Les Sorcières de Zugarramurdi

Les Sorcières de Zugarramurdi (Las Brujas de Zugarramurdi) est un film réalisé par Alex de la Iglesia qui s’inspire des tragiques événements qui se déroulèrent au début du XVIIe siècle dans le petit village de Zugarramurdi, au Pays basque, qui fut brusquement frappé d’une véritable  » épidémie diabolique « . Ce soudain engouement pour la sorcellerie allait déboucher sur de nombreuses exécutions et sur le procès le plus célèbre de toute l’histoire de la sorcellerie sur la péninsule ibérique.

La répression exercée par en France contre les sorcières du Pays de Labourd en 1609 fut à l’origine de la celle menée au Pays basque espagnol par la suite. Depuis 1608, la recrudescence des phénomènes de sorcellerie en France était sans précédent ce qui avait conduit les autorités à lancer une action d’envergure. Le conseiller au Parlement de Bordeaux, Pierre de Lancre, s’y était distingué par sa cruauté. Les accusés avaient été torturés, leurs aveux extorqués par la question et quatre-vingt avaient été menés au bûcher. Il était persuadé que les 30 00 habitants du Pays de Labourd se trouvaient sous l’influence d’une secte diabolique et il pensait en avoir la preuve formelle: la marque du démon avait été décelée sur plus de 3000 enfants.

Cette répression avait provoqué l’exode d’une bonne partie de la population vers le nouveau monde et vers l’Espagne. Un tel afflux de prétendus sorciers sur le territoire espagnol avait bien évidemment suscité l’inquiétude des autorités, mais ce fut le témoignage de María de Ximildegui qui déclencha les événements.

Le Sabbat selon Pierre de Lancre

María de Ximildegui était née de parents français mais elle était originaire de Zugarramurdi, un petit village du Pays basque espagnol, où elle avait passé son enfance. Puis, vers la fin de son adolescence, à l’âge de seize ans, María s’était rendue en France où elle avait exercé le métier de servante pendant quatre ans. D’épouvantables récits circulaient sur les sorcières, des histoires qui terrorisaient la population et la jeune fille avait donc baigné dans cette atmosphère durant toutes ces années.
En 1608, au début du mois de décembre, lors de son retour à Zugarramurdi, María affirma à sa famille et à ses amis que pendant trois ans, alors qu’elle résidait en France, à Ciboure, elle avait abandonné la foi et elle était devenue une sorcière. Durant cette période, elle avait appartenu à une assemblée de sorcières et elle avait assisté à des sabbats. Puis, elle avait eu une révélation lors du carême qui l’avait persuadée de revenir à l’église, froissant les membres de la secte qui lui avaient jeté un sort de maladie mortelle pour se venger. Elle avait cependant survécu au maléfice et elle s’était repentie auprès d’un prêtre qui l’avait absoute.
La jeune femme déclara également que lors de ses séjours à Zugarramurdi, elle s’était rendue à deux reprises à des réunions sabbatiques auxquelles assistaient plusieurs habitantes du village. Si María n’était plus une sorcière et si elle s’était repentie, Zugarramurdi abritait toujours en son sein des adoratrices de Satan. Et elle était ravie de pouvoir révéler leurs noms. Elle accusa alors María de Jureteguia, une jeune femme de trente-deux ans d’être l’une d’entre elles.

Les révélations de María de Ximildegui scindèrent le village en deux. Si certains croyaient en ses dires, d’autres l’accusaient de calomnie. Esteve de Navarcorena, en particulier, était furieux des mensonges que María avait proférés à l’encontre de sa femme, María de Jureteguia. Accompagné de ses parents, Esteve se rendit alors devant chez elle, exigeant qu’elle cesse de calomnier sa jeune épouse mais María ne voulut rien entendre. Elle était certaine de ce qu’elle avançait, et elle pouvait le prouver, si il voulait bien la laisser parler à sa femme.
Esteve ramena alors l’accusatrice jusqu’à sa ferme puis il appela son épouse à l’extérieur. Debout devant elle, María se lança alors dans une longue description des sabbats auxquels les jeunes femmes avaient soi-disant participé toutes deux. María de Jureteguia niait, encore et encore. Mais, comme le temps passait, les détails extraordinaires et la longueur de l’histoire de la servante commencèrent à impressionner la foule qui assistait à la scène, et les gens exhortèrent la jeune épouse d’avouer ses pratiques malfaisantes et de se repentir. Effrayée par l’hostilité croissante des habitants et de ses beaux-parents, María de Jureteguia perdit connaissance. Quand elle revint à elle, elle admit qu’elle était bien une sorcière. Elle avait été entrainée dans ces sabbats par l’une de ses tantes, María Chipía Barrenechea. Ainsi commença l’ère des dénonciations qui allait ravager le village.

Sous la pression de son accusatrice, de sa famille et de son confesseur, Felipe de Zabatela, María de Jureteguia reconnut sa culpabilité. Elle confessa publiquement ses torts et elle déclara depuis ses aveux, elle était poursuivie, ainsi que son mari, par des démons et des sorcières qui voulaient l’emporter suite pour la châtier de sa trahison mais qu’elle les tenait à distance d’un signe de croix. Elle les voyait partout, alors qu’ils se déguisaient en chats, en chiens, en cochons.
Les habitants du village, sans mettre en doute ses paroles, se mirent alors à fouiller les maisons afin d’y découvrir d’éventuels crapauds car personne n’ignorait que les crapauds étaient les compagnons des sorcières. La chasse aux crapauds était menée par Graciana, une octogénaire qui avoua plus tard être la reine des sorcières de Zugarramurdi.
A partir de ce moment là, le témoignage de María de Ximildegui fut considéré comme infaillible. Lorsque la jeune femme accusait une personne de sorcellerie, nul doute n’était toléré. Felipe de Zabaleta, le prêtre du village, déclara alors que toute sorcière accusée qui avouerait et se repentirait serait pardonnée. Il affirma également que si l’accusée refusait de se confesser, alors il la torturerait sans pitié.
Les accusations s’orientèrent ensuite vers d’autres suspects, dont Estevenia de Yriarte, une épouse de berger, et Felipe de Zabaleta extorqua par la force les aveux et confessions publiques de neuf sorciers récalcitrants.
Les quatre premières sorcières de Zugarramurdi avaient été accusées d’utiliser un assortiment de sortilèges et de poudres afin de tuer 18 enfants et 7 adultes et d’avoir causé divers torts à la population et dix sorcières avouèrent que pendant des décennies, elles avaient tué des enfants et sucé leur sang.
Suivant les lois locales en vigueur, les communautés villageoises étaient capables de résoudre les affaires de sorcellerie. Après une confession publique, il y avait réconciliation et le pardon était général. L’histoire aurait donc du en rester là mais une source anonyme rapporta l’affaire à l’Inquisition et les événements prirent un tour plus dramatique encore.

Les Sorcières au Sabbat

L’affaire de Zugarramurdi avais pris des proportions importantes et lorsque les accusations portées parvinrent à l’Inquisition, une enquête fut immédiatement ordonnée. Elle débuta au début du mois de janvier 1609 et au mois de février avaient lieu les premières arrestations.
Quatre sorcières accusées ainsi qu’un traducteur basque furent emmenés par l’inquisition. Alors que le temps passait, de plus en plus de villageois étaient arrêtés, et leurs confessions étaient spectaculaires. María de Jureteguia admit qu’elle avait bien pratiqué la sorcellerie durant son enfance. Les sorcières lui avaient d’ailleurs confié la surveillance d’un troupeau de crapauds et elle avait été battue pour avoir manqué de respect à l’une des bêtes. María avait aussi avoué que sa tante la réduisait parfois à une taille minuscule, la rendant capable de se faufiller à travers de petites fissures dans les murs et elle était également passée par des trous de serrures.
Les accusées décrivirent avec abondance de détails les initiations élaborées auxquelles elles avaient assisté, en compagnie de leur crapaud bien dressé. Elles avaient eu des rapports sexuels avec le démon et entre elles, des rapports aussi bien hétérosexuels qu’homosexuels, et elles avaient aussi couché avec des membres de leur propre famille, le tout supervisé par Graciana Barrenechea, la Reine des Sorcières. Selon leurs aveux, elles s’étaient aussi rendu coupables d’infanticide, de vampirisme, de cannibalisme, de profanation de tombes et elles avaient mangé le corps des morts. Une accusée affirma également avoir empoisonné son petit-fils.
Les témoignages des supposées sorcières étaient tellement similaires dans leur description du diable, de leurs assemblées nocturnes et des cérémonies d’admissions que les deux inquisiteurs en charge de l’affaire, Juan del valle Alvarado et Alonso Becerra Holguín, supposaient l’existence d’une secte de sorcières.

Convaincus de la réalités des méfaits commis par les sorcières, ils envoyèrent un premier rapport au Conseil de la Suprême, en sollicitant des instructions pour la poursuite de l’enquête. Le 2 mars 1609, le conseil leur fit parvenir un questionnaire en quatorze points destiné à l’interrogatoire des prisonniers et des témoins de Zugarramurdi afin de déterminer si les expériences des sorciers relevaient de l’onirisme ou de la réalité. Si les faits étaient reconnus réels, les inquisiteurs se devaient de fournir des preuves.
Ces questions étaient les suivantes:

  1. Quels jours se rendent-ils au sabbat et pendant combien de temps y assistent-ils, à quelle heure en partent-ils et en reviennent-ils, si au cours de leur voyage ils entendent des coqs, des chiens ou des cloches et à quelle distance.
  2. S’ils savent à l’avance le jour de l’assemblée ou si quelqu’un les prévient.
    Si les personnes qui s’y rendent ont maris, femmes, enfants qui dorment dans la même pièce de telle sorte qu’elles puissent constater leur absence.
  3. Si elles emmènent avec elles des nourrissons et avec qui les laissent-elles dans les cas où elles ne les emmènent pas à leurs réunions.
  4. Si elles s’y rendent habillées ou nues; où laissent-elles leurs vêtements.
  5. Combien de temps mettent-elles pour y aller et en revenir, quelle distance parcourent-elles, si elles y vont à pied ou y sont conduites, si dans leur trajet elles rencontrent d’autres personnes et, au cours de l’assemblée, si elles voient passer des bergers à proximité.
  6. Si dès qu’on prononce le nom de Jésus le sabbat se dissout ou, si cela se produit en chemin, le démon peut-il continuer à leur prêter assistance.
  7. Si pour se rendre aux conventicules elles usent de conjurations et d’onguents; comment les confectionne-t-on et qui les confectionne. S’ils trouvent un onguent, ils le remettront aux médecins et aux apothicaires pour qu’ils analysent et déterminent  » les effets qu’ils peuvent avoir naturellement « .
  8. Si pour se déplacer il est nécessaire ou non de s’enduire d’onguent.
  9. Si entre la dernière réunion et la suivante les participants se voient et se parlent et s’ils commentent les incidents qui se sont produits.
  10. S’ils se confessent et communient, s’ils commentent leurs pérégrinations avec leur confesseur, s’ils récitent des prières de chrétien et lesquelles.
  11.  » S’ils tenaient pour certain de se rendre en personne aux dites assemblées ou si ces choses sont le fruit de leur imagination et de leur invention. « 
  12. En ce qui concerne les morts d’enfants ou de toute autre personne  » que l’on s’efforce de vérifier ces délits et ces actes par des témoins « .
  13. Il est indispensable de rechercher si accusés et témoins sont d’accord en ce qui concerne:  » les actes et les délits… afin que l’on puisse découvrir la vérité et la faire clairement apparaitre « .

Au moment des événements, Alonso de Becerra était le premier inquisiteur de Logroño, Juan del Valle le second et le poste de troisième inquisiteur était encore vaquant. Le 23 mars 1609, il fut attribué à Alonso de Salazar y Frias, un homme de 45 ans dont l’influence allait se révéler décisive pour l’histoire des procès traitant de sorcellerie sur le sol hispanique. Il prit ses fonctions le 20 juin 1609 et il reçut de la Suprême l’ordre de partir dès que possible afin de vérifier les faits reprochés.

Les inquisiteurs soumirent le questionnaire aux sorcières emprisonnées. D’après leurs réponses, il était évident pour eux que les rassemblements de sorcières n’étaient pas fondés sur des rêves ou l’imagination, mais qu’ils étaient bien réels, comme ils l’avaient toujours pensé.
Lors d’une visite, l’inquisiteur Valle Alvarado estima que près de 300 adultes avait été accusés de sorcellerie. Parmi les personnes soupçonnées, il n’y avait pas que des femmes, même si elles prédominaient, mais aussi des enfants, des hommes et même des prêtres coupables de guérison avec nominas, une amulette pourtant le nom d’un saint.
Trente-et-un des accusés furent choisis parmi les plus coupables afin d’être jugés lors du procès qui devait se dérouler en juin 1610. L’Inquisition avait décidé de délivrer sa sentence devant un rituel élaboré connu sous le nom d’Autodafé, un Acte de Foi.
Lors de l’autodafé qui se tint dans la ville de Logroño les 7 et 8 décembre 1610, 29 accusés comparurent, deux moines ayant déjà été jugés à huit clos. Les inquisiteurs, dont Salazar faisait maintenant partie, furent unanimes. Les dix-huit accusés qui avaient avoué leurs crimes devaient être punis mais ils n’étaient pas d’accord sur le sort des douze qui niaient leur participation. Alors que Alonso de Becerra et Juan del Valle estimaient qu’ils devaient être envoyés au bûcher, Salazar n’était pas convaincu de leur culpabilité et il vota pour un interrogatoire sous la torture afin d’obtenir plus d’éléments. Dans ce cas, la majorité prévalait, et ceux qui avaient nié leur participation furent condamnés à être brulés, vivants ou en effigie pour les cinq qui avaient péri au cours de leur détention. Quand aux dix-huit accusés qui avaient reconnu les faits, dix furent  » réconciliés  » en personne et huit en effigie car ils étaient morts en prison. La réconciliation au sein de l’église ne ne signifiait aucunement l’absence de sanctions. Certains virent la confiscation de leurs biens, d’autres furent bannis et d’autres encore durent subir des peines de prison qui allaient de un an à la perpétuité.

Auto de Fe, de Francisco Ricci (1683)

Aux yeux des inquisiteurs, ce procès prouvait l’existence d’une secte de sorciers dans la région. Elle était apparemment parfaitement organisée et hiérarchisée. Il y avait un grand rassemblement qui se tenait aux alentours de Zugarramurdi, dans un pré appelé Berroscoberro. Les sorciers s’y rendaient tous les lundis, mercredis et vendredis, ainsi que les veilles de fêtes religieuses. Ils y allaient à la nuit tombée et n’en revenaient pas avant l’aube. Une fois sur les lieux, ils adoraient le démon et festoyaient au son de divers instruments de musique. Les nouvelles recrues étaient accueillies au sein de la secte et marquées par le Diable en personne. Estevania de Yriarte déclara avoir été marquée sur l’épaule gauche par la griffe de Satan, qu’il avait enfoncée jusqu’à en faire jaillir le sang, et les inquisiteurs avaient en effet noté qu’elle portait sur l’épaule une cicatrice de la taille d’une lentille. D’autres avaient été marquées à l’œil, au nez ou à l’oreille. Lors de cette cérémonie d’intronisation, un crapaud leur était confié qui, croyaient-ils, jouait un rôle essentiel. Il pouvait être vêtu d’atours multicolores et il fallait le nourrir et le soigner sous peine de châtiments sévères.
D’après ces témoignages, le pouvoir des sorciers leur était octroyé par Satan mais ils aidés dans leurs tâches maléfiques par ces crapauds, esprits familiers, comme que l’avait confessé María de Jureteguia:
 » Lorsqu’elle était petite elle avait été la gardienne du troupeau de sabbat. On recommandait aux enfants de traiter les crapauds avec le plus grand respect. Un soir que Maria avait poussé un de ces animaux du pied au lieu de l’exciter avec la baguette qu’on lui avait remise à cet effet, elle fut cruellement châtiée par les sorcières de telle sorte qu’elles lui laissèrent le corps couvert de bleu. « 
Ils étaient des auxiliaires indispensables, choyés, nourris de maïs, de pain et de vin. Ces charmantes créatures avaient la même la faculté de protester lorsque la chère n’était pas assez abondante et ils les menaçaient de se plaindre au démon.
Le crapaud avait une autre fonction capitale: il permettait la translation aérienne. A cet effet, chaque jour, après son repas, il fallait lui administrer quelques coups de baguette destinés à le faire enfler et prendre une couleur verte, puis l’animal indiquait au sorcier quand il devait arrêter de le frapper et le crapaud évacuait alors des excréments liquides verdâtres qui étaient recueillis dans un récipient: c’était le fameux onguent indispensable pour l’envol vers le sabbat.
En dehors du sabbat, les sorciers devaient assumer certaines obligations, dont le mot d’ordre pouvait se résumer ainsi: nuire par tous les moyens. Pour ce faire, il leur était possible de se métamorphoser en chien, en chat, en cochon, en cheval ou autres animaux comme en avait témoigné María de Jureteguia. Ils confectionnaient également de redoutables poisons et des poudres avec des ingrédients qu’ils allaient récolter en groupe, sous la houlette du diable:
 » Les poudres étaient composées de crapauds, de couleuvres, de salamandres, de lézards, de limaces, d’escargots et de vesses-de-loup. « 

Plus de 30 000 spectateurs assistèrent à cet autodafé, ce qui contribua singulièrement à propager les croyances en la réalité de la sorcellerie. Les villages ruraux semblaient en proie à une épidémie de sorcellerie qui se diffusait de manière fulgurante. Si elle était née à Zugarramurdi, l’hystérie avait maintenant gagné toute la vallée. Dans tout le nord de la Navarre espagnole, des enfants affirmaient avoir été ensorcelés et emmenés à des sabbats par des sorcières. Ils citaient même les noms de tous ceux qui y participaient. En aout 1610, la Suprême écrivit au roi pour l’informer de l’extension de la secte des sorciers et de la nécessité de l’enrayer. A Zugarramurdi, l’été 1610 avait été paisible mais dès l’automne, de nouvelles plaintes et confessions de sorciers supposés submergèrent à nouveau le tribunal. En 1611, la persécution s’étendit à tout la Navarre. Dans certains villages, les habitants effrayés lynchèrent des femmes soupçonnées de sorcellerie.

Cette même année, parallèlement à la persécution des sorcières, les sceptiques commencèrent à se faire entendre. Ils affirmaient que les accusés avaient fait de fausses déclarations sous la torture ou la menace. Cette conviction était partagée par les prêtres locaux, les jésuites prédicateurs et même l’évêque de Pampelune, Venegas de Figueroa, qui informa le Grand Inquisiteur que l’engouement soudain pour la sorcellerie venaient de rumeurs propagées par les enfants et les gens simples qui avaient entendu parler des sorcières en France. Face à tant de nouvelles accusations non fondées, Salazar refusa de soutenir les autres inquisiteurs, et un vote divisé fut transmis au Conseil suprême. L’humaniste Pedro de Valencia trouvait regrettable qu’on ait lut à la foule présente les méfaits des sorcières avec un tel luxe de détails, que ces textes aient été publiés puis diffusés. Il craignait que des esprits faibles qui n’avaient jamais entendu de pareilles horreurs soient tentés d’imiter les sorciers et déplorait que le Saint-Office se fasse l’écho d’histoires aussi invraisemblables.
Après avoir dénoncé à la Suprême un certain nombre d’irrégularités et de négligences commises lors du procès, Alonso de Salazar y Frias fut à nouveau sollicité. Il reçut l’ordre de procéder à une tournée d’inspection dans les villages contaminés des Pyrénées et d’y appliquer l’Édit de grâce. Ce qu’il fera entre le 22 mai 1611 et le 12 janvier 1612, assisté de deux interprètes en langue basque. L’audition des prétendus sorciers et l’examen rigoureux des preuves achevèrent de le persuader de la nature chimérique des témoignages.

Salazar n’utilisa ni la pression ni la question pour obtenir des réponses des personnes soupçonnées de sorcellerie et de leurs complices mais il interrogea les ceux qui affirmaient avoir participé aux même cérémonies afin de voir si leurs déclarations concordaient. Il fut alors frappé par les incertitudes et les incohérences des accusés, ainsi que le fréquent retrait des déclarations qu’ils avaient faites. Il rejeta d’emblée les témoignages des 1384 enfants âgés de six à quatorze ans, qui étaient remplis d’invraisemblances, et il se concentra sur l’obtention de preuves matérielles indiquant formellement l’existence d’une secte de sorcières. Il s’aperçut rapidement que lorsqu’il interrogeait les présumés sorciers  sur des questions bien précises, ils se contredisaient dans leurs propres déclarations et certains reconnurent que les poudres et onguents qu’ils avaient présentés comme preuves étaient des faux contenant des substances inoffensives qu’ils avaient fabriqués pour satisfaire leurs persécuteurs et appuyer leurs confessions.
Les enfants ayant affirmé avoir participé à des rassemblements sabbatiques dans le village de Santesteban avaient menti, puisque les secrétaires de Salazar avaient été sur place durant toute la nuit en question et qu’ils n’avaient vu personne. En fait, personne n’avait jamais vraiment vu les sorcières. Salazar en conclut que le diable trompait ceux qui pensaient l’avoir rencontré afin de créer du tumulte et faire injustement condamner des innocents. La secte de sorcellerie était imaginaire. Dans un rapport au Grand Inquisiteur, il écrivit:  » Je n’ai pas trouvé une seule preuve, ni même la moindre indication qu’un acte de sorcellerie ait effectivement eu lieu… Le seul témoignage de complices sans l’appui de faits extérieurs justifiés par des témoins qui ne sont pas des sorcières est insuffisant pour justifier même une arrestation. « 

En 1613, dans un rapport au Conseil Suprême, Salazar critiqua sévèrement la procédure du tribunal lors de l’épidémie de sorcellerie, reniant sa propre responsabilité. En 1614, il fit une série de suggestions visant à améliorer les choses et une  grande partie de ses mesures furent adoptées. Parmi ces nouvelles directives, il était stipulé qu’une personne ne pouvait plus être condamnée sur la seule base de dénonciation et que les débats publics sur la sorcellerie devraient être interdits. En 1617, après avoir fait appliquer ces nouvelles directives, Salazar fut en mesure de faire un rapport au Conseil Suprême annonçant que la paix régnait maintenant en Navarre. L’imposition du silence sur les questions de sorcellerie avait vaincu l’engouement.
Durant cette sombre période, 1590 personnes avaient été reconnues coupables de sorcellerie dans la région de Navarre, et 1300 avaient été accusées. Dans la région de Guipuzcoa, 340  » sorcières  » avaient été démasquées.
Le village de Zugarramurdi est resté célèbre pour ses sorcières et sa grotte dont l’on dit qu’elle aurait accueilli, jusqu’au XVIIe siècle, des sabbats de sorcières.

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