Gilles Garnier

Au cours de l’année 1573 les villageois qui habitaient les alentours de Dole, en Franche-Comté, furent terrorisés par une série de meurtres particulièrement odieux. Les corps d’enfants déchiquetés et dévorés avaient été retrouvés et l’on supposait qu’un loup-garou était coupable de ces atrocités.

Gilles Garnier avait délaissé la compagnie des hommes pour se consacrer à Dieu et, pour se faire, il s’était réfugié dans la chapelle de Saint-Bonnet, une bâtisse isolée dans les bois près d’Amange, une petite masure de la construction la plus grossière au toit de gazon et aux murs maculés de lichen, où il était devenu ermite. C’était un homme de mauvaise mine, sombre, qui marchait vouté et dont le visage, au teint livide et aux yeux clairs enfoncés sous une paire de sourcils grossiers et touffus qui se rejoignaient sur le front, dissuadait quiconque de l’approcher. Il parlait rarement. Sa longue barbe grise et sa retraite lui avait valu le nom de l’ermite de Saint-Bonnet et pendant un moment on lui avait attribué une certaine aura de sainteté. Mais si ce mode de vie lui convenait, la solitude lui pesait. Il avait donc épousé une jeune femme, Appoline et de nombreux enfants étaient nés de cette union. Mais avec leur arrivée, la misère s’était introduite dans l’ermitage.
1573 était une terrible année, une période de grande famine pour tous et Gilles Garnier ne parvenait plus à nourrir les siens. Une nuit, alors qu’il chassait dans la forêt afin de trouver de la nourriture pour lui et sa famille, un spectre lui apparut qui lui proposa, afin de l’aider, un onguent lui permettant de se changer en loup. Le spectre lui donna le choix de devenir un loup, un lion, un léopard ou même, si le poil de ces animaux le répugnait, courir en nuage, en vent ou en feu. Bien évidemment, il pourrait se transformer à volonté et parler sous la forme adoptée. Comme cette proposition était particulièrement alléchante pour un homme affamé, aussi Gilles n’hésita guère et choisit la forme d’un loup.

Par une belle journée d’automne, juste après la Saint-Michel, Gilles Garnier, sous sa forme de loup, agressa sauvagement une petite fille de dix ou douze ans, dans une vigne de Châtenois, au lieu-dit Es-George, non loin de Dole. Il la tua avec ses dents et avec mains ressemblant à des pattes. Après l’avoir trainée, toujours avec ses pattes et ses dents, jusqu’aux bois de la Serre, il la dépouilla et la dévora. Mais avant de quitter les lieux de son forfait, il prit  soin d’en prélever un morceau afin de le rapporter à sa femme, qui l’attendait à l’ermitage.

Huit jours après la fête de la Toussaint, Gilles sortit chasser une nouvelle fois sous sa forme de loup lorsqu’il aperçut une petite fille qui se promenait dans le pré de la Ruppe, à Authume. Il se jeta alors sur elle avec férocité, l’attaquant de ses pattes et de dents, mais il fut soudain interrompu par l’irruption de paysans de Chastenoy qui rentraient de leur travail à travers la forêt. Ils avaient été alertés par les hurlements de l’enfant et le grognement profond d’un loup mais leurs témoignages étaient contradictoires. Certains affirmaient qu’ils avaient eu le temps d’apercevoir une créature monstrueuse déchiquetant la petite fille, mais d’autres assuraient avoir reconnu l’ermite. La créature avait abandonné sa proie en les apercevant et elle avait réussi à s’enfuir. La fillette, que Gilles Garnier avait étranglée et meurtrie de cinq plaies dans l’intention de la dévorer, ce qu’il reconnut par la suite, mourut de ses blessures quelques jours plus tard.

Vers la fin de l’automne de 1573, les habitants de la région de Dôle, en Franche Comté, furent autorisées par la Cour de Parlement à Dôle à traquer le loup-garou qui ravageait le pays. L’autorisation était rédigée ainsi: « Selon l’annonce faite à la Cour souveraine du Parlement à Dole, qui, dans les territoires de Espagny, Salvange, Courchapon, et les villages voisins, a souvent été vu et rencontré, pendant un certain temps passé, un loup-garou, qui, dit-on, a déjà saisi et emporté plusieurs petits enfants, afin qu’ils n’ont pas été revu depuis, et depuis qu’il a attaqué et fait des blessures dans le pays à des cavaliers, qui l’empêchaient seulement avec beaucoup de difficulté et de danger pour leur personne: ladite Cour, désireux de prévenir tout danger plus grand, a permis, et ne permet, à ceux qui se conforment ou habitation dans ces lieux et d’autres, en dépit de tous les décrets concernant la chasse, à assembler de piques, hallebardes, arquebuses et de bâtons, de chasser et de poursuivre ledit loup-garou dans chaque endroit où ils peuvent trouver ou saisir lui, à nouer et à tuer, sans encourir de peines ou sanctions… Donné à la réunion de ladite Cour, le treizième jour du mois Septembre 1573 « 

Quinze jours après la Toussaint, alors qu’il errait sous sa forme de loup, Gilles s’en prit à un jeune garçon d’une dizaine d’année dans une vigne de Grédisans, non loin de Dole. Après l’avoir égorgé, il le dévora partiellement puis lui arracha l’une de ses jambes afin de la ramener à sa bien-aimée.

Le vendredi suivant le jour de la fête de la St-Barthélemy, Gilles se jeta sauvagement sur un jeune garçon de 13 ans qui se reposait sous un gros poirier, près du bois de Perrouse. Après l’avoir emporté et trainé dans le bois, il l’étrangla comme les autres enfants avec l’intention de le dévorer, ce qu’il aurait probablement fait si un groupe de personnes ne s’étaient approchées afin d’observer ce qu’elles pensaient être un loup dans la pénombre. Mais la bête qui se dissimulait dans l’ombre des taillis n’était pas un loup, c’était un homme, et certains reconnurent aisément l’ermite. A ses pieds, gisait le corps d’un enfant mort. Lors du procès qui s’en suivit, les témoins affirmèrent que lorsqu’ils avaient aperçu Gilles Garnier, celui-ci n’était pas sous une forme de loup mais sous sa forme humaine, et qu’il s’apprêtait à dévorer le jeune garçon. Si l’ermite ne nia pas qu’il se trouvait sous sa forme humaine à ce moment là, il assura que lorsqu’il avait attaqué l’enfant, il était sous sa forme de loup. Et, comme il le confessa maintes fois par la suite, sans l’intervention des hommes qui l’avaient surpris, il aurait mangé la chair de l’enfant bien que l’on soit un vendredi, ce qui était un crime inadmissible aux yeux de la loi, comme le souligne cet extrait de l’acte d’accusation:
 » Il est arrêté sous la prévention des crimes ci-dessus énumérés, et, en outre, d’avoir tenté de manger gras un jour défendu; car il eût mangé de la chair dudit garçon sans ledit secours, nonobstant qu’il fût vendredi. « 

Après avoir été capturé, Gilles Garnier fut conduit au tribunal de Dole par les habitants du village. Plus de cinquante témoins témoignèrent l’avoir vu attaquer et tuer des enfants dans les champs et les vignes, dévorant leur chair crue. Il avait parfois été aperçu sous sa forme humaine, tantôt comme un loup-garou. Le 16 janvier 1574, après que le suspect ait avoué ses crimes, le tribunal délivra son verdict.  » Gilles Garnier, tombé en sorcellerie, ayant pris et occis plusieurs enfants de 6 à 12 ans tant avec ses mains semblant pattes qu’avec ses dents, la Cour le condamne à être aujourd’hui trainé à l’envers sur une claie depuis la conciergerie de Dole jusqu’au tertre de ce lieu et y être brûlé vif et son corps réduit en cendres « . La sentence fut exécutée le 18 janvier 1573 et l’histoire ne précise pas ce qu’il advint de sa femme et de ses enfants.

Arrêté Gilles Garnier

Les renseignements que nous possédons sur cette affaire sont parvenus jusqu’à nous grâce à l’arrêté qui fut délivré à l’encontre de Gilles Garnier en janvier 1573 par la Cour du Parlement de Dole. A l’arrêté de la Cour était jointe une lettre de l’éditeur Dan-d’Ange au doyen de l’église de Sens, en voici un extrait:

 » Gilles Garnier, lycophile, ainsi l’appelerai-je, estant ermite, prist depuis femme, et n’ayant de quoi sustenter sa famille, tomba, comme est la coustume des mal-appris, en défiance et tel désespoir, qu’errant par les bois et déserts en cet estat, il fut rencontré d’un fantosme en figure d’homme, qui lui promit monts et merveilles; et, entr’autres choses, de lui enseigner à bon compte la façon de devenir, quand il le voudroit, loup, lion ou léopard, à son choix, et pour ce que le loup est une beste plus mondanisée par deça que ces autres espèces d’animaux, il aima mieux estre desguisé en icelle, comme de faict il fut, moyennant un unguent dont il se frottoit ceste fin, comme depuis il a confessé avant que mourir avec recognoissance de ses péchés. « 

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