d’un seul florin, et que tu es dans l’obligation de veiller à ce que cela ne se produise pas. Si tu te montrais négligent, tu le regretterais « . A la fin de ce discours, le spectre disparut, mais l’écho de ses pas fit trembler les étages supérieurs. Le lendemain, l’ami de Johannes avoua au pasteur qu’il avait vu le spectre courir dans la cour de sa maison, dans les rues et dans les champs avec une telle fureur que des étincelles s’élevaient du sol.
Puis, dans une auberge, le spectre fit preuve d’un comportement particulièrement ignoble à l’égard d’un juif qui se trouvait là, le traînant de bas en haut dans toute la maison. Une autre fois, il apparut à un charretier de ses connaissances alors qu’il s’affairait dans l’étable. Cuntius lui lança des flammes afin de l’effrayer puis il lui mordit le pied si sauvagement que le pauvre homme en resta boiteux. Il écrasa également le fils d’un forgeron, lui laissant les os mous d’une telle manière qu’ensuite son corps pouvait se plier comme un tissu.

Le pasteur lui-même recevait fréquemment la visite du mort-vivant. L’esprit démoniaque semblait d’ailleurs s’acharner sur sa maison tant ses manifestations y étaient nombreuses. Une nuit, il attaqua le prêtre pendant qu’il dormait. Au matin, l’homme se réveilla épuisé et alors qu’il songeait à tout cela, le spectre lui apparut et il se jeta sur lui, le paralysant et le secouant fortement dans son lit.
Une autre fois, ce fut sa femme qui l’aperçut, alors qu’il se trouvait sous la forme d’un nain, sauter par la fenêtre et foncer sur elle alors qu’elle était allongée dans son lit. Il lui tordit le cou de telle manière qu’elle craignit de voir sa tête arrachée. Heureusement, ses filles vinrent rapidement à son secours en entendant ses cris. A une autre occasion, la femme du pasteur perçut des bruits étranges en provenance de la chambre. La maléfique créature semblait mastiquer des grains, puis elle l’entendit taper dans ses mains et s’élevèrent de la pièce de forts grognements. La femme tenta de le faire sortir en lui parlant, mais les bruits ne cessèrent qu’au moment où elle alluma une bougie. A l’un de leurs enfants l’esprit colla ses clefs, de telle sorte qu’il leur fallut énormément de temps pour les séparer.

Le tumulte que faisait l’esprit dans la maison du prêtre était tel que ses serviteurs terrifiés avaient décidé de dormir ensemble sur un tapis pour ne pas être surpris par ce visiteur inopportun. Cependant, un soir, l’une des femmes de chambre insista pour dormir seule dans sa chambre. Le spectre commença alors à lui tirer les draps et il les lui aurait arrachés si la famille n’était intervenue. Surpris par leur arrivée, l’esprit se cacha un moment derrière la bougie puis il disparut.

Non seulement Johannes Cuntius harcelait le pasteur et sa famille, mais il montrait également sa profonde aversion pour le sacré en profanant le bénitier de l’église. Les dessus d’autels étaient parfois retrouvés tachés et du sang apparaissait régulièrement sur la tombe du défunt. Un après-midi, alors que le pasteur jouait de la musique pour sa femme et ses enfants, comme à son habitude, ils remarquèrent qu’une odeur pestilentielle s’était répandue dans la pièce. Ils commencèrent alors à prier mais l’odeur devint tellement forte qu’elle en fut rapidement insupportable et ils durent se réfugier dans leurs chambres.
Ils se glissèrent dans le lit, mais un quart d’heure plus tard, l’odeur s’introduit dans la pièce alors qu’un souffle glacé balayait la salle. A la suite de quoi le pasteur tomba malade et il dut garder le lit durant plusieurs jours. Ses jambes, son visage et son ventre semblaient avoir considérablement gonflé et il éprouvait des difficultés à respirer. L’un de ses yeux était également enflé, ce qui l’aveugla durant une longue période.
Lorsque le spectre approchait, la flamme des bougies virait au bleu. Il ne leur laissait aucun répit. Il buvait le lait des bols, il le convertissait en sang, il jetait des excréments dedans, il arrachait des piquets qui auraient nécessité la force de deux hommes pour être soulevés et il extirpait les enfants de leurs lits.

Dans la petite ville de Pentch, personne ne semblait à l’abri de ses caprices. Les chevaux de Johannes étaient pris de sueurs et de tremblements inexpliqués mais d’autres animaux subissaient également ses outrages. A une occasion, il avait attaché la jambe d’un cheval à une grange et celle d’un autre à un pieu. Il chassait les chiens dans la rue, cognant leur tête contre le sol, il dévorait les volailles dans les basses-cours, il aspirait le lait des vaches jusqu’à ce qu’elles en deviennent desséchées et il attachait leurs queues les unes aux autres. Quand aux chèvres, il les pendait dans leurs enclos, tout simplement.

Si ses méfaits étaient innombrables, il agissait parfois de manière plus vile encore, étranglant les vieillards et violant répétitivement les femmes.
Alors qu’elle se rendait au lavoir, une femme se retrouva lapidée par le mort-vivant avec une telle rage que les pierres qu’il lui jetait laissèrent leurs empreintes dans les murs. Il tenta également de séduire une vieille femme, mais elle réussit à échapper à son étreinte macabre en s’écriant:  » Mon Cuntius, ne vois-tu pas que je suis ridée et difforme? Je ne suis plus bonne pour ce ce genre de divertissement « . Le vampire se mit alors à rire puis brusquement il disparut. Selon les différents témoignages, le spectre sentait terriblement mauvais, son haleine était pestilentielle, ses mains étaient froides comme de la glace, il était extrêmement fort et semblait craindre les bougies.
Quelques temps plus tard, l’on remarqua que sa pierre tombale, qui se trouvait donc dans l’église, avait été déplacée sur la côté et qu’autour de sa tombe étaient apparus des trous suspects:
 » Sa pierre tombale était inclinée sur le côté, et il y avait plusieurs trous de la taille de trous de souris, et ils descendaient jusqu’à son cercueil. Même si l’on remplissait ces trous avec de la terre pour la nuit, on était sûr de les trouver ouverts le lendemain matin. « 

La situation avait tellement dégénéré que plus aucun visiteur n’osait pénétrer dans la ville de Pentch. Le commerce périclitait et les habitants s’en trouvaient cruellement appauvris.
Enfin, le 20 juillet, soit près de six mois après son enterrement, il fut décidé d’exhumer le corps de Johannes Cuntius et celui d’autres personnes qui étaient mortes peu de temps avant ou après lui. La mort avait fait son œuvre sur tous les cadavres, sauf sur celui de Johannes Cuntius, qui était resté intact:
 » Sa peau était tendre et colorée, ses articulations n’étaient pas du tout raides, mais flexibles et souples. Un bâton ayant été mis dans sa main, il l’a serré très rapidement avec ses doigts. Ses yeux aussi étaient un moment ouverts et un autre fermés. On ouvrit une veine de sa jambe et le sang jaillit aussi frais que chez les vivants. Son nez était entier et charnu, et non aquilin comme chez les malades blafards ou chez ceux qui sont vraiment morts, et pourtant le corps de Cuntius avait reposé dans la tombe du 8 février au 20 juillet, c’est-à-dire presque pendant la moitié d’une année. »

Suivant un procédé mis en œuvre dans une affaire précédente d’une autre ville de Silésie, celle du cordonnier de Breslau, les autorités de la ville, après avoir examiné les nombreuses preuves qui accablaient Johannes Cuntius, décrétèrent que son corps devait être brûlé.
L’on fit passer son cercueil par un trou du mur de l’église car son corps était si lourd que les câbles se brisèrent lorsque l’on essaya de le hisser. Puis il fut déposé sur une charrette tirée par un cheval de trait qui eut toutes les peines du monde à l’amener jusqu’au lieu d’exécution. A plusieurs reprises le corps glissa de la charrette et se retrouva sur la voie, et, chaque fois, hommes et animaux durent peiner pour le hisser à nouveau et continuer.
Pour beaucoup, il était évident que Johannes Cuntius refusait d’être exécuté. Le bourreau dut utiliser des pinces de métal pour extirper le corps de son cercueil. Lorsqu’il le découpa en petits morceaux, le sang du cadavre était si fluide qu’il lui gicla au visage. Il fallut 115 grosses bûches pour réduire ce corps agité en cendres. Ces cendres furent ensuite prudemment rassemblées et dispersées sur la rivière. Alors on n’entendit plus jamais parler de lui. Ainsi se termine l’histoire de Cuntius Johannes, le mort qui se refusait à mourir.

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