L’Appel de la Tombe

Crâne Julien Adolphe Duvocelle

Dans les années 1830 le révérend M. Perring, qui était alors le vicaire d’une petite paroisse à la périphérie de Londres, connut la triste affliction de perdre son fils aîné, lequel était alors âgé de dix-sept ans. Le jeune homme fut enterré dans la crypte qui se trouvait sous l’église mais deux nuits après son inhumation le malheureux père rêva de son fils qui lui apparut vêtu d’un linceul tâché de sang. D’une abominable manière, l’expression de son visage semblait celle d’une personne torturée par une douleur incommensurable, et il lui criait d’une voix déchirante:  » Père, père! Venez me défendre! Ils ne me laisseront pas reposer en paix dans mon cercueil! « 

Tels furent les mots que le révérend entendit très distinctement dans son sommeil, alors qu’il regardait cette apparition grandiose. Le pauvre homme se réveilla brusquement, terrifié et tremblant, mais après un bref moment de réflexion douloureuse il en conclut que la souffrance qu’il endurait depuis la mort de son fils était probablement à l’origine de ces abominables visions et remettant son sort entre les mains du Miséricordieux, il finit par se rendormir. Il venait à peine de replonger dans le sommeil quand soudain son fils lui apparut à nouveau, qui le suppliait de protéger ses restes de l’indignité.  » Car, lui expliqua le mort qui survivait encore, ils sont en train de charcuter mon corps en ce moment même! « 

Incapable de chasser cette image infâme de son esprit, le pauvre père se leva aussitôt, et rongé par mille tourments il attendit l’aube, bien déterminé à vérifier la fausseté ou la véracité des révélations apportées par cette voix qui s’élevait apparemment de la tombe. Au lever du soleil, il courut jusqu’à la maison du greffier, où les clefs de l’église et celles de la crypte étaient conservées, et il frappa à la porte jusqu’à ce qu’elle s’ouvre. Après un temps considérable, le greffier finit par se présenter au bas de l’escalier et il expliqua au révérend qu’il était fort regrettable qu’il demande les clefs ce jour-là car son fils les avait emportées pour les faire réparer par le forgeron, l’une des grosses clefs du trousseau s’étant malencontreusement brisée dans la porte principale de la crypte, de telle manière que plus personne ne pouvait y entrer et qu’il fallait attendre que la serrure soit enlevée et changée.

Poussé par les pires craintes, le vicaire insista bruyamment pour que le greffier l’accompagne chez le forgeron non pas pour lui demander une clef mais un pied de biche, tant il était déterminé à rentrer dans la crypte et à vérifier le cercueil de son fils sans perdre un instant. Les souvenirs du rêve se faisaient de plus en plus vivaces tandis que le pauvre père se tenait devant la porte, le visage empreint de solennité et de crainte mais le corps tremblant d’une telle agitation fébrile qu’il rendait nerveux les agents de cette irruption forcée dans ce lieu de repos et de mort. Les charnières furent rapidement arrachées à coups de barre de fer, puis les boulons se retrouvèrent battus et courbés par le lourd marteau du forgeron et la grille s’ouvrit enfin. Alors chancelant, les mains tendues, le père s’effondra sur les pierres humides de la crypte.

Le cercueil de son fils avait été levé du socle où il reposait, dans un angle de la pièce, et il avait été posé à même le sol. Le couvercle, libéré de toutes ses vis, était entrouvert et il laissait apparaitre le haut du corps partiellement enveloppé de son linceul, lequel était tâché de sang séché juste au-dessous du menton. La tête du défunt avait été soulevée et découverte, elle était exposée à la vue de tous, et le large ruban qui refermait sa mâchoire inférieure avait été retiré, la laissant pendre horriblement et donnant à son visage la plus abominable des expressions, qui semblait confirmer avec plus de certitude encore la terrible vérité de la vision de la nuit précédente. Plus ignoble encore, chaque dent de sa tête avait été arrachée.

De son vivant, le jeune homme avait toujours eu de belles dents saines et les dents, qui servaient alors à la fabrication de dentiers, étaient des marchandises prisées. Parfois, elles étaient achetées aux populations les plus pauvres pour garnir la bouche des plus riches, mais en d’autres occasions les pilleurs de cadavres les dérobaient sur des corps fraichement enterrés ou ils les arrachaient de la bouche des soldats morts sur les champs de bataille, lesquels étaient généralement jeunes et disposaient de dents de qualité. Les temps de guerre fournissaient toujours de grosses quantités de dents qui étaient connues comme les Dents de Waterloo. Bien évidemment, cette pratique n’avait pas commencé avec la bataille de Waterloo, elle était beaucoup plus ancienne, mais étrangement les possesseurs de dentiers ignoraient souvent la provenance des dents qui composaient leurs appareils.

Cette sinistre histoire affecta gravement l’esprit du malheureux révérend, qui ne s’en remit jamais vraiment. Le fils du greffier, qui était barbier, coiffeur, et dentiste, avait accès aux clefs de la crypte, et il apparut que sa main sacrilège avait ouvert le tombeau pour y dérober les dents, dont il faisait usage dans son métier. Malheureusement, jamais il ne put être condamné car il décampa le jour même et certains rapportèrent qu’il s’était enrôlé comme soldat. Quand au greffier, déshonoré, il se retrouva muté dans une autre ville, où il mourut peu de temps après.

Glimpses of the Supernatural de Frederick George Lee, 1875.

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